L'aube du 7 novembre 1987. Quelques heures, quelques jours, des mois et des années avant que la voix de Zine El Abidine Ben Ali n'annonce une Ere nouvelle (avec son accession constitutionnelle à la charge suprême de la nation), la République, superbement bâtie par Bourguiba, vascillait. Ses institutions souffraient de sclérose, des intrigues florentines, du népotisme autour d'un leader qui n'avait pas vu la vieillesse venir. Cette République, que l'Histoire confiait aux mains de Ben Ali, risquait, ainsi, de perdre des acquis conquis de haute lutte, cette fantastique poussée du modernisme, la généralisation de l'enseignement, le Statut (unique) de la femme et, surtout, surtout, le rejet de l'extrémisme. Si, accompagné de militants dévoués, Bourguiba a été le pivot de la décolonisation et le visionnaire d'une Tunisie moderne, d'une République laïque, non pas islamique, mais ayant l'Islam comme religion, Ben Ali, enfant authentique de cette Tunisie bourguibienne, a été réellement l'homme de la providence. Dans quel sens aurait basculé le destin de la Tunisie, si le dernier Premier ministre du règne du « Combattant suprême » n'avait pas eu l'inspiration et le courage de dégager son pays du marécage qui risquait de l'engloutir et de sauver Bourguiba, lui-même, du lynchage de l'Histoire ? Aujourd'hui, 7 novembre 2007, le Changement, initié par le Président Ben Ali, reste la pierre angulaire de ce que les Constitutionnalistes hésitent encore à appeler : « Deuxième République » mais qui, aux yeux des politologues, en est absolument une. Car, l'œuvre du Changement a redonné vigueur à des institutions, jadis, personnalisées. Elle a surtout permis la « réinstitutionnalisation » de l'Etat, dans des structures, d'abord, par le truchement d'une séparation des pouvoirs (qui n'est jamais, partout, complète) ; ensuite, dans le retour au moule originel : l'Etat-Nation. Ce n'est pas tant une légitimation personnelle qu'a recherchée Ben Ali en travaillant, avant tout, au raffermissement de l'Etat-Nation... Mais plutôt, la réinstauration des structures d'un Etat au service d'une Nation, au service d'un peuple et, tous, au service de l'intégrité territoriale. Et, inévitablement, les Tunisiens, toujours en besoin de se sentir sécurisés, retrouvaient leur refuge et leur source, leur roman des origines : l'Etat-providence. De fait, la première décennie du Changement a surtout été consacrée à la réconciliation nationale. Et même si elle n'était pas du goût des « Religieux », elle avait décrispé le dialogue, permis le foisonnement des partis de l'opposition et la consécration d'un nouveau type de discours. Pour Ben Ali, l'essentiel était de rétablir les équilibres sociaux, de lutter contre la pauvreté et de permettre l'émergence d'une classe moyenne stabilisatrice. Et, par ricochet, un Etat fort, maîtrisant parfaitement ses indicateurs macro-économiques. La Tunisie devenait attractive, offrant de bonnes opportunités pour les investissements étrangers, pour l'investissement local, grâce à la libéralisation, aux privatisations et, le tout, conforté par un taux de croissance stable et une inflation comprimée à des taux tolérables. Ben Ali réussissait son pari de restaurer la confiance dans l'Etat. De sorte que la deuxième décennie donnait une impulsion nouvelle : sereine, sécurisée, la Tunisie accueillait la mondialisation, amortissait les chocs exogènes, élargissait son champ audiovisuel et proposait même à la Communauté internationale une Caisse Mondiale de Solidarité, à l'instar du 26-26 national. Le maître-mot est, dès lors, « Solidarité ». Grâce, entre autres, à l'émergence d'une société civile, toujours aussi prompte à rejeter les poisons de l'outrance. Et, d'ailleurs, nous avons vu comment les Tunisiennes et les Tunisiens ont réagi face aux actes de ces jeunes égarés et embrigadés... Aujourd'hui, Ben Ali insiste encore plus sur le mot « excellence ». Excellence de la production locale, excellence de l'enseignement et, au bout du compte, un plan quinquennal, presqu'exclusivement, réservé à l'emploi. Le nombre de demandeurs atteindra un niveau sans précédent : 80 mille par an. Le secteur public ne pourra pas, à lui seul, résorber la demande. D'où la nécessité de placer le secteur privé dans les meilleures conditions d'y contribuer efficacement, dans la logique d'un capitalisme à visage humain. L'enjeu majeur pour Ben Ali reste, donc, l'emploi. Mais, tout n'est pas économie. Si nos facultés distillent autant de diplômés, cela veut dire, que l'intelligentsia tunisienne - historiquement et internationalement reconnue - se renforce. Et nécessairement, elle aura des visions sociales et politiques diverses de la Tunisie. Le monde est, désormais, face à son destin : la démocratie et les libertés. C'est la fin des clivages, la fin des idéologies mais il y a un grand retour de flamme de la politique. La Tunisie, l'un des tout premiers pays émergents, a fait la preuve de sa maîtrise économique. Mais le Chef de l'Etat est le premier à être conscient que le paysage politique et médiatique, devenu obsolète, a besoin d'un renouveau, d'un coup d'accélérateur sur la voie de l'irréversible démocratisation de la Tunisie, processus engagé à l'aube du Changement et qui épousera, désormais, l'air du temps. Vingt ans de changement ! Mais, qu'est-ce que vingt ans dans la vie de cette Tunisie à l'histoire trois fois millénaire, et qui a toujours enfanté des hommes qui infléchissent le cours de l'Histoire : Hannibal, Jugurtha, Bourguiba, Ben Ali...