Le département de journalisme et d'études médias de l'Université College d'Oslo et d'Akershus (Norvège) a organisé du 7 au 9 mars courant une conférence internationale portant sur le thème : « La montée de l'extrémisme transnational et les challenges journalistiques ». Plusieurs chercheurs et journalistes de différentes nationalités ont été invités pour y participer afin de faire part de leurs expériences respectives et d'enrichir les débats. Les pays conviés sont la Tunisie, la Turquie, la Syrie, la Palestine, l'Irak, l'Iran, l'Italie, l'Afghanistan, l'Egypte, l'Indonésie et la Grande Bretagne. Autant de nations au passé et au présent douloureusement marqués par la violence et le terrorisme, certes à des degrés divers, continuellement menacées par des groupes extrémistes et, pour la plupart, ponctuellement visées par des attaques terroristes. Le premier jour de cette conférence a coïncidé avec l'attaque de Ben Guerdane, à l'issue de laquelle plusieurs civils, dont une enfant de 12 ans ainsi que des membres des forces de sécurité ont trouvé la mort et plusieurs terroristes abattus. Quelques jours plus tard, la ville balnéaire de Grand-Bassam, située en Côte d'ivoire, était visée par un attentat terroriste, revendiqué par l'Aqmi (Al Qaïda au Maghreb Islamique), faisant au moins 19 morts et plusieurs blessés. Le même jour, à quelques heures d'intervalles, une violente explosion, causée par un véhicule rempli d'explosifs, a secoué Ankara, la capitale turque. Un attentat revendiqué par le groupe kurde TAK. Le bilan est lourd avec 36 morts et 125 blessés. Le samedi 19 mars a été une journée sanglante aussi bien pour l'Egypte que la Turquie. Dans le Sinaï égyptien, un attentat-suicide, au niveau du point de contrôle de Safa, a fait 13 morts, tous des policiers. L'attaque a été revendiquée par Daêch. Le même jour, stupeur dans le monde et émoi en Turquie après l'attaque kamikaze en plein cœur de la ville touristique Istanbul, au niveau d'une artère piétonne et commerçante très fréquentée, faisant quatre morts et 35 blessés. Les enquêteurs sont formels : l'individu, âgé de 25 ans seulement, entretenait des liens avec Daêch. Depuis le début de l'année 2016, la Turquie a été la cible de cinq attaques terroristes, plongeant le pays dans un état d'alerte permanent. En Syrie ou en Libye, les exactions et les crimes du mouvement terroriste Daêch sont quotidiens. Des deux rives de la Méditerranée mais aussi quasiment à travers tous les continents et les pays, le monde ploie sous le poids du radicalisme idéologique et du terrorisme. C'est dire l'importance d'organiser des rencontres et des conférences internationales, telles que celle d'Oslo, abordant les différentes facettes de ce fléau, en présence d'experts, d'analystes, de journalistes et de chercheurs pour essayer de décortiquer les origines de ce mal qui gangrène le monde, d'en comprendre les mécanismes et tenter d'apporter certaines solutions ou encore à identifier des pistes de réflexion quant à l'avenir. Les origines du mal Les thèmes abordés lors de cette conférence étaient variés mais pleinement complémentaires, tournant tous autour de la percée, plus ou moins ancienne, de la pensée extrémiste aux quatre coins du monde, ses racines, ses sources et les moyens utilisés par les extrémistes pour répandre leur idéologie radicale et leur doctrine jihadiste en endoctrinant les populations les plus vulnérables et notamment les plus jeunes en leur promettant le pouvoir à travers les armes et d'importants avantages pécuniaires. Les exemples actuels sont si nombreux et le dernier n'est autre que la rapide et fulgurante expansion de Daêch dans certaines régions du monde. Forte de ses dizaines de milliers de combattants de différentes nationalités (leur nombre n'a jamais pu être déterminé jusqu'ici même de manière approximative), de ses armes lourdes et sophistiquées et de ses moyens financiers colossaux, cette organisation terroriste ne cesse de faire planer une menace sur le monde, aussi bien sur les pays à majorité musulmane qu'autres. Sa fondation en 2006 et surtout la proclamation d'un califat sur les territoires qu'elle contrôle ont inexorablement abouti à une mutation radicale de la carte géopolitique dans certaines régions du monde mais ce que l'on retient surtout, ce sont les horreurs inhumaines et les images sanguines des crimes perpétrés par ses représentants, au nom de la religion. Amalgames et injustices Décapitations, brûlures à vif, pendaisons, ventes de femmes et d'enfants dans des souks comme du bétail, violences en tous genres... Ces actes horribles, mis en scène à chaque fois par des pros de l'image et de la communication et commis par les jihadistes et combattants de Daêch au son du « takbir » (Allahou akbar) ont donné lieu à un réel amalgame. En effet, aujourd'hui, l'islam se trouve confondu avec l'islamisme, assimilé à une religion de la terreur, celle du radicalisme et du jihadisme. Ce mélange de notions, alimenté par certains médias internationaux à la ligne éditoriale toute tracée et des discours politiques haineux de part et d'autre ont eu de nombreuses conséquences, une en particulier, à savoir la montée en puissance de la xénophobie dans le monde et notamment en Europe. Cette réalité, encore minimisée il y a peu de temps, a été révélée au grand jour et confirmée notamment avec la crise des migrants fuyant leurs pays en guerre tels que la Syrie, l'Irak ou l'Erythrée. Selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus d'un million de migrants se sont rendus en Europe en 2015. La xénophobie, à ne pas confondre avec le racisme ou encore avec l'homophobie, est un rejet systématique de tout ce qui est étranger ou différent, dû à une peur basée sur un a priori idéologique, culturel, social ou autre. En 2015, dans l'un de ses rapports, le Conseil de l'Europe s'était alarmé de la montée de la xénophobie en Grèce et en Norvège et du traitement des immigrés tout en félicitant ces deux pays quant à l'évolution positive dans leurs législations à ce sujet. Présent à la conférence, Yama Wolasmal, installé à Oslo depuis plus d'une décennie avec sa famille, a raconté son émouvante histoire de réfugié afghan fuyant la dictature de son pays natal. Il a terminé son allocution sur une note nostalgique, déclarant que la Norvège d'il y a dix ans, qui accueillait les réfugiés à bras ouverts, lui manquait énormément. France, pays hostile ? Mais qu'en est-il de la France, pays qui enregistre la plus forte concentration d'immigrés tunisiens au monde, soit plus de 668.000 individus ? Le 1er mars 2016, les experts de la Commission anti-racisme du Conseil de l'Europe (ECRI) ont rendu public un rapport, dans lequel ils épinglaient la France quant à la «banalisation» des discours racistes et s'inquiétaient de la recrudescence des actes xénophobes et islamophobes en France. Toujours selon ce rapport, les violences associées aux préjugés racistes ont augmenté de 14% entre 2012 et 2014. Thorbjorn Jagland, Secrétaire Général du CE a déclaré à ce sujet: « Le discours de haine, de par sa banalisation dans la sphère publique, demeure un sujet de préoccupation en France. J'en appelle en particulier aux responsables politiques pour qu'ils s'abstiennent de tenir des propos qui stigmatisent des groupes déjà vulnérables et attisent les tensions dans la société française. » Bien que solidement attachée à ses valeurs fondamentales, à savoir liberté, égalité, fraternité, la France n'a pu échapper à la montée en flèche dans les sondages et lors des élections d'un parti d'extrême droite, l'un des plus virulents: le Front National. Métamorphosé sur la forme, et pas vraiment sur le fond, grâce en grande partie à Marine Le Pen, ce parti, autrefois largement boudé par les Français, draine aujourd'hui les foules et séduit de plus en plus les électeurs français, au grand dam des musulmans de France qui se sentent menacés par cette montée en puissance, craignant une recrudescence des actes xénophobes et racistes. Le lourd tribut des reporters de guerre Toujours dans le cadre de la conférence d'Oslo, la responsabilité et la sécurité des journalistes dans la couverture d'attaques terroristes ou de conflits armés ainsi que la liberté de la presse ont été longuement discutés par toute l'assemblée, tant les sujets étaient et sont toujours d'actualité. Témoins précieux de l'Histoire, les professionnels des médias et notamment les reporters de guerre jouent un rôle capital dans le relai de l'information. En acceptant les missions périlleuses sur terrain, ils mettent leurs vies en danger d'une façon continue. Travaillant sous pression, très souvent menacés et intimidés, ils ne peuvent aspirer à une vie tranquille et ordinaire au quotidien. Francesca Borri, reporter italienne, travaillant en freelance pour le compte de médias internationaux et ayant acquis une solide expérience lors de la couverture des conflits armés, notamment au Moyen-Orient et plus précisément en Syrie, a raconté ses péripéties en tant que journaliste dans des pays ravagés par la guerre. Confrontée à la réalité du terrain, elle a enduré des épreuves, telles que la typhoïde ou encore une balle au genou, sans aucun soutien de ses employeurs temporaires. En juillet 2013, elle a publié une tribune dans laquelle elle révèle les conditions de travail des reporters de guerre freelance, payés à l'article, au mépris de leur sécurité. Elle écrit: « en apprenant que des journalistes italiens avaient été kidnappés en Syrie, mon rédacteur en chef a pensé que je faisais partie du groupe. Il m'a alors envoyé un email pour me demander de tweeter ma captivité si je disposais d'une connexion. Certains pensent que travailler en freelance présente de nombreux avantages, à commencer par la liberté du choix des articles, des enquêtes ou des reportages. Mais nous ne sommes pas libres, bien au contraire. ». Continuant sur sa lancée, elle écrit que les rédacteurs en chef exigent du sang et le son des fusils d'assaut. Lorsqu'elle a mené des enquêtes traitant de l'aspect social ou des racines du pouvoir des groupes islamistes, elle déclare s'être vue répondre: «Qu'est-ce que c'est que ça ? Six mille mots et personne ne meurt ? ». Mais ce n'est pas tout ! La confrontation avec les populations locales, les leaders locaux et les groupes armés réserve aussi aux journalistes son lot de menaces et de dangers. C'est pourquoi, pleinement consciente des enjeux, Francesca déclare, d'une voix déçue et révoltée : « Parfois, nous sommes obligés de nous autocensurer pour rester en vie. » Macabre jeu de ping-pong La conférence d'Oslo a traité d'autres sujets à savoir l'harcèlement des femmes ou encore les droits des minorités, toujours dans le contexte d'un monde perpétuellement visé par le terrorisme. Le terrorisme, ce fléau mondial qui divise, qui attise la haine et qui fait trembler les grandes puissances mais dont les citoyens sont les premières victimes. Deux évidences toutefois à l'issue des débats qui se sont tenus dans le cadre de cette conférence. La première est que les dictatures ont largement contribué à l'expansion de l'extrémisme, de la doctrine jihadiste et du terrorisme. Et ce sont les citoyens, même ceux qui se sont libérés du joug des despotes qui devront subir encore une fois cette épreuve de près. La deuxième évidence est que les pays infestés du virus «Terrorisme aigu», sont condamnés, pour encore longtemps, à s'adresser mutuellement et constamment leurs sincères condoléances, tel dans un macabre jeu de ping-pong, puisque ces satanés terroristes sont bien décidés à semer la terreur et à faire de ce monde un cimetière à ciel ouvert pour tous ceux qui s'opposent à leur doctrine.