Le président la République a finalement fait sienne la proposition formulée ces dernières semaines par certains partis d'opposition, dont Al Massar et Al Joumhouri, d'engager un dialogue sur une alternative à l'actuel gouvernement dirigé par Habib Essid. Béji Caïd Essebsi a, en effet, prôné la formation d'un gouvernement d'union nationale qui aurait une configuration atypique puisque le patronat (l'Union Tunisienne de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat/UTICA) et la puissante centrale syndicale (l'Union Générale Tunisienne du Travail/UGTT) devraient obligatoirement y siéger. «Il faut absolument que ces deux grandes organisations nationales fassent partie du gouvernement. Sans elles, on ne pourra pas parler d'un gouvernement d'union nationale», a-t-il insisté. L'initiative de cet ancien ministre de Bourguiba reprend en somme l'idée du Front national constitué au lendemain de l'indépendance entre le Néo-Destour de Bourguiba, l'UGTT, l'UTICA et l'Union Nationale des agriculteurs (UNA, l'ancêtre de l'actuelle Union Tunisienne de l'agriculture et de la pêche). Ce changement est motivé par la situation économique et sociale très dégradée du pays. Pour appuyer sa proposition, Béji Caïd Essebsi cite des indicateurs économiques très alarmants, insistant particulièrement sur la montée en flèche de la masse salariale dans le secteur public, qui est passée de 6,5 milliards de dinars en 2010 à 16 milliards en 2015. En procèdent à un changement des joueurs et peut être de coach, le chef de l'Etat espère relancer la machine économique grippée à la faveur d'un choc psychologique et surtout bénéficier d'un large appui pour faire passer les réformes douloureuses et impopulaires qui lui sont imposées par les bailleurs de fonds internationaux, FMI et Banque mondiale en tête. Son initiative porte cependant les germes de son échec, car en insistant sur la participation, surtout, de l'UGTT au nouvel exécutif, le président de la République s'est tiré une balle dans le pied. Niet catégorique de l'UGTT, l'UTICA hésite encore... L'Union générale tunisienne du travail (UGTT), la puissante centrale syndicale, est un acteur incontournable de la scène politique tunisienne qui mène le bal et impose sa cadence mais qui semble plus que jamais attaché à son autonomie et son indépendance. «Le gouvernement doit s'ouvrir davantage sur d'autres partis. Nous ne pouvons que soutenir cette initiative mais on n'y participera pas. Notre aide se limitera à donner notre avis sur la formation du gouvernement d'union nationale» , a clairement indiqué le secrétaire général de l'UGTT, Houcine Abbasi, à l'issue d'une rencontre tenue hier avec Mohamed Ennaceur, président de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), qui lui a fait part du souhait exprimé par le chef de l'Etat de voir l'UGTT participer à un gouvernement d'union nationale. Avec plus d'un demi-million d'adhérents, l'organisation semble désormais vouloir se donner une stature de dernier rempart contre le chaos et de refuge ultime en cas de tempête. Même l'UTICA semble réticente à l'idée d'intégrer un gouvernement dont l'objectif prioritaire serait d'aider le pays à sortir de sa crise économique et sociale. «La décision d'intégrer ou non un gouvernement d'union nationale revient aux membres du bureau exécutif, qui vont se concerter avant de trancher cette question», a souligné la présidente de l'organisation, Wided Bouchamaoui, hier. La patronne des patrons a cependant indiqué que l'UTICA soutiendra tout gouvernement qui dispose d'un programme précis, rassemble tous les Tunisiens et garantit la sécurité, la stabilité sociale et la croissance économique. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, plusieurs partis ont déjà fait part de leur refus de participer à un cabinet d'union national qui servirait de bouée de sauvetage à l'actuelle coalition quadripartite au pouvoir (Nidaâ Tounes, mouvement Ennahdha, Afek Tounes et Union Patriotique Libre). C'est notamment le cas du Front Populaire de l'indécrottable contestataire Hamma Hammami, du Mouvement Projet Tunisie de Mohsen Marzouk, l'ancien secrétaire général de Nidaâ Tounes, et du Mouvement Tunisie Volonté de l'ex-président provisoire Moncef Marzouki. Dans l'état actuel des choses, l'initiative du Chef de l'Etat risque fort de déboucher, dans le meilleur des cas, sur un élargissement de la coalition gouvernementale à des partis qui n'ont pas une vraie assise populaire à l'instar d'Al Massar et d'Al Joumhouri. Au pire des cas, Habib Essid ou son successeur se contenterait de secouer les cocotiers pour se débarrasser de ses lieutenants les plus incompétents ou les plus voués aux gémonies par la centrale syndicale qui est en passe d'acquérir un statut de faiseur de rois.