« Bribes d'histoires » est une rubrique hebdomadaire qui traitera chaque mois d'un thème unique sous différents angles. Pour cette première série d'articles et à l'occasion du mois de Ramadan, le choix s'est porté sur les mosquées de Tunisie, lieux de culte dont la fréquentation s'accroit durant ce mois saint. Le premier article retrace quelques bribes de l'histoire de «Jemaâ Zitouna», joyau éternel de la Médina de Tunis. Mercredi, 3ème jour du Ramadan. Il est plus de 22h quand j'arrive près de la mosquée Zitouna. Inutile de tendre l'oreille pour entendre la voix de l'imam qui résonne bien au-delà des murs du lieu de prière, récitant des versets coraniques à l'occasion de « salat at-tarawih ». Les prieurs, hommes d'un côté et femmes de l'autre, l'écoutent avec ferveur, dans un recueillement absolu, tentant de saisir le sens de ces paroles sacrées et de se fondre dans cette ambiance spirituelle si particulière au mois de ramadan. Durant ces quelques heures de prière nocturne dans l'enceinte de la mosquée Zitouna, le temps semble se figer et les secondes deviennent infinies. Mais au dehors, au même moment, l'ambiance est toute autre. Les artères jouxtant la mosquée et notamment celle située devant la grande porte et menant vers le souk des bijoutiers grouillent de monde. Attablées, des dizaines de personnes sirotent thés et cafés, fument des narguilés, jouent aux cartes, tout en discutant dans un joyeux brouhaha, refaisant le monde, évoquant divers sujets des plus légers aux plus polémiques, le plus souvent dans la bonne humeur. Quoi de mieux que ce tableau vivant, aux deux décors, aux deux ambiances et aux couleurs vives pour illustrer la Tunisie, pays d'Histoire, de diversité et de tolérance ? Une appellation, deux versions Nichée au cœur de la Médina de Tunis, la mosquée Zitouna, également appelée pour un temps « Jemaâ Al-Aâdham », a été bâtie à l'aube du 8ème siècle, sous le règne des Omeyyades, dans un contexte de conquête musulmane dans le Maghreb. S'étendant sur une surface de près de 5000 m2, ce lieu de prière compte neuf accès. D'une forme rectangulaire et mesurant 56 mètres de longueur et 24 mètres de largeur, sa salle de prière comporte plus de 184 colonnes et chapiteaux antiques. La mosquée abrite encore aujourd'hui deux tours de contrôle, visibles dans les angles nord-est et sud-est du bâtiment. C'est le général ghassenide Hassan Ibn Nôomane qui rétablira la prière sur ces lieux avant que le gouverneur omeyyade de Tunis, Abdallah Ibn al-Habha, n'y lance les travaux de fondation de ce lieu de culte, aujourd'hui classé monument historique. Mais d'où vient cette appellation de « Zitouna », en français « olivier » ? Deux hypothèses à ce sujet: la première serait qu'à son arrivée sur les lieux, Hassan Ibn Nôomane aurait trouvé un olivier, trônant au beau milieu du chemin, protégé par une clôture et qu'un moine chrétien lui aurait confié apercevoir chaque soir de la lumière émanant de cet arbre. La deuxième hypothèse, relayée par les historiens et rapportée par Ibn Dinar, né au début du 17ème siècle, serait que la mosquée Zitouna ait été bâtie sur les vestiges d'un ancien lieu de culte chrétien, plus précisément d'une basilique renfermant le tombeau de Sainte Olive, de son vrai nom Olive de Parme, martyre légendaire et ancienne fille d'un aristocrate sicilien qui fût décapitée à Tunis vers l'an 463. Un lieu unique Il faut savoir qu'il n'y a pas qu'une seule mosquée portant le nom de Zitouna. En effet, il en existe par exemple une autre à Kairouan, située en face de Bab El Jedid ou encore une troisième, à Meknès au nord du Maroc. Mais celle de Tunis reste l'une des mosquées les plus remarquables du monde musulman tant par son histoire que par son architecture. Elle porte également l'appellation de « Jemaâ maâmour » et ce parce que la prière collective n'y a jamais été interrompue depuis sa fondation, même en temps de guerre et y compris pendant la révolution. En effet, durant les périodes de couvre-feu, les habitants des quartiers avoisinants se sont arrangés pour que chaque soir, probablement à tour de rôle, quelques pratiquants passent la nuit à l'intérieur de la mosquée et y prient les prières d'El-Ichaa et celle d'El Fajr à temps et en groupe. A travers les siècles Selon plusieurs sources historiques concordantes, la mosquée érigée au 8ème siècle aurait été majoritairement détruite puis reconstruite sur ordre du calife abbasside de Bagdad Al-Mustaîin au 9ème siècle. La coupole du mihrab porte d'ailleurs une inscription mentionnant le nom de l'architecte Fathallah qui a dirigé les travaux de reconstruction. Depuis, la mosquée Zitouna a connu différents travaux d'extension et d'aménagement. En 1993, grâce à un don offert par le Fond Arabe pour le Développement Economique et Social, la municipalité de Tunis, en collaboration de l'Institut National du Patrimoine et l'Association de Sauvegarde de Tunis y avait par exemple engagé de grands travaux de réaménagement d'un montant global d'un million de dinars. Véritable musée à ciel ouvert, ce lieu de prière renferme différentes plaques et inscriptions murales indiquant les modifications qui y ont été menés. On apprend par exemple qu'en 990, le souverain Mansour ibn Bologhine a fait ériger la coupole bichrome du bahou, située au-dessus de l'entrée de la salle de prière donnant sur la cour. De même, l'actuel minaret, de style almohade et haut de 44 m, a remplacé au 19ème siècle celui construit sous Hammouda Pacha au 17ème siècle. Il aura coûté 110 000 francs et été financé par l'administration des habous. C'est durant le ramadan de l'année 1312 de l'hégire et en présence d'Ali III Bey que le premier appel à la prière y a été prononcé. A noter également que le sultan ottoman Murad II avait décidé, en 1450, de la création d'une bibliothèque dans l'enceinte de la mosquée. Lieu de culte et d'enseignement En plus d'être un lieu de prière, la mosquée Zitouna a également abrité en son sein le plus ancien établissement d'enseignement du monde arabe, une « maderssa» fondée en 737, bien avant la fondation d'Al-Azhar. Ainsi est née la Zitouna, université religieuse à forte influence dans le monde musulman. Divers enseignements religieux (fiqh, hadiths, coran), scientifiques et littéraires y étaient dispensés par des savants issus de différentes contrées et de très nombreux imams et cheikhs y ont été formés travers les siècles. Parmi les personnalités illustres qui y ont enseigné ou étudié, citons Ibn Khaldoun, son frère Yahya Ibn Khaldoun ou encore durant l'époque moderne Mohamed Tahar Ben Achour, Tahar Haddad, Abdelaziz Thâalbi. Plusieurs tableaux de peinture représentent d'ailleurs ces cercles d'enseignement « halqa » où le maître était adossé à une colonne, jambes croisées, livre à la main, entouré de ses disciples. Après l'Indépendance et dans le cadre de la mise en place d'une politique laïque, Bourguiba met fin à la vocation universitaire de la mosquée Zitouna. Une université indépendante est ainsi établie le 26 avril 1956 avant d'être remplacée en 1961 par une faculté de charia et de théologie, rattachée à l'Université de Tunis. En 1988, ben Ali ordonne la création de trois instituts associés pour former la nouvelle université Zitouna, à savoir l'Institut supérieur de théologie, l'Institut supérieur de la civilisation islamique et le Centre d'études islamiques de Kairouan. En mai 2012, sous l'impulsion d'une demande grandissante, l'enseignement a repris à la mosquée Zitouna avant d'être suspendu de nouveau quelques temps plus tard, suite à la fin du litige qui opposait les autorités à l'ancien imam de la mosquée Houcine Laâbidi. Plusieurs légendes et croyances entourent la mosquée Zitouna. En effet, certains riverains prétendant avec assurance qu'un homme pieux, dénommé Khedhr et décédé depuis très longtemps, continue d'y faire sa prière d' « el fajr », tous les jours à l'aube. Certains affirment même l'avoir vu de leurs propres yeux. Par ailleurs, il est commun de s'entendre dire que la mosquée Zitouna abrite cinq endroits sacrés où les invocations sont entendues et exaucées. Il s'agit d'après les différents témoignages du mihrab, de la porte menant au minaret, de la « maqsoura » de Sidi Mansour, de la « dokkana » de Sidi Mehrez et de l'endroit situé sous le palmier en bronze.