L'endettement des ménages tunisiens a dessiné u nouveau pic l'an passé pour atteindre un montant record d'environ 18,5 milliards de dinars contre 17,4 milliards en 2014 et 16 milliards de dinars en 2013, selon les données de la Banque Centrale de Tunisie (BCT). Ce montant colossal de l'endettement global des ménages est en réalité très sous-évalué puis qu'il ne prend en considération que les crédits servis par les banques à leur clientèle. Or, les 900.000 ménages tunisiens n'empruntent pas uniquement auprès des 23 banques commerciales ayant pignon sur rue. Outre les crédits bancaires classiques, ils contractent des prêts auprès des caisses sociales, des mutuelles corporatistes, des fonds sociaux créés au sein des entreprises ainsi que des crédits à court termes (découverts bancaires et avances sur salaire). A cela s'ajoutent les crédits contractés auprès des fournisseurs et des sociétés de leasing ou encore les emprunts auprès des proches et amis. Selon les dernières données de l'Institut National de la Statistique (INS), plus de 60% des ménages (900.0000 ménages) sont aujourd'hui endettés. Les crédits à la consommation représente bon an, mal an près des deux tiers du volume global des crédits bancaires. Que cela soit pour l'accès à la propriété, le financement des études universitaires, l'achat d'une voiture, d'un ordinateur familial ou d'un chauffe-eau solaire, les voyages à l'étranger, les Tunisiens n'hésitent plus à contracter des crédits. S'endetter pour payer ses dettes C'est en effet un secret polichinelle de dire que le Tunisien vit au dessus de ses moyens. Un récent sondage de l'Observatoire de protection du consommateur et du contribuable a révélé dans ce cadre que 47% des salariés dépensent la totalité de leurs revenus entre le 12è et 13è jour de chaque mois. Et pour boucler leurs fins de mois difficiles, les pères de famille rivalisent d'ingéniosité. Même si les banques ont été sommées par la Banque Centrale de Tunisie (BCT) de limiter la capacité d'emprunt à hauteur de 40% des revenus mensuels du demandeur du crédit, les Tunisiens ont plusieurs tours dans leur sac pour contourner ces règles prudentielles visant à réduire le risque du crédit des banques. «Plusieurs de nos clients arrivent à dépasser largement leur capacité d'emprunt en contractant des crédits auprès de plusieurs établissements comme les banques, les caisses sociales, les sociétés de crédit-bail, les mutuelles dans le même temps ou à quelques jours d'intervalle», confie un banquier. Et d'ajouter : «il n'est plus désormais rare de voir des salariés s'endetter pour payer leurs dettes». Pour tirer profit de cette manne, les banques ont développé la technique du rachat de crédit. Appelée aussi restructuration, consolidation ou regroupement de crédit, cette solution consiste à substituer un ou plusieurs crédits déjà existants par un seul et unique crédit amortissable sur une durée plus importante en adéquation avec les revenus de l'emprunteur. Les banques signent par ailleurs des conventions avec les entreprises, les amicales ou encore des mutuelles de fonctionnaires. Ces conventions permettent aux salariés de bénéficier de taux avantageux. Les banques compensent dans ce cadre la baisse de leurs marges bénéficiaires par la hausse des volumes de prêts distribués. Une classe moyenne en déperdition... L'envolée de l'endettement des ménages ne trouve pas uniquement son origine dans la fièvre acheteuse qui s'empare des ménages pendant les fêtes religieuses ou les vacances. Elle s'explique aussi par la paupérisation rampante de la classe moyenne qui constituait naguère la colonne vertébrale de l'édifice sociétal tunisien. Selon les dernières données l'Institut national de la statistique (INS), la classe moyenne ne représente plus actuellement que 53% de la population tunisienne, contre 84% en 1984 et 70% en 2010. Selon le ministère des Finances, la classe moyenne tunisienne regroupe 1,9 million de travailleurs répartis entre le secteur public, les professions libérales et le secteur privé. 60% des employés appartenant à cette classe perçoivent un salaire inférieur à 800 dinars par mois, et 33% touchent un salaire mensuel de moins de 400 dinars. Certains experts estiment cependant que ce chiffre de 1,9 million de personnes est exagéré dans la mesure où la proportion des salariés touchant moins de 400 dinars par jour ne peut plus désormais figurer dans la classe moyenne. L'universitaire et spécialiste des risques financiers, Mourad Hattab rappelle, dans ce cadre, que la classe moyenne se caractérise selon les normes internationales par les personnes ayant un pouvoir d'achat journalier compris entre 8 dollars (17 dinars par jour ou 510 dinars par mois) et 20 dollars (42 dollars par jour ou 1260 dinars par mois) en parité du pouvoir d'achat. Selon les experts, la classe moyenne risque de se réduire davantage sous l'effet de la réforme programmée de la Caisse générale de compensation (CGC) qui prévoit notamment la suppression des subventions aux produits de base et l'orientation des aides sociales directement aux couches les plus vulnérables de la société.