Le montant global de l'endettement des ménages tunisiens s'est établi à plus de 16 milliards de dinars en 2013, contre 7,3 milliards de dinars en 2008 et 3 milliards seulement en 2003, selon des sources proches de la Banque Centrale de Tunisie (BCT). Ce montant ne prend en considération que les crédits bancaires nets au 31 décembre de chaque exercice, déduction faite des remboursements intervenus en cours d'année. En l'absence d'une base de données qui couvre tous les établissements pouvant servir des crédits aux particuliers, ces statistiques ne représentent en réalité que la partie visible de l'iceberg. Les prêts accordés par les caisses sociales, les mutuelles et les fonds sociaux créés au sein des entreprises ainsi que les crédits à cours termes (découverts et avances sur salaire) ne sont pas comptabilisés dans la détermination des ratios d'endettement des ménages tunisiens. A cela s'ajoutent les emprunts auprès des proches ou des amis. Environ 60% du volume total des crédits servis par les banques à leurs clients étaient destinés à l'habitat en 2013. Les crédits à la consommation représentent 25% du volume total des prêts. «Les montants des prêts accordés par les banques ont dépassé l'an passé le montant des dépôts, ce qui a engendré des problèmes de liquidité», souligne dans ce cadre l'expert en risques financiers, Mourad Hattab. Selon les dernières données de l'Institut National de la Statistique (INS), environ 60% des ménages (900.0000 ménages) et 19% de la population active sont aujourd'hui endettés. Slogans alléchants Que cela soit pour l'accès à la propriété, le financement des études universitaires, l'achat d'un ordinateur familial ou celui d'un chauffe-eau solaire, les voyages à l'étranger, les Tunisiens n'hésitent plus à contracter des crédits. Profitant de cette manne, les banques rivalisent d'ingéniosité pour attirer cette clientèle potentiellement dépensière en lançant des campagnes publicitaires articulées autour de plusieurs slogans qui mettent l'eau à la bouche : «Donnez vie à vos envies», «Permettez à vos enfants d'atteindre l'excellence», «La maison de vos rêves à portée de main».... La compétition entre plus d'une vingtaine de banques dans un marché plutôt exigu de quelque 10 millions de consommateurs oblige les établissements de crédit à réduire leurs marges pour rendre l'emprunt bancaire accessible à la majorité des salariés des secteurs public et privé. Les taux d'intérêts pratiqués varient actuellement entre 5% et 12% en fonction de la nature du prêt et de sa durée de remboursement. De plus, chaque banque est désormais liée par des conventions à des entreprises, des amicales ou encore des mutuelles de fonctionnaires. Ces conventions permettent aux salariés concernés de bénéficier de taux avantageux (1 à 2 points en moins que le taux ordinaire). Ce type d'arrangement permet aux banques de compenser la baisse des marges bénéficiaires par la hausse des volumes de prêts distribués. Conséquences désastreuses Cumuler plusieurs prêts, tous genres confondus, est, par ailleurs, devenu désormais monnaie courante pour un salarié. Même si les banques ont été sommées par la Banque Centrale de Tunisie (BCT) de limiter la capacité d'emprunt limitée à hauteur de 40% des revenus mensuels du demandeur du crédit, les Tunisiens ont plusieurs tours dans leur sac pour contourner ces règles prudentielles visant à limiter le risque du crédit des banques. «Plusieurs de nos clients arrivent à dépasser largement leur capacité d'emprunt en contractant des crédits auprès de plusieurs établissements banques, leasing, caisses sociales, mutuelles au même moment ou à quelques jours d'intervalle», confie un banquier. Selon les experts, l'endettement excessif des ménages tunisiens risque d'avoir des retombées économiques et sociales désastreuses. La stabilité des ménages qui usent et abusent des prêts pour satisfaire leurs besoins et parfois leurs envies les plus folles en ces temps de poussées inflationnistes est souvent menacée. Le sociologue Belaïd Ouled Abdallah estime, en effet, que les difficultés financières sont à l'origine du quart des cas de divorces en Tunisie. L'insolvabilité des emprunteurs qui perdent leurs emplois suite à un retournement de la conjoncture économique expose, quant à elle, les banques au risque d'augmentation du volume des créances carbonisées et menace, par conséquent, leur solidité financière. Et c'est pour cette raison d'ailleurs que de nombreux experts plaident pour une législation contre «l'abus du crédit» comme c'est le cas dans plusieurs pays, dont la France.