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«Pour lutter contre la violence, il faut instituer l'égalité des droits»
Publié dans Le Temps le 14 - 08 - 2016

Ancienne présidente de l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) et actuelle présidente de l'Association féministe ‘Beity', Sana Ben Achour a consacré toute une carrière au mouvement féministe tunisien. Juriste de formation, Sana Ben Achour a mené de longs combats pour la préservation et l'amélioration des acquis de la femme tunisienne. A l'occasion de la célébration de la Journée nationale de la femme, la présidente de ‘Beity' nous a reçus et est revenue, tout au long de cet entretien, sur les conditions de la femme en Tunisie postrévolutionnaire.
-Le Temps : Plusieurs médias assurent que vous avez récemment refusé d'être décorée par le président de la République. Est-ce que vous confirmez cette information sachant que plusieurs versions circulent sur les raisons qui vous auraient amenée à prendre cette décision ?
Sana Ben Achour : D'abord, je confirme le fait. Toutefois, je n'ai donné aucune déclaration à ce sujet et je ne compte pas en faire parce que je pense que le message en soit est assez clair : il s'agit de décliner une décoration, il y a derrière un message de mécontentement par rapport à la situation du pays. Je donnerai des explications en temps voulu mais, pour le moment, je garde un peu ma réserve. Je voudrais par contre insister sur le fait que je n'ai accordé aucune déclaration médiatique sur ce sujet, tout ce qui a été écrit représente uniquement les fantasmes des uns et des autres.
-On vient tout juste de célébrer le soixantième anniversaire du Code du statut personnel. Au-delà de l'importance de ce Code, certains estiment aujourd'hui que, depuis l'avènement du CSP, la Tunisie n'a pas du tout avancé en matière d'acquis de la femme. Etes-vous d'accord avec cela ?
Si on doit juger le Code du statut personnel par rapport aux cinq dernières années, il est clair qu'il a même été menacé. A part la Constitution tunisienne, on n'a rien acquit. La Constitution du 27 janvier 2014 comprend un article important pour lequel les femmes tunisiennes se sont battues : on est passé de la complémentarité à l'égalité. L'article 46 stipule que l'Etat s'engage à préserver les acquis des Tunisiennes, à les consolider et à les améliorer. En cinq ans, ce que les femmes tunisiennes ont gagné c'est la reconnaissance constitutionnelle au plus haut niveau législatif des acquis des Tunisiennes en plus des acquis cités dans le CSP. Donc, il y a l'idée de préserver les acquis et les mettre à l'abri des différentes menaces tout en ajoutant deux importants points : reconnaître des droits aux femmes et les améliorer en allant vers l'égalité puisque ce principe-là a été admis dans la Constitution.
-Bien qu'il soit cité dans la Constitution, le principe de l'égalité n'a pas été entièrement compris dans le projet de la loi intégrale contre les violences faites aux femmes qui ne comprend pas, par exemple, l'égalité dans l'héritage.
Non en effet. Malheureusement, toutes les formes de violences se nourrissent des rapports de discrimination et d'inégalité. Pour lutter contre la violence, il faut instituer et il faut reconnaître l'égalité en droit c'est-à-dire l'égalité des droits. Il faut qu'il y ait exactement les mêmes droits pour les unes et pour les uns. Il faut que les lois du pays organisent cette égalité. Donc, effectivement, l'égalité dans l'héritage n'est pas mentionnée, comme beaucoup d'autres choses d'ailleurs, dans le projet de loi intégrale.
-Comme le viol conjugal par exemple ?
Je ne sais pas si cette nouvelle version qui a été présentée à l'Assemblée des représentants du peuple stipule que le viol conjugal est une forme de violence à l'encontre des femmes ou pas mais, en tout cas, dans le projet auquel j'ai participé en tant que coordinatrice, lorsque Neila Chaâbane était ministre de la Femme, la question avait été relevée. Si effectivement le viol conjugal n'est pas inscrit au nombre des violences à l'égard des femmes, et bien la loi n'est pas si intégrale que cela ! Toutefois, j'attends de voir la dernière version avant d'en juger. La loi intégrale, comme nous l'avions conçue, est une loi transversale qui s'intéresse à beaucoup de domaines et qui pourchasse les inégalités là elles où elles existent. On avait fait la proposition, non seulement, d'incriminer, donc de reprendre le Code pénal dans l'idée de combattre tous les types de violences à l'égard des femmes (physiques, morales, sexuelles et économiques) mais, aussi, de pourchasser les causes de ces violences dans tous les domaines . Nous avons proposé des révisions au niveau du Code du travail, du CSP – qui est aujourd'hui complètement dépassé par la réalité et ce n'est pas normal que cinq ans après la révolution, qu'on n'ait toujours pas de Code à la mesure des attentes des femmes tunisiennes – du Code de l'enfance, en somme, des grands Codes de l'Etat où existent encore des discriminations flagrantes. On ne peut pas combattre la violence à l'égard des femmes si on continue à considérer que l'époux a un statut de chef de famille et que l'épouse a le statut de subalterne presque. Aujourd'hui je n'ai pas encore vu la nouvelle version et si vraiment ces choses-là n'y sont pas mentionnées, cela serait vraiment dommage pour la Tunisie. Et, dans ce cas de figure, il faudrait penser à rattraper ces manquements au niveau du Parlement : qu'il y ait assez de mobilisation, de la part des politiques et de la société civile, pour réinjecter dans cette loi dite intégrale son idée et sa philosophie d'origine d'être une véritable loi transversale qui pourchasse et qui combat la violence pour la prévenir au niveau des écoles, des institutions de prise en charge, de l'incrimination des auteurs de violences et de la protection de la femme. Tout cela devrait exister dans la loi intégrale.
-L'autre problème législatif du pays relève de l'absence quasi-totale de l'harmonie entre la Constitution et le Code pénal. Qu'en pensez-vous ?
Le Code pénal tunisien est un code répressif qui préserve l'ordre public patriarcal et la domination des hommes sur les femmes. C'est ce qui explique par exemple l'article 227 bis qui permet au violeur d'une mineure de l'épouser afin de faire tomber toutes les charges à son encontre. Je pense qu'il faut que l'on introduise, au niveau du Code pénal, une nouvelle définition de l'harcèlement sexuel, du viol, du désistement de la femme etc. Je sais que, probablement, beaucoup d'articles seront révisés du fait de la loi intégrale, je l'espère vivement. Actuellement, le Code pénal est en décalage flagrant avec la Constitution. Il existe aussi un décalage flagrant entre le CSP et la Constitution : nous reconnaissons, d'un côté, qu'il existe des citoyens et des citoyennes et on parle de l'égalité des droits pour tous, de la non-discrimination, de l'égalité des chances, de la parité et des mesures à prendre contre les types de violences et, de l'autre côté, nous avons un Code qui perpétue, d'une manière directe ou indirecte, les inégalités et, tout au moins, la violence institutionnelle. Il faut reconnaître qu'il y a des lois qui exercent des violences à l'égard des femmes et en particulier, et je soulève là un sujet tabou, l'autorité parentale : l'article 23 du CSP ne mentionne pas l'autorité parentale. il faut abolir le qualificatif chef de famille du mari et aller vers l'autorité parentale partagée entre les deux parents. Pareil pour l'égalité dans l'héritage. Même ici le sujet est aujourd'hui présent au niveau de l'ARP. Toutefois, il s'agit d'une loi supplétive. Le problème de la liberté du choix du mari : il existe des circulaires contraires à la Constitution qui empêchent la célébration du mariage d'une Tunisienne à un non-musulman avant que ce dernier ne se convertisse à l'Islam alors même que l'on a un article constitutionnel qui garantit la liberté de croyance. Donc, à mon avis, un vrai chantier nous attend et un chantier à entreprendre avec sérieux sur la base de ce qui a été mentionné dans la Constitution. Sinon, cette dernière deviendrait très vite un torchon qui sera transgressé de par ceux mêmes qui l'ont rédigée.
-Certains appellent aujourd'hui à la révision de cette même Constitution. Faites-vous partie de ces personnes-là ?
Il existe en effet beaucoup de failles dans la Constitution tunisienne. On peut même dire que nous disposons d'une Constitution un peu minée et on l'avait dit à l'époque, il y a un peu la chose et son contraire. Au niveau du régime politique, on parle d'inconstitutionnalité et certains parlent de la révision de la Constitution. Je pense qu'on ne peut pas réviser trop rapidement les constitutions. Il existe en effet des failles, des silences et des contradictions, mais le Droit n'est pas un texte écrit. Le Droit c'est aussi des principes généraux, les pratiques constitutionnelles, les objectifs de constitutionnalité et les précédents démocratiques comme le veut un Etat de droit. Cela ne veut absolument pas dire qu'une révision n'est pas possible mais il ne faut pas que les révisions soient conjoncturelles parce que la Constitution a une sorte de solennité. Il ne faut pas que l'on revive ce que l'on a vécu avec l'ancien régime qui a révisé la Constitution treize fois pour l'adapter, à chaque fois, à la conjoncture. Ce n'est pas la Constitution que l'on adapte à la conjoncture, c'est la pratique politique qui doit s'adapter à des normes et à de valeurs constitutionnelles. Si la Constitution est contradictoire, ambigüe, silencieuse etc, il faut justement que les autorités politiques soient assez clairvoyantes pour ne pas tomber dans des inconstitutionnalités flagrantes et d'être un peu créatrices d'une pratique démocratique et fédératrice. N'oublions pas que nous sommes encore en période de transition politique Tunisie.
-Donc, pour vous, il serait prématuré de réviser la Constitution aujourd'hui ?
Peut-être oui. Je ne veux pas trop m'avancer mais il me semble que cela serait prématuré et serait très mal vu. Cela donnerait l'effet que l'on souhaite adapter la Constitution à la conjoncture afin de donner plus de pouvoir au chef de l'Etat. Plusieurs n'aiment pas le régime parlementaire et c'est vrai que ce régime nous mettra devant des difficultés en dépit de ses vertus. Mais on ne peut pas à chaque fois que l'on est confronté à un obstacle penser directement à la révision de la Constitution. Il faut changer la Constitution pour qu'elle soit toujours démocratique, plus juste et plus égalitaire mais pas pour qu'elle devienne sur-mesure. Il ne faut pas que la Constitution tombe dans la tactique politique mais qu'elle devienne la norme de référence de tous les Tunisiens et de toutes les Tunisiennes au niveau de certains nombres de valeurs.
-Le pays évolue dans un paysage politique à équilibre précaire. Quelles en sont les causes selon vous ?
Sur le plan politique, d'une manière générale, ce qui se passe est désastreux. Je suis assez sur le terrain pour dire qu'il y a une disqualification de la classe politique. Cette disqualification est le résultat des promesses non-tenues en particulier par rapport à la jeunesse, au bien-être économique du pays et à une politique un peu sérieuse. On n'a pas encore pris conscience de tous les dégâts que va constituer l'implosion de Nidaa Tounes parce que tous les équilibres ont été rompus. On a l'impression que les partis n'ont pas de véritable encrage, ce sont des partis qui tiennent à la volonté de quelques-uns, c'est presque des clubs. Autant il a donné des espoirs au départ, autant, au lendemain des élections, les résultats ont été catastrophiques. Cette guéguerre de positionnement et de pouvoir a fait passer l'intérêt général du pays au deuxième plan. L'opposition n'est pas non plus à la hauteur des attentes des Tunisiennes et des Tunisiens pour être un cadre de mobilisation afin d'être influente pour ne pas s'éloigner du projet pour lequel il y a eu une révolution. Donc, le climat est morose et il y a une grande désaffection du politique et je le vois surtout auprès des jeunes qui continuent, malgré tout, à faire des lectures politiques très fines et intéressantes. Je déplore cette situation parce que je pense qu'il n'y a pas de démocratie sans les partis politiques. Il existe bien évidement d'autres formes de l'exercice de la politique mais les partis demeurent vitaux à la démocratie. Non pas des partis par titre mais des partis politiques agissant et capables d'être de vrais acteurs du changement social. Or, actuellement, aucun n'est pas capable de jouer un rôle pareil.
-Peut-on faire le même constat du côté de la société civile ?
Je viens de lire un rapport qui indique que les associations sont de plus en plus nombreuses en Tunisie.
-Mais nous avons un nombre assez important d'associations fantômes.
Cela existe mais il y a aussi de vraies associations qui mènent de vrais combats. De toute manière, ce n'est pas une question de quantité mais de qualité. J'estime que les associations sont présentes mais leur modalité d'action ne sont pas les mêmes. En tant que présidente d'une association qui fait partie d'une grande coalition, je peux vous assurer qu'il existe d'importantes coalitions qui se forment et agissent un peu en silence. Au niveau des protestations, souvenez-vous qu'en janvier dernier, il y a eu des mobilisations qui ont failli déborder.
-Et on avait l'impression que les jeunes protestataires n'avaient aucun encadrement.
C'est justement ce que je déplore par rapport aux partis politiques qui ne sont pas arrivés à capter l'intérêt des jeunes qui s'éloignent de la politique des partis et qui ont leur propre manière de manifester contre un ordre qu'il n'aiment plus. Je pense que les partis politiques devraient jouer ce rôle de mobilisateur et être capables de ramener les jeunes vers eux et de leur donner la possibilité de s'exprimer loin de cette informalité.
-Pour finir, pensez-vous que la lutte contre la corruption en Tunisie peine à avancer à cause d'un problème d'arsenal juridique comme le déplorent certains ?
Je suis juriste donc j'ai tendance à tout ramener à l'arsenal juridique mais sur cette question, je pense sincèrement qu'il n'y a pas que cela. Le Droit est une condition nécessaire mais il n'est pas suffisant. Il faut qu'il y ait la volonté de combattre ce phénomène désastreux. Quand la corruption atteint certaines limites, elle devient difficile à extirper. Quelle déception si après la révolution de 2011, l'Etat mafieux s'installe de nouveau.
-On n'y est pas encore ?
En tout cas il y a toutes les prémices. Il y a sérieusement à craindre aujourd'hui. Il y a beaucoup d'opacité et de zones d'ombre... Je pense qu'il faut que la lutte contre la corruption devienne la priorité des priorités. Les dégâts de la corruption sont incalculables. Pour répondre à votre question, il existe un petit problème lié à l'arsenal juridique mais il doit, surtout, y avoir une réelle volonté politique pour changer les choses.
S.B


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