Posons-nous la question suivante, sans détour, a-t-on réellement besoin d'un ministère pour gérer les ‘affaires religieuses'? Qu'est-ce-que ces ‘affaires religieuses'? Que veut-on signifier par ‘affaires religieuses'? S'agit-il du culte, de son exercice? De l'entretien et de la construction de mosquées, l'intendance autour de ces mosquées? s'agit-il de la prédication, de l'enseignement religieux, de la formation d'imams, de théologiens, de prédicateurs, de prêcheurs, de l'apprentissage et de la psalmodie du coran? Faut-il pour cela tout un ministère avec un budget dépassant celui de la culture, une anomalie dont je traiterai un peu plus loin; une armée de fonctionnaires qui s'agitent plus qu'ils n'agissent. On nous annonce une première manifestation du dit ministère; il réagit au problème météorologique actuel en appelant à organiser la prière dite de l''istisqa'. Là je ne peux vraiment faire taire mon vieux scepticisme, nous vivons en ce troisième millénaire de la civilisation universelle une avancée prodigieuse dans le domaine des sciences. La maîtrise de l'homme sur la technique est éblouissante, comment peut-on croire, encore, qu'une simple prière peut influer sur les éléments de la nature? Quant on voit la position du globe dans le cosmos comment va-il se faire qu'il pourrait pleuvoir sur la Tunisie, à l'exclusion de tout autre région proche ou lointaine du globe sans qu'il y ait un mouvement météorologique cosmique déterminant? Mais suite à un simple vœu exaucé, effet de la prière de quelques dévots. Je suis convaincu que Dieu est encore plus grand que toute cette agitation puérile, plus grand que ces supplications anthropomorphiques d'un autre âge, dont on use à son égard pour, soit disant, lui plaire et attirer sa pitié afin qu'il pleuve sur le territoire! Nous vivons la même ambiance de superstition, de charlatanisme qu'il y'a plus de mille ans au moins. Notre intelligence du monde s'est figée, est restée la même qu'il y a mille cinq cents ans. C'est dramatique, il y a de quoi désespérer de ce vieux bon sens dont un philosophe prétendait que c'est la chose du monde la mieux partagée. Ça été dit il y a plus de trois siècles. Il nous faut revenir au plus vite à Ibn Roschd sans aller jusqu'à Spinoza pour comprendre que l'infini infinitude de Dieu est bien plus absolue encore que ces crédules démarches anthropomorphiques qui frisent le ridicule sinon l'absurde...Dieu est plus grand. J'emprunte le titre de cet article à un texte de Kant - je rappelle au passage qu'il fut un très fervent croyant - où le philosophe relève que « Tout ce que l'homme imagine pouvoir faire de plus, pour être agréé de Dieu, qu'une conduite bonne, n'est qu'illusion religieuse et superstition. » La peur du surnaturel, ou la fascination par le surnaturel, sont indignes de la raison humaine. La superstition religieuse pervertit ce qui fait de l'homme une valeur, sa capacité d'autonomie morale. Qui ose parler encore de révolution? Au contraire il s'agit bel et bien du triomphe d'une redoutable contre-révolution que nous sommes entrain de subir. Souvenons-nous de l'élément détonateur du soulèvement: un jeune qui n'arrivait plus à travailler pour pouvoir manger à sa faim, auquel s'était greffé un désir ardent et impérieux de liberté et de dignité qui ne voulait plus attendre et qui se voulait exigeant, dont les jeunes étaient les portes drapeaux actifs et intraitables. Très vite la révolution a tourné court cédant la place aux corbeaux et aux loups frères musulmans nahdhaouis wahabites accourus de partout pour tout accaparer en exigeant des compensations, oui des compensations, pour leurs divers méfaits, au nom et, sur le dos d'authentiques révoltés devant l'histoire, de la jeunesse et du bon peuple. Nous assistons aujourd'hui au triomphe total de la contre-révolution. Je rappelle que le ministère des Affaires religieuses est un héritage du benalisme qui voulait, pensait-il, amadouer, séduire, les religieux en leur offrant un ministère. Ce qui les avaient amenés à voter pour lui, Ghanouchi en tête, lors d'un simulacre d'élection présidentielle. Sous la présidence de Bourguiba, il n'y avait pas, à juste titre, de ministère des Affaires religieuses , mais une direction du culte rattachée au Premier ministère placée sous la direction d'un théologien: en l'occurrence le théologien Mustapha Kamel Terzi, qui remplissait bien son office et tout fonctionnait bien. Résurgence donc du ministère des Affaire religieuses de l'époque déchue. Tout ça pour Ça ! Dans l'étiquette protocolaire ce ministère occupe la quatrième place en dignité bien avant le ministère de l'Education, avant celui de l'Industrie et du Commerce ,de l'Enseignement supérieur, de l'Energie, de la Jeunesse, de la Femme et de l'Enfance, des Affaires sociales. Mais plus grave, on a nommé à la tête de ce ministère un extrémiste et qui ne s'en cache pas puisqu'il a déclaré publiquement qu'au bout du compte c'est l'Islam politique qui finira par triompher et régner sur les masses. La messe est bien dite, sans équivoque. Il faut le dire tout net, la nomination d'un extrémiste à la tête de département religieux ne manque pas d'inquiéter. Si l'on veut réaliser l'instauration d'un Islam politique en Tunisie on n'aurait pas mieux trouvé d'individu plus indiqué, que ce monsieur afin qu'il réalise sournoisement, mine de rien, son Islam politique, puisqu' il dispose de toute l'infrastructure nécessaire pour se faire. Mais, en parallèle, que fait-on pour la culture, pour l'éducation, pour l'instruction, pour l'émancipation des esprits? C'est bien de construire des mosquées, mais les maisons de jeunes et de la culture, des espaces ouverts à l'échange, au dialogue à la création, à l'invention, qui doit s'en charger? Et le livre, cet outil le plus sinistré, quelles solutions ? On observe que cette question n'est pas à l'ordre du jour. Nulle perturbation! Il n'y a ni vision, ni stratégie, ni perspective, ni lendemains qui chantent. J'ai la très désagréable mais nette impression, qu'en ce moment nous vivons un simulacre de démocratie, qui sert davantage le projet nahdhaoui que la société civile. Les religieux sont partout, ils se sont insinués dans toutes les articulations de la société et de l'Etat, surtout les articulations sécuritaire et éducative. Je pense que la nomination de l'actuel ministre des Affaires religieuse tombe sous le sens. Comment sortir de l'équivoque? Simple mais d'une redoutable complexité: pas de question plus politique que l'éducation. Pas d'éducation plus décisive que l'éducation à la citoyenneté. Vaste programme ! Ceci dit je dois rassurer mes compatriotes, nous nous approchons, sûrement, de la saison des pluies: ‘ghassalet ennouader' n'est pas loin... M.K.