La salle était pleine à l'occasion de la tenue, tout récemment, d'un forum sur la situation du tourisme en Tunisie organisé par la Fédération régionale de l'hôtellerie du Cap Bon et le mouvement Machrou3 Tounes. Au menu principalement la discussion des problématiques et des difficultés ainsi que des mesures à mettre en place pour sauver le secteur. Le tourisme était dans la tourmente depuis les années 1990. La crise est donc très profonde. La situation des hôteliers s'est dégradée. Ils ne peuvent plus rembourser leurs dettes, comme l'a précisé Habib Bouslama, le Président de la FTH du Cap Bon. « Le tourisme est une priorité stratégique et une locomotive de développement des ressources économiques en Tunisie. Le secteur sinistré et marginalisé a dû subir les conséquences des troubles qui ont secoué l'après révolution et accuse maintenant un retard en termes de recettes et de nombre de visiteurs » a-t-il souligné. Si les banques attribuent leurs difficultés de liquidité à l'importance des créances impayées du secteur, les hôteliers attribuent leurs endettements à des pratiques bancaires non conformes aux dispositions réglementaires au niveau du taux d'intérêt appliqué aux hôteliers, aux méthodes de calcul et de perception des intérêts entraînant des augmentations exponentielles irrégulières de leurs dettes. Du coup, et depuis quelque temps, de plus en plus de voix s'élèvent pour protester contre l'absence de mesures efficaces en faveur des hôteliers super endettés. « L'heure est grave, nous ne sommes plus prêts à nous taire. Les difficultés sont énormes et les autorités font la sourde oreille » avoue Habib Bouslama. Tijani Hadad, ancien ministre, expert en tourisme et hôtelier à Hammamet, est revenu sur l'origine de cet endettement en se référant à l'expérience des jeunes promoteurs qui ont été trompés et malmenés par les banques. « Ils ont été victimes, explique- t-il, des mauvais choix des banquiers avec notamment des projets de 140 lits dans des zones touristiques de Hammamet Yasmine, de Tabarka et dans les zones du tourisme saharien. L'Etat a permis une sous capitalisation de l'entreprise et a limité sa capacité à 140 lits. Ce qui n'est pas rentable pour des unités situées en 2ème et en 3ème zone. Avec un taux d'intérêt de 17%, ils ont fini par baisser les bras voire quitté le secteur. Nous attribuons les endettements à des pratiques bancaires non conformes aux dispositions réglementaires au niveau du taux d'intérêt appliqué aux hôteliers, aux méthodes de calcul et de perception des intérêts entraînant des augmentations exponentielles irrégulières de leurs dettes. Si les banques privées ont essayé de résoudre cet endettement, les banques publiques font la sourde oreille et refusent toute négociation. » Habib Boujebel estime qu'il faut rééchelonner les dettes sur une période de 25 ans et à des taux d'intérêt plus adéquats. L'avenir du secteur est tributaire de son assainissement financier. La mise en place d'un Conseil supérieur du tourisme pourra redéfinir les principes et orientations générales de la politique gouvernementale en la matière. Dans ce sens, le gouvernement doit prendre le taureau par les cornes et engager sans tarder les réformes structurelles avec les professionnels ». « Cette crise actuelle n'est pas la première et ne sera pas la dernière, souligne Leila Daya. Les dernières mesures de sauvegarde du secteur n'ont pas été appliquées à part le passage de la TVA de 12 à 6%. Avec des réservations en baisse et des lits vides, le booking est timide et au train où vont les choses, les répercussions se feront sentir principalement au niveau des employés ». Si la basse saison est généralement une saison morte, avec moins d'arrivées touristiques que durant les autres mois de l'année, les opérateurs sont unanimes à dire que c'est la pire saison que nous avons connu. Et dire que le tourisme a son poids dans l'économie. Il représente 15 à 20% du PNB et fait travailler plus de deux millions de personnes. La morosité ambiante dans les pays européens, l'apparente crise générale tétanise notre clientèle habituelle, et nous voici avec un pays fabuleux, des choses merveilleuses à voir, des gens extraordinaires à rencontrer, et pas de clients! L'ouverture du ciel est pour quand ? Aujourd'hui, grâce à l'ouverture du ciel et la prolifération des compagnies low-cost, le touriste pourra planifier ses vacances et ses visites. « Tous les pays touristiques facilitent cette approche en développant le low-cost », souligne Ahmed Smaoui, ancien ministre du Tourisme qui estime que le secteur veut son indépendance. « C'est dire que l'open sky est devenu une réalité. L'ouverture du ciel aérien est un fait certain en Tunisie. Cet open sky ne fera que renforcer la concurrence féroce déjà enclenchée par les compagnies charters. Plusieurs clients choisissent de plus en plus leur destination en fonction d'un prix et le low cost s'impose si on veut booster la destination et consolider nos flux touristiques de l'Europe. Nous attendons l'instauration de l'open sky pour résoudre la crise du tourisme. Le système du ciel ouvert ne représente aucune menace pour la pérennité de Tunisair .Il est temps d'ouvrir notre ciel sinon nos hôtels resteront vides. Le Maroc a opté le low cost depuis belle lurette. L'ajournement de l'ouverture du ciel tunisien aux compagnies low-cost n'arrange pas les affaires des hôteliers et des agents de voyages tunisiens. » Abdelhamid Zehag, hôtelier à Yasmine Hammamet ne mâche pas ses mots : « la situation actuelle risque de mettre un grand nombre d'hôteliers dans des positions insoutenables. Le tourisme affronte sa pire crise depuis plus de 50 ans .Ce n'est pas pour la saison 2017 qui est déjà compromise, c'est carrément pour l'avenir du secteur que je me fais du souci. Celui-ci est menacé. Où allons-nous ? Quand va-t-on se pencher sérieusement sur la question. On ne fait rien pour booster ce secteur. On est bloqué. Les mesures du ministère de tutelle annoncées le 29 juin 2015 en faveur du secteur, n'ont pas été appliquées. Il faudrait une stratégie de crise et des mesures urgentes pour sauver l'activité. » « La machine est grippée. Pourtant nos tiroirs sont remplis d'études et de stratégies. Il faut passer à l'action, souligne Slah Maoui, de l'espace Ken. Il faudrait cibler l'entreprise, défendre son image et faire du lobbying. » M Fakfakh appelle de son côté à soutenir le secteur et pourquoi pas créer un fonds national pour financer l'activité. Mehdi Allani, hôtelier, pense qu'il n'y aucune réflexion et aucune stratégie pour changer de modèle touristique. «A titre d'exemple, dit-il, on ne se préoccupait pas de savoir pourquoi, même le taux de retour du client a baissé . La crise est tellement profonde que les hôteliers n'arrivent plus à entrevoir des solutions. On ne sait pas où on va. Des solutions qui passent sans doute par de profonds changements de stratégie s'imposent actuellement. La situation offre de fait à la profession hôtelière une opportunité pour opérer un virage stratégique. Le dialogue s'impose pour sortir de cette léthargie et ce marasme durable avec des idées claires visant à restructurer le secteur sur des bases solides» Le secteur a un besoin urgent d'investissements L'ex ministre du tourisme Slim Tlatli constate un grand décalage entre l'image, le positionnement, le produit et la demande. Le résultat : on est sorti du marché. Les destinations européennes nous boudent. Le secteur est malade. Pour s'en sortir, il faudrait procéder tout d'abord à une restructuration financière c'est-à-dire à un rééchelonnement des dettes. Le secteur a besoin d'investissements urgents. Or les banques ne veulent pas financer les unités sinistrées. Pour revenir sur le marché en 2018, il faut se préparer en 2017. Des mesures d'accompagnement sont nécessaires car aucune des 12 présentées jusque là par le gouvernement n'a été appliquée, surtout celle liée au problème de la CNSS . Je pense que nos hôteliers souffrent depuis cinq ans et je ne sais pas s'ils peuvent encore survivre. Ils devront se préparer pour conquérir de nouveau les marchés traditionnels tout en améliorant leur image. » Fethi Guizani estime que le secteur tarde à décoller .Depuis les attaques de Sousse et de Bardo, les touristes reviennent au compte-gouttes. Les Allemands, les Anglais et les Français ne viennent plus. Les Algériens, les Tunisiens et les Russes ont sauvé cet été la saison. Et depuis le booking chute et comme l'affirme Haykel Akrout « la visibilité est nulle. Pas de réservations et le pays est devenu, une destination de last minute .» L'hôtelier Mohamed Daya, lui, a des réserves sur la clientèle russe : « ces clients coûtent plus cher qu'ils ne rapportent. Certains hôtels vendent la nuitée à 13 euros ! En plus ils exigent la perfection dans le service et la nourriture. » Mohsen Marzouk, secrétaire général du mouvement Machrou3 Tounes , a relevé lors de la séance de clôture, le rôle fondamental du tourisme dans le développement économique du pays et des valeurs sociétales de la nation. « Le gouvernement doit afficher une volonté politique réelle, considérer le tourisme comme un secteur prioritaire, lui accorder la place qu'il mérite et qui lui revient, et surtout prendre les mesures adéquates à sa relance en cette période morose. Il faudrait une stratégie de crise. Le contexte actuel devrait nous inciter à accentuer l'effort en faveur de ce secteur. Nous continuons à le soutenir. D'autres réunions et colloques suivront pour enfin lui trouver les remèdes qu'il faut. »