«Le pouvoir se gagne par les idées». De plus en plus d'hommes politiques tunisiens font siennes cette citation de l'écrivain et théoricien politique italien Antonio Gramsci, tant il est vrai que les think tanks, laboratoires d'idées et autres centres de réflexion stratégique connaissent une multiplication étonnante ces derniers mois. Dernier converti en date à cette formule en vogue: l'ancien secrétaire général du mouvement islamiste Ennahdha. L'ex-chef du gouvernement (décembre 2011-février 2013), qui a rompu le cordon ombilical avec la formation islamiste en décembre 2014. Il a annoncé jeudi dernier sur les ondes de la radio privée Diwan FM le lancement d'un think tank baptisé «Rawafed» (Confluents) pour mieux comprendre les préoccupations des citoyens et engager une réflexion stratégique sur un agenda de transformation politique, économique et sociale. Hamadi Jebali, c'est de lui qu'il s'agit a laissé entendre que ce centre de réflexion sera un outil au service de ses ambitions politiques. «Je ne quitte pas la politique. Et le jour où je vais revenir à l'action politique, je présenterai ma démission de Rawafed», a-t-il souligné, indiquant au passage qu'il pourrait présenter sa candidature à la prochaine présidentielle. Hamadi Jebali n'est pas le premier ancien chef du gouvernement à annoncer le lancement d'un think tank. Mehdi Jomâa, qui a accédé à la Primature en janvier 2014 suite à l'éviction du mouvement Ennahdha du pouvoir, a officiellement lancé fin août dernier un think tank baptisé «Tunisie Alternatives». Ce laboratoires d'idées, dont la devise est «Penser et Agir», s'est fixé pour objectif de contribuer à l'émergence d' «une Tunisie démocratique et porteuse d'espoir, une Tunisie créative, prospère et inclusive, attachée à sa culture et ouverte sur le monde». « Tunisie Alternatives », dont la mission est d'élaborer et proposer des stratégies et politiques publiques innovantes et efficaces, a annoncé tout récemment qu'il allait publier un rapport de 70 pages sur la productivité élaboré par Hédi Larbi et Anis Marrakchi, respectivement vice-président et membre du think tank ainsi qu'un mémorandum sur la lutte antiterroriste et la déconstruction de la propagande de la nébuleuse terroriste l'Etat islamique (EI). Des rapports sont aussi en cours sur les thèmes sécurité & défense, innovation & compétitivité, développement régional & local, culture & développement humain, cohésion sociale, gouvernance, institutions politiques & Politiques économiques. D'après les observateurs, « Tunisie Alternatives » servira à Mehdi Jomâa de tremplin pour briguer la magistrature suprême en 2019. Les partis, un cadre honni et désuet En février 2016, c'était autour de l'ancien gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Mustapha Kamel Nabli, d'annoncer le lancement d'un think tank appelé «Le Forum du Futur » en tandem avec le président de l'Association tunisienne des économistes Mohamed Haddar afin d'enrichir le débat sur les politiques et les approches qui doivent être adoptées pour réaliser une croissance appréciable, inclusive et équitable. Selon les estimations des spécialistes, une trentaine de think tanks spécialisés dans différents domaines ont été lancés depuis la révolution. Quatre think tanks tunisiens ont été d'ailleurs sélectionnés parmi les plus importants dans la région Moyen-Orient & Afrique du Nord (MENA) par Global Go-TO Think Tanks Index 2015, une étude publiée par l'Université de Pennsylvanie aux Etats-Unis. Il s'agit de l'Institut Tunisien des Etudes Stratégiques (ITES), de l'Observatoire Tunisien de la Transition Démocratique (OTTD), du Centre d'Etudes Méditerranéen Internationale (CEMI) et du Cercle Kheireddine. Par définition, un think tank est une association ou institution de droit privé indépendante et à but non lucratif qui regroupe intellectuels, experts, professionnels, chargés de réfléchir et de proposer des idées dans des domaines aussi divers que l'économie, la politique, l'environnement ou la sécurité. Or, la plupart de ces organismes de plus en plus visibles sur la scène politico-médiatique tunisienne, sont affiliés ou proches des partis politiques. De là à dire que nos hommes politiques sont en train de délaisser les partis, devenus un cadre désuet et honni par l'opinion publique, pour tenter de faire leur come-back ou rebondir après une déconvenue électorale il n'y a qu'un pas que certains analystes n'hésitent pas à franchir. Selon ces analystes, l'essor des think tanks témoigne de l'incapacité des partis politiques et des gouvernements successifs, pris au piège du court-terme, à mener une réflexion profonde sur les grands thèmes politiques, économiques, sociaux et culturels. Les différents sondages et baromètres politiques ne cessent d'ailleurs de jeter une lumière crue sur la faillite des partis traditionnels. Ces organismes regroupant des personnes ayant pour objectif d'exercer le pouvoir en vue de mettre en œuvre un programme commun y sont de plus en plus assimilés à des clubs fermés aux mains d'entrepreneurs politiques qui servent des intérêts étriqués et formatent le débat public.