Après avoir été l'un des piliers de l'économie tunisienne et une source d'or qui fournit un nombre important de postes d'emplois, tout en assurant des rentrées substantielles en devises, le secteur du tourisme est devenu actuellement un lourd fardeau sur les épaules d'une Tunisie qui ne cesse de recevoir des coups de butoir de tous les sens. Suite à une chaine d'événements désagréables vécus et les effets dévastateurs qu'il y a engendré, il n'aura échappé à personne que le secteur est considéré actuellement en pleine crise. Un vécu amer La Révolution du 14 janvier est apparue à ses débuts comme étant une occasion formidable pour mettre fin à l'injustice ainsi qu'une opportunité pour instaurer un nouveau régime et des réformes sur tous les plans. Contrairement aux espérances, la situation n'a cessé de se dégrader à tous les niveaux, à partir de cette date-là. Dans ce sens, le tourisme tunisien souffrait déjà de problèmes d'ordre structurel bien que les indices soient restés, malgré cela, acceptables, durant cette période marquée par une absence de stabilité politique et une succession de gouvernements temporaires. La nouvelle image d'une Tunisie libre qui s'est débarrassée de son tyran n'était pas donc assez convaincante. De surcroît, cette période riche en événements désagréables en raison de l'absence de dispositifs sécuritaires pour faire face au terrorisme, a été marquée par des tragédies, notamment la mort de plusieurs soldats tunisiens sur les frontières algériennes et l'attaque terroriste du musée de Bardo du 18 Mars 2015 C'était le début d'une dégringolade, avec une grande baisse du flux des touristes, notamment des Européens et plus précisément des Français. Leur nombre a baissé de 24% entre 2014 et 2015 à cause de la forte médiatisation des actes terroristes par les médias français et la façon loin d'être favorable ou apaisante selon laquelle ils ont traité le sujet, ce qui a beaucoup porté préjudice à l'image de la Tunisie qui était auparavant une destination privilégié pour leurs compatriotes. L'attentat de Sousse du 26 juin 2015 était la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Une chute libre du nombre des touristes européens a été enregistré : Qui peut oublier la scène des touristes effrayés ce jour là, sortant des hôtels avec leur valises, avec des hommes, des femmes et des enfants prenant la fuite pour sauver leur peau et courant vers le plus proche aéroport ? Une situation catastrophique Au moins 70 hôtels en Tunisie ont dû fermer provisoirement leurs portes depuis septembre et «d'autres vont suivre», en raison des deux attaques djihadistes meurtrières ayant durement affecté le secteur touristique qui représente près de 10% du PIB national. « La situation est très morose. Les taux d'occupation ne dépassent pas 20% de la capacité hôtelière du pays » a déclaré à la radio privée Mosaïque FM le président de la Fédération tunisienne de l'hôtellerie, Radhouane Ben Salah. «70 hôtels ont dû fermer leurs portes depuis septembre en raison du manque de clientèle et d'autres vont suivre», a-t-il prévenu. «Cette situation va mettre des travailleurs au chômage technique», a relevé M. Ben Salah, tout en assurant que le gouvernement allait leur verser «une prime (individuelle) de 200 dinars» par mois ainsi que la gratuité de la «couverture sociale pendant une durée de six mois renouvelables». Le secteur touristique en Tunisie qui avait encore enregistré l'an dernier plus de six millions de visiteurs, emploie directement ou indirectement quelque 400.000 personnes. La saison estivale a pu en partie être sauvée par la clientèle nationale, voire régionale –notamment algérienne– mais les arrivées de touristes européens ont, elles, chuté de moitié depuis janvier. Des chaînes internationales ont récemment annoncé qu'elles fermeraient leurs hôtels tout l'hiver. La Fédération tunisienne des agences de voyage (FTAV) a dit espérer des retombées positives après l'attribution du prix Nobel de la paix aux représentants du Dialogue national tunisien, le quartette ayant permis de sauver la transition démocratique. Elle a également appelé les pays européens ayant émis de sévères mises en garde sur les voyages en Tunisie, dont la Grande-Bretagne qui a perdu 30 ressortissants à Sousse, à les lever. A ce jour, seule la Suède qui avait déconseillé le 10 juillet «tout voyage non indispensable», a pris une mesure en ce sens, en limitant le 2 octobre, cette recommandation aux régions les plus dangereuses, frontalières de l'Algérie et de la Libye. Des résultats qui dégringolent Les indices officiels selon la Direction des Etudes du Ministère du Tourisme et de l'Artisanat sont des plus révélateurs à ce niveau. Les recettes du tourisme, pour la période comprise entre le 1er janvier et le 31 Août 2015, ont été de 1650,3 millions de dinars, soit 18,3% de moins par rapport à l'année précédente et une régression de 30,2 % par rapport a l'année 2010 et donc une perte de 500 millions de dinars. En parallèle, la durée moyenne des nuitées enregistrées est passée de 5,2 jours en 2010 à 3,1 en 2015. Il est d'emblée clair donc que ce secteur organique, qui fait travailler 2 millions de personnes d'une façon directe et indirecte, est trop sensible face à son environnement, et se trouve peut être influencé par le moindre événement perturbateur, d'autant plus qu'il a montré à quel point le tourisme tunisien est dépendant du marché européen. Toutefois, et juste quelques heures après les attentats désastreux de Sousse contre des touristes innocents, les Algériens ont exprimé leur solidarité sur les réseaux sociaux et se sont mobilisés pour passer leurs vacances d'été parmi nous. Le nombre de touristes algériens a, par conséquent, augmenté de 8% entre 2014 et 2015 et de 36,6% par rapport à 2010. Toutefois, même si cette mobilisation a redynamisé, jusqu'à certain point, le commerce dans les stations balnéaires, elle n'avait pas fait le bonheur des hôteliers qui avaient connu des pertes sèches. Les touristes algériens n'étaient pas, pour leur grand nombre, férus des hôtels et préféraient louer des maisons. Les Tunisiens, pour leur part, aussi, ont profité de l'aubaine, pour passer l'été dans des hôtels. Mais, la saison estivale passée, les comptes des hôteliers et du secteur touristique, en général, ne se sont pas améliorés pour autant et l'arrivée de la saison morte n'a fait qu'envenimer les choses. Une politique mal réfléchie Nonobstant les attaques terroristes qui peuvent se reproduire d'un jour à l'autre, le secteur souffre déjà de problèmes structurels qui le rendent plus vulnérable face à de tels chocs. Durant des décennies, une stratégie peu réfléchie de croissance a abouti à une surcapacité d'offre non diversifiée et presqu'exclusivement basée sur le tourisme balnéaire. Cette surcapacité a amené les hôtels à dépendre des tours opérateurs internationaux pour la vente de leur produit. De plus, l'émergence de destinations concurrentes favorisées notamment par la baisse du coût de transport aérien a renforcé la difficulté pour les opérateurs tunisiens à s'imposer, les conduisant à pratiquer des baisses de prix afin de pallier un taux d'occupation trop bas. En conséquence, les hôtels tunisiens affichent un faible niveau de rentabilité affectant leur solvabilité et la qualité de leurs services. En face, des pays concurrents comme la Turquie ou l'Egypte ont plutôt opté pour le développement de toute une gamme de produits, profitant, entre autres, de leur image culturelle valorisante. Ainsi, ces pays ont élaboré une large gamme de produits auxiliaires et ont occupé des niches de marché (golf, centres de santé, infrastructures pour le tourisme d'affaires). Ces efforts ont permis de renforcer leur positionnement et de leur conférer une image de qualité. Par ailleurs, le tourisme tunisien est très sensible aux conditions sociales et économiques des pays «émetteurs». En période de ralentissement ou de récession économique, les dépenses consacrées aux loisirs et au tourisme sont les premières à être réduites. En parallèle, le tourisme intérieur est resté marginal par rapport à la demande étrangère, vu l'étroitesse du marché local, d'une part, et le peu d'intérêt accordé historiquement au développement de ce secteur par la profession et les autorités, d'une autre part. Il n'a donc pas pu constituer un soutien et une compensation pour le secteur en période de crise internationale. Nouveau modèle de développement Dans le même contexte, Mme Salma Elloumi, ministre du Tourisme et de l'Artisanat, a présidé une séance de travail qui s'est articulée autour du thème de : « Quel modèle de développement des secteurs du tourisme et de l'artisanat pour le prochain quinquennat 2016-2020? ». Elle a déclaré que le tourisme possède encore d'autres produits à présenter et permettant la valorisation des deux secteurs, tourisme et artisanat, en raison de leur relation fusionnelle, avec la possibilité, aussi, de s'ouvrir sur de nouveaux marchés comme la Chine et l'Inde pour attirer une nouvelle catégorie de touristes. Il est important de signaler que la transition politique en Tunisie a nécessité, contre toute attente, une période de 4 ans pour être accomplie et ce, après avoir tenté différentes solutions et issues, dans ce cadre. Il ne sera peut-être pas encore temps pour récolter les fruits des efforts fournis par les multiples partis de la société pour promouvoir le tourisme mais, face à cette période difficile, il est nécessaire de prendre son mal en patiente et de penser à trouver des solutions à long terme. En parallèle, chacun doit faire son mea culpa, pour reconnaître que les opérateurs tunisiens se sont confinés dans leur bien-être, sans chercher à innover et à varier le produit. Il faut dire aussi que la crise a également été en quelque sorte bénéfique, car elle a permise de chercher le pourquoi de cette situation, de mettre le doigt sur les failles du secteur et de penser à d'autres parcours mais au final, n'est-il pas temps de cherche des produits alternatifs.