L'EXPERT – L'annonce du GAFI relatif à la sortie de la Tunisie de sa liste noire est un pas salutaire, pour les finances tunisiennes et, surtout, pour les citoyens qui trouvent des difficultés, dans les transferts d'argent, ainsi que pour l'Etat qui a besoin de s'endetter pour boucler ses budgets et tenter d'équilibrer ces finances. Mais, il y a, encore, du chemin à faire, en attendant que l'Union européenne fasse quitter la Tunisie de sa « liste grise » des pays accusés de corruption, de blanchiment d'argent et de financement du terrorisme. L'imbroglio est, toujours, entier, et les suspicions contre la Tunisie ne sont pas prêtes à s'arrêter. Il faut, donc, faire attention, surtout avec le climat malsain qui sévit dans le pays et la physionomie d'une Assemblée des représentants du peuple (ARP) qui ne prête guère à l'optimisme. La Tunisie a, certes, quitté la liste noire du GAFI, mais il faut dire que, malgré cela, elle reste un mauvais élève, au niveau de la lutte contre la corruption, le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Cela place le pays dans le cercle des pays suspects, parce qu'il avait fait partie de la liste, et tout faux pas peut risquer cher, avec, surtout, des islamistes qui détiennent le pouvoir de décision. L'optimisme béat du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) n'est donc pas de bon aloi. Abdelkader Boudriga, vice-président du Cercle des financiers tunisiens, a estimé, avant la décision du GAFI, que la Tunisie a payé le prix de son ambition et de sa sur-confiance, rappelant que c'est elle qui a demandé d'être évaluée selon la nouvelle méthodologie du GAFI publiée en 2013 et que c'est l'unique pays de la région MENA à être évalué conformément à cette nouvelle méthodologie. "L'ambition est louable mais elle doit être efficacement gérée. La Tunisie a fait des progrès en matière de législation liée au blanchiment d'argent et au financement de terrorisme, mais du travail reste à faire", a-t-il fait valoir, faisant remarquer que l'alignement sur les normes internationales est "un travail continu, difficile qui nécessite du suivi", tout en recommandant de mettre en place une structure permanente au sein de la Présidence du gouvernement destinée à gérer cette question. Sombres perspectives « La sortie officielle de la Tunisie de la liste noire du Groupe d'action financière (GAFI), en un temps record et dans une conjoncture très difficile, lui permettra de sortir sur le marché international, en toute transparence et contribuera à attirer des investissements de longue durée », a indiqué le gouverneur de la BCT, Marouane El Abassi. Ce qui implique qu'on va s'endetter davantage, alors que nous avons une facture de plus de 11 milliards de dinars à débourser. Ainsi, tout cela reste à vérifier, avec un pays qui croule sous les dettes et qui est obligé de rembourser plus de mille million de dinars, chaque année. L'encours de la dette publique de la Tunisie s'est établi à 82,6 milliards de dinars à fin juin 2019, contre 72, 4 milliards de dinars durant la même période de l'année 2018 et 81,3 milliards de dinars au terme de l'année écoulée, selon les " Résultats provisoires de l'exécution du budget de l'Etat à fin juin 2019", publiés par le ministère des Finances. La même note fait état d'une augmentation de la part de la dette extérieure dans l'encours total de la dette publique à 71,1% à fin juin 2019, contre 68,9% à fin juin 2018, s'établissant à 58,7 milliards de dinars et d'une décélération de la part de la dette intérieure à 28,9% contre 31,1% à fin juin 2018, pour s'établir à 23,9 milliards de dinars. Au cours d'une conférence de presse, Marouane Abassi a expliqué que « l'engagement et la coordination de haut niveau, entre toutes les parties concernées par la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, ont contribué à faire sortir la Tunisie au bout de 17 mois, de la liste des pays sous la surveillance du GAFI « . Toujours selon lui « cette sortie aura un impact positif sur le classement de la Tunisie par les agences de notation, les organisations et les instances internationales « . L'ambition de créer un climat favorable à l'investissement extérieur Une équipe d'experts du GAFI a visité la Tunisie les 16 et 17 septembre 2019 et a rencontré des responsables tunisiens pour examiner les mesures entreprises par la Tunisie pour sortir de la liste des « Juridictions à haut risque et non coopératives ». Abassi a souligné, que « l'inscription de la Tunisie sur la liste noire du GAFI a quelques points positifs, étant donné qu'elle a poussé le pays à mettre en place les mécanismes, les moyens et les réformes à même de lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme « . Le ministre de la justice, Mohamed Karim Jamoussi a, pour sa part, affirmé que « la sortie de la Tunisie de la liste du GAFI, est un évènement important qui aura des impacts positifs en termes de modernisation de l'économie, de mise en conformité du pays aux normes fixées par le GAFI et de renforcement des investissements, de la confiance et de la transparence ». Il a considéré que » l'amélioration du système juridique relatif à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme a fortement favorisé cette sortie « . « La Tunisie est en mesure de se conformer aux standards internationaux en matière de lutter contre le terrorisme et le blanchiment d'argent. Elle a le potentiel requis pour s'adapter à la nouvelle génération de réformes et à répondre aux exigences internationales dans ces domaines », a déclaré le ministre de Finances, Ridha Chalghoum. Chalghoum, qui s'adressait à des journalistes, lors d'une conférence de presse, a précisé que la Commission Tunisienne des Analyses Financières (CTAF) s'est penchée déjà sur la modernisation du système informatique et a coopéré avec toutes les parties concernées en plus de la mise en place des textes juridiques développés. « La sortie de la Tunisie de la liste des pays sous surveillance du Groupe d'Action Financière (GAFI) confirme la volonté du pays de lutter contre le financement du terrorisme et d'interdire le blanchiment d'argent, afin de créer un climat favorable à l'investissement extérieur et à la création de la richesse », a-t-il encore dit. Pour sa part, le conseiller auprès du chef du gouvernement chargé du dossier de la réforme fiscale, Faycel Derbal a souligné que la sortie de la Tunisie de la liste noire du GAFI a permis au pays de mettre en place un nouveau système efficace de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent. « Ceci a aussi permis à la Tunisie de gagner deux places dans le rapport « Doing Business 2020″, pour se classer à la 78éme place à l'échelle mondiale », a indiqué Derbal. En effet, le GAFI avait placé en novembre 2017, la Tunisie dans la catégorie des « pays à hauts risques et non coopératifs ». Contestant ce classement, la Tunisie a adressé une demande officielle au Groupe d'action financière pour le réviser. Réuni le 27 janvier 2018, ce Groupe a procédé à l'amendement du classement des pays en deux groupes : le premier, relatif aux » pays à hauts risques et non coopératifs » et le deuxième -dans lequel figure la Tunisie-, aux Etats » sous surveillance « . Organisme intergouvernemental créé en 1989, le GAFI s'attèle à élaborer des normes et à promouvoir l'efficace application de mesures législatives, réglementaires et opérationnelles en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et, le financement du terrorisme.