Après une première vague du Covid-19 ou nous avons pu limiter les dégâts sur le plan sanitaire, et une deuxième vague qui bât son plein aujourd'hui, les tunisiens doivent se préparer à une troisième vague, mais qui sera cette fois « MENTALE ». Le confinement et la pandémie ont instauré un climat de peur, d'anxiété, de méfiance, qui ont affecté sensiblement la psychologie des tunisiens. Ce climat s'est encore assombri avec un paysage politique flou, une réalité économique douloureuse, et des perspectives sombres. Nous devons nous préparer à cette troisième vague, parce qu'un Etat averti en vaux deux. S'attendre à un impact psychologique désastreux : La crise du Covid-19 nous a révélé une réalité que nous essayons d'oublier toujours : l'être humain est très faible face à la nature. Aujourd'hui nous sommes obligés de faire face au doute qui s'installe et aux craintes. Le confinement imposé durant la première vague et actuellement a conduit à des changements comportementaux énormes. Des changements dans les habitudes de consommations, des perturbations des rôles dans la famille, une nouvelle réalité économique,....ces éléments ont eu des conséquences sur notre psychologie. Sur un autre plan, et avec l'augmentation du nombre des morts, nous vivons chaque jour avec l'angoisse de mourir ou de perdre quelqu'un de cher, qui se transforme en anxiété aigue et une dépression mentale grave. Cette situation psychologique impacte aussi notre rendement au travail qui accuse une baisse considérable. Il touche aussi la qualité des relations humaines qui s'effritent sous l'effet de la nécessité de respecter la distanciation physique. L'isolement et le manque de contact humains amplifient les effets psychologiques désastreux sur notre comportement. S'ajoutent à cette situation déjà critique, une stigmatisation sociale méprisante de ceux atteints de Covid-19 ou proche de quelqu'un contaminé. En effet, les personnes affectées sont rejetées par leurs milieux, refoulées et montrées du doigt. Même pour nos traditions funéraires les changements sont énormes. Si quelqu'un est mort du Covid-19 et qui dépassent aujourd'hui les 2088 personnes, il est enterrée par les services de santé sans la présence des proches, et dans des conditions dignes du film « star wars ». Toute cette ambiance psychologiquement morose a conduit à certains comportements compréhensibles mais inadmissibles. Le niveau de la violence conjugale a augmenté vu le confinement, mais aussi les problèmes économiques. La psychologie des enfants, personnes vulnérables, est très perturbée surtout après des mois loin du milieu scolaire et du contact avec leurs amis et collègues. Lors de la première vague, le gouvernement a installé un centre d'appel psychologique. Selon les chiffres officiels, plus de 60.000 personnes ont contacté le centre durant la période du 30/03/2020 au 28/04/2020. Les psychiatres et psychologues sont intervenus dans 2111 cas, avec 1781 personnes qui ont appelées pour elles même, 168 pour un autre membre, et 161 pour leurs enfants. Cette situation engendrée par le Covid-19, vient se greffer à une situation mentale en Tunisie très grave et qui est considérée comme un tabou. En effet, Le nombre de Tunisiens admis à l'hôpital universitaire Razi pour les maladies psychiatriques est passé de 4000 et 5000 patients par an avant la révolution, à plus de 8000 personnes depuis. Ce nombre a atteint les 9400 au cours de l'année 2019, dont 1400 enfants. Chaque dollar investi dans la santé mentale, rapporte 5 : A l'échelle internationale, les troubles mentaux représentent près de 15 % de la charge de morbidité mondiale. Selon l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) le coût économique total des troubles mentaux est considérable. Aux Etats-Unis, les coûts directs du traitement ont été estimés à US $148 milliards par an, soit 2,5 % du produit national brut. Quant aux coûts indirects, ils sont deux à six fois plus élevés que les coûts directs dans les économies de marché développées, et ils risquent de représenter une proportion encore plus importante du total des coûts dans les pays en développement. Selon une récente enquête de l'OMS menée dans 130 pays, la pandémie de COVID-19 entraîne des perturbations ou une interruption des services de santé mentale essentiels dans 93 % des pays, alors que la demande de soins augmente. L'OMS a déjà signalé que la santé mentale est un secteur où l'insuffisance du financement est chronique : avant la pandémie, les pays consacraient moins de 2 % de leur budget national de la santé à la santé mentale et avaient du mal à répondre aux besoins de leur population. Aujourd'hui, la pandémie fait augmenter la demande de services de santé mentale. Le deuil, l'isolement, la perte de revenu et la peur entraînent ou aggravent des pathologies mentales. Beaucoup de gens consomment plus d'alcool ou de drogue et souffrent davantage d'insomnie et d'anxiété. Parallèlement, la COVID-19 peut entraîner des complications neurologiques et psychiatriques (état confusionnel, agitation ou accident vasculaire cérébral, par exemple). Les personnes qui présentent des troubles mentaux, neurologiques ou liés à l'usage de substances psychoactives sont également plus vulnérables face à l'infection. Les résultats de cette enquête sont très édifiants et en voici les principales conclusions. Les pays concernés par l'enquête, dont la Tunisie, ont signalé des perturbations généralisées de nombreux types de services de santé mentale essentiels : Plus de 60 % des pays ont signalé des perturbations des services de santé mentale destinés aux personnes vulnérables, ycompris les enfants et les adolescents. 67 % des pays ont constaté des perturbations des thérapies brèves et des psychothérapies ; Plus d'un tiers (35 %) des pays ont signalé des perturbations des interventions d'urgence, 30 % des pays ont signalé des perturbations de l'accès aux médicaments utilisés pour le traitement des troubles mentaux, neurologiques ou liés à l'usage de substances psychoactives. Environ les trois quarts des pays ont signalé des perturbations au moins partielles des services de santé mentale dans les établissements scolaires et sur les lieux de travail (78 % et 75 %, respectivement). Il ressort des estimations établies avant la pandémie de COVID-19 que la dépression et l'anxiété à elles seules entraînent une perte de productivité économique de près de 1000 milliards de dollars par an. Cependant, des études montrent que chaque dollar dépensé pour une prise en charge de la dépression et de l'anxiété fondée sur des bases factuelles rapporte 5 dollars. Ce que nous devons faire : A la lumière du déroulement de la crise du Covid-19 actuellement, et l'espoir qui se dessine d'un vaccin d'ici le premier trimestre 2021, la pression psychologique commence à tomber mais demeure importante. Cette crise laissera certainement des séquelles qui se manifesteront à plusieurs niveaux. Déjà la grogne sociale commence à se faire sentir dans les rues. La montée de la violence urbaine et les braquages est un signe imperturbable des impacts psychologiques de la pandémie. Il faut s'attendre aussi à un taux élevé de stress ou d'anxiété, des niveaux excessifs de solitude, de dépression, de consommation nocive d'alcool, d'usage de drogues, et de comportements auto-agressifs ou suicidaires. Une troisième vague MENTALE qui aura des impacts désastreux à laquelle il faudra donner beaucoup de vigilance. L'Etat doit se préparer en renforçant les cellules d'écoutes psychologiques, et en menant des programmes dans le milieu scolaire. C'est dans ce sens que récemment l'OMS a engagé un programme de soutien psychologique dans certaines écoles tunisiennes. Dans le plan d'action gouvernementale, la santé physique des tunisiens doit aller de paire avec la santé mentale. Il est important aussi d'instaurer des cellules de soutien et d'écoute psychologique dans les ministères et les établissements publics afin de soutenir les fonctionnaires qui représentent une grande partie de la population active en Tunisie. L'essentiel, est d'éviter que la Tunisie se transforme en un asile psychiatrique de plein air, si ce n'est déjà pas le cas à cause des tergiversions politiques et des problèmes économiques. Ben Heddia Abdellatif