Titulaire d'un diplôme d'ingénieur en génie civil de l'INSA de Lyon et d'un MBA, délivré par l'University of Vermont aux Etats-Unis d'Amérique, Ahmed Bouzganda, découvreur de talents et toujours en douceur, après un passage à Poulina, rejoint l'entreprise familiale S.B.F, spécialisée dans le Bâtiment et les travaux publics. La voix douce mais ton ferme, la plupart de ses interlocuteurs lui savent gré d'être toujours direct. « Il ne perd pas de temps à flagorner, mais s'exprime toujours avec bienveillance », nous dit l'un de ses collaborateurs du temps de l'IACE, pour qui, l'ancien patron de l'institut a toujours appelé de ses vœux l'émergence d'une Tunisie à « l'offensive entrepreneuriale », réconciliée avec le capitalisme et la réussite, avec le risque et l'argent, une Tunisie qui ne soit plus un enfer fiscal mais un site compétitif, concurrentiel et conquérant dans un environnement méditerranéen et international innovant et dynamique. Le teint légèrement hâlé, tiré à quatre épingles, l'œil scrutateur de celui qui puise son inspiration tout azimuts, l'entrepreneur-né de la 3ème génération de la famille Bouzganda, dont seule la persévérance, le collectif, l'esprit d'équipe et la transparence, des vertus managériales essentielles à ses yeux, nous dit-il, sont la clé du succès entrepreneurial, nous a reçus aimablement au siège du groupe et a bien voulu répondre aux questions de « L'expert ». Quand le bâtiment va...Tout va...Un slogan encore d'actualité ? Plus que jamais. Seulement, de nos jours, la crise économique et le Covid 19 aidant, les finances publiques sont dans un piteux état, ce qui est de nature à impacter négativement la réalisation des grands projets, le retour de la confiance et le climat des affaires. Pourtant, au début de 2020, le marché immobilier affichait de belles perspectives avec l'ouverture du parc aux clients maghrébins, désireux d'investir en Tunisie sans tracasseries administratives. La propagation de la pandémie, la première période du confinement à la fin du mois de mars 2020, les mesures draconiennes du gouvernement face à ce fléau et la fin de l'année généralement peu propice aux transactions ont sonné le glas de cette courte euphorie et quasi figé toute la chaîne immobilière. Ainsi donc, à la rentrée de septembre, le soufflé est un peu retombé, jusqu'à ce que, bis repetita, le marché subisse un nouvel arrêt forcé en octobre à cause d'une administration encore tatillonne, incapable d'honorer ses engagements envers ses fournisseurs dans les délais impartis et de décaisser les prêts des bailleurs de fonds internationaux, liés aux infrastructures, au bâtiment et aux travaux publics. Cela dit, en dépit de cette « annus horribilis », ce qui nous pousse à l'optimisme est que la propriété foncière demeure aux yeux des Tunisiens « synonyme de sécurité et de cocooning...C'est-à-dire l'antre de la vie sociale, familiale et amicale ». L'attractivité de la pierre est intacte. Les opérateurs économiques feront preuve de résilience en attendant l'embellie. Qui ne tardera pas. En dépit des incertitudes du moment. Quel regard portez-vous sur la loi de finances 2021 ? L'Etat fait de son mieux et je pense que depuis 2011, les lois de finances ont été conçues pour gérer le court terme, ce qui a le mérite de garder un semblant de fonctionnement au pays. L'actuel gouvernement fait de son mieux mais l'absence de vision dans le budget est intimement liée à la persistance de l'instabilité politique chronique. A mon avis, le titre II, en baisse depuis des années, devrait gagner en ampleur afin de dynamiser la croissance, de donner plus de visibilité aux donneurs d'ordre économiques, laissant ainsi les entreprises sortir naturellement de l'activité partielle au fur et à mesure de leur retour à meilleure fortune. In fine, partout dans le monde, le recours à une augmentation de la dette publique s'est révélé incontournable. La loi de finances est là, mais il va falloir faire plus simple et donner plus de signaux d'encouragements aux investisseurs locaux et internationaux, car avec les mutations du Covid 19, on ne sait pas encore de quoi l'avenir sera fait. L'enjeu principal de la loi de finances complémentaire, prévue en mars prochain, est d'assurer la relance économique, d'étaler dans le temps le remboursement de la dette et de marquer une année 2021 charnière. Car, symbole, espérons le, d'une période de transition après la pandémie de coronavirus puis par l'entrée de plain-pied dans l'ère post-Covid. L'an 2020 du Covid 19 est à oublier au plus vite... N'est ce pas ? Qui aurait pu imaginer un tel retournement de situation ? Un tel épisode ? Dans la souffrance, les entreprises tunisiennes ont repoussé les frontières de l'inconnu, avec l'obligation de s'adapter, de survivre et de préserver le capital humain des vicissitudes du chômage. Il fallait, tout au long de la crise sanitaire et au gré des confinements, continuer à avancer, à honorer nos engagements nationaux et internationaux, à protéger et à rassurer les équipes, en mettant en place un protocole sanitaire rigoureux. Au travers de tout mon parcours professionnel, je n'ai pas le souvenir d'une telle intensité émotionnelle. A l'issue de la première vague du Covid, nous avons adopté des références à même de synthétiser toutes les bonnes pratiques face à la pandémie, de sécuriser nos équipes de première ligne et de prioriser une stratégie communicative, fondée sur « les calls », les vidéoconférences, les mailings et les vidéos. Au fait, il me fallait être agile et réactif, capable de subir la météo sanitaire et politique- souvent versatile- tout en gardant le cap, veillant à ce que la gestion de cette instantanéité soit au service d'objectifs à moyen et long terme du groupe SBS. Comment est organisé votre emploi du temps ? Cela démarre pour moi le dimanche après-midi : Je fixe les principaux jalons de la semaine à venir. Le lundi matin, je réunis mes proches collaborateurs pour faire le bilan de la semaine écoulée et se donner les priorités. Le cadre général est ainsi dessiné. Les journées au sein du groupe SBS sont très rythmées tout en accueillant des moments plus informels autour d'un café, qui permettent aussi de rebondir sur de nouvelles idées. Quel monde d'après-crise envisagez-vous pour l'entreprise ? La situation est contrastée selon les secteurs. Mais c'est d'abord un monde avec des idées reçues en moins car l'essor du télétravail est une vraie rupture, alors que plusieurs observateurs en Tunisie considéraient certains métiers immuables. Ce sont aussi des convictions qui se voient confortées à l'instar de l'e-commerce dont le rayonnement était déjà latent, la digitalisation croissante et la responsabilité sociale de l'entreprise dans un environnement de plus en plus politisé et revendicatif. Désormais, le monde de l'après-crise sanitaire fera la part belle aux opérateurs économiques qui promeuvent toujours plus de solidarité. Le virus a impacté notre santé mais c'est aussi un accélérateur de l'histoire économique de première ampleur. Cautionnez-vous l'indépendance de la banque Centrale de Tunisie ? Bien entendu, le rôle primordial de la Banque Centrale de Tunisie est de préserver son indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics, d'encourager le taux d'épargne, de crédibiliser ses relations avec les instances financières internationales et de s'opposer, autant que faire se peut, à un retour massif de l'inflation, une tendance cauchemardesque pour le pouvoir d'achat des citoyens. Ce qui a d'ailleurs poussé M. Marwane Abassi, l'actuel Gouverneur, à continuer à s'afficher, face au gouvernement, en lanceur d'alertes et en défenseur d'une ligne budgétaire et monétariste orthodoxe. Message aux uns et aux autres : La BCT ne dépensera jamais à foison pour irriguer un gouvernement, désireux de laisser filer les déficits, incapable de sécuriser radicalement ses sites de pétrole et de phosphates. En butte à une fronde sociale permanente Depuis 2011. Cela dit, dans cette bataille budgétaire qui oppose les forces inflationnistes aux forces déflationnistes, la survie de la Tunisie est dans la balance. Dans un contexte de crise sanitaire aigue. De chômage endémique. D'absence de croissance. De retenue de l'investissement. La BCT est dans l'obligation de trouver une solution médiane, concertée avec la Kasbah, hantée par la dette, la reprise démocratique de la politique monétaire, le bouclage du budget et la relance économique. L'Afrique, un potentiel d'avenir pour l'entreprise tunisienne ? Oui, un continent porteur d'avenir. L'Afrique est un vecteur de croissance pour la Tunisie et un espace de redéploiement vital pour l'entreprise Tunisienne, spécialisée dans le bâtiment et les travaux publics. Notre présence dans les pays africains francophones est bien appréciée et les opportunités demeurent d'actualité à partir de nos bastions traditionnels à l'image de la Mauritanie, la Libye et l'Algérie où nous bénéficions d'un « branding » à même de consolider nos positions et de permettre des projections prometteuses en Afrique sub-saharienne à l'instar du Niger, du mali et du Tchad. Le système bancaire, la CTN, Tunis-Air, la diplomatie tunisienne doivent accompagner le secteur privé dans son agenda offensif au niveau du continent africain afin de conforter l'accès aux marchés locaux, de protéger les entreprises Tunisiennes en cas de litige et d'accumuler de la cohérence, de la synergie et de la confiance dans cet odyssée entrepreneurial. Quels sont les objectifs de votre groupe à court et moyen terme ? Après une année marquée par une crise sanitaire inédite depuis un siècle, que nous avons vécu comme une dépossession de notre maîtrise de l'avenir, il va falloir consolider nos acquis en Tunisie et en Afrique, mettre en œuvre nos convictions autour du monde « d'après », faire évoluer notre modèle d'affaires, favoriser la mise en place d'outils d'optimisation des processus de production, numériser encore davantage nos départements administratifs, trouver un terrain d'entente avec l'Etat à propos des créances encore en suspens, faire preuve de résilience afin de permettre à nos employés de s'épanouir, de retrouver le rythme d'avant la crise, de jeter les bases d'un nouveau cycle de croissance pour SBF et de contribuer à l'effort national, lié à la construction de nouvelles infrastructures et à la promotion du site Tunisie dans son environnement méditerranéen. Propos recueillis par Imededdine Boulaâba