Voici un nom qui, cinq années auparavant, n'était connu que par une poignée d'universitaires, chercheurs et bien sur quelques chefs d'entreprises. Mais voici que son nom surgit subitement et fait la Une de tous les médias tunisiens. Ce jeune, dynamique et discret, honnête et haut cadre de l'Etat, fut limogé et une campagne bien orchestrée par le clan Chahed, voulait à tout prix le salir. Cependant, cette campagne se retourne contre son instigateur et les Tunisiens, peu à peu, découvrent les dessous de cette manipulation malsaine. Au fait, toutes les investigations journalistiques nous font découvrir que Khaled Kaddour n'est qu'une vraie compétence tunisienne, nationaliste, fils d'un grand militant syndicaliste, un fin stratège que la Tunisie comme tant d'autres compétences n'a su les préserver et c'est sous d'autres cieux qu'il a décidé d'aller exploser ses talents, sans toutefois couper le cordon ombilical qui l'uni à sa chère Tunisie. Il nous a gratifié deux chefs d'œuvres qui feront l'objet de notre interview ci-joint. Vous avez axé toujours vos approches de développement sur le duo énergie-nouvelles technologies. Ne croyez-vous pas que d'autres dimensions doivent être prises en considération notamment le social, le culturel, l'économique et surtout la gouvernance ? Effectivement, il est nécessaire d'élaborer une vision globale. D'ailleurs je viens de publier, le mois dernier mars 2021, un livre intitulé : « Transformation stratégique de la Tunisie – Des futurs qui n'ont pas eu lieu aux futurs possibles ». L'objectif est de participer à la réflexion pour une sortie de la crise et une construction d'un futur meilleur pour notre pays, sur la base d'une démarche prospective stratégique à un horizon à plusieurs temporalités. Cette démarche a permis la construction d'un système final comprenant 88 variables regroupées en 30 dimensions et 7 composantes : (1)Enjeux sociétaux et culture (2) Système politique, gouvernance et sécurité (3)Dynamique de la population et de l'espace (4)Ressources humaines, transfert technologique et innovation (5)Ressources naturelles et transitions énergétiques et écologiques (6)Compétitivité, mutations économiques et transition digitale (7) Défis de la région et coopération internationale Concernant la première partie de votre question, j'ai présenté une vision globale pour le développent du désert tunisien (1/3 de la superficie du territoire national), cette vision représente une illustration de mon approche où les énergies renouvelables et les nouvelles technologies constituent le cœur du projet et les piliers de développement économique et social de la région. Je pense que le Sahara est l'avenir de la Tunisie et son développement durable permet de concilier les transitions économiques, énergétiques et écologiques. C'est un nouveau levier de croissance pour le pays. les années se suivent et se ressemblent pour la Tunisie. Notre politique énergétique est restée depuis plus d'une décennie inchangée, alors que le monde change à une vitesse vertigineuse. Selon vous, quelle est la meilleure approche pour assurer au pays une meilleure gestion de sesressources naturelles, mais aussi de ses approvisionnements ? Le secteur de l'énergie a été fortement impacté par l'instabilité politique du pays en plus des compagnes menées par certaines politiques et même par le gouvernement en 2018 par la dissolution du ministère et le limogeage de tous les directeurs généraux. La production d'hydrocarbures en Tunisie ne cesse de diminuer, elle est passée d'environ 90 000 b/j en 2010 à 32 000 b/j en 2020. Cette diminution est aggravée par l'article 13 de la constitution et les tensions sociales. Le désengagement récent de deux des plus grandes entreprises pétrolières n'augure pas de bonnes nouvelles pour l'avenir. Ce secteur sinistré est confronté essentiellement à un problème politique et de gouvernance. Pour son redressement, il est nécessaire d'avoir d'une volonté politique claire et volontariste, une vision d'anticipation et une équipe compétente et audacieuse pour mener les réformes nécessaires pour assurer la sécurité énergétique du pays Prenons secteur par secteur, quelles sont les voies de sortie et de développement de ces activités : -Le phosphate -Le pétrole avec ses deux axes, recherche et approvisionnement. -Les énergies renouvelables Les deux secteurs des phosphates et du pétrole sont des secteurs sinistrés. La reprise du rythme normal de l'activité et de la production nécessite l'élaboration d'une vision globale des régions productrices et non seulement la production des ressources naturelles. Le phosphate. La Société de Phosphates Gafsa connaît une situation financière alarmante, puisque les pertes financières pour l'année 2019 sont estimées à 480 millions de dinars, et que le coût de production a doublé 4,12 fois en 9 ans en plus des charges de 7 entreprises environnementales (Metlaoui – Om larayes – Redeyef – Mdhila – Gafsa – Gabès et Sfax), qui emploient 12 200 personnes, estimés à 170 millions de dinars en 2019. C'est une situation insoutenable en raison de ses répercussions négatives sur la sécurité, la stabilité, la création des projets économiques et le développement humain. Elle a aussi un impact sur les citoyens, les travailleurs, la région et l'économie nationale. S'il y a la volonté politique, la solution passe par la restructuration du secteur, le développement des zones minières et agricoles et la diversification des activités de la région sur la base de l'équilibre entre l'économique, le social et l'environnement. Le pétrole. Il est urgent de revoir le code des hydrocarbures pour améliorer l'attractivité du pays dans le but de développer la recherche, l'exploration et la production. L'article 13 de la constitution doit être revu ou clarifier pour permettre l'amélioration des délais d'octroi des permis et des concessions dans le cadre de l'amélioration du climat des affaires en général. Les énergies renouvelables. Stratégiquement il faut accélérer la transition énergétique. Le monde de l'énergie en 2050 sera très différent de celui d'aujourd'hui. Il faut s'orienter vers la mise en place d'un système énergétique plus propre, plus intelligent et plus concurrentiel. Une politique volontariste de maîtrise de l'énergie permettra à la Tunisie d'améliorer par le double l'intensité énergétique de l'économie, elle passerait de 360 kep actuellement à 180 kep en 2050. L'économie globale d'énergie pourrait atteindre 50% à l'horizon 2050, le secteur de transport, le mieux indiqué pour contribuer à la réalisation de cet objectif, pourrait économiser 50% de sa consommation alors que le secteur de l'industrie serait appelé à économiser 30 % de sa consommation. Dans ce cadre, il est important d'accorder une priorité à l'accélération de l'accès aux technologies énergétiques avancées tels que les énergies renouvelables et leurs stockage, la mobilité électrique, l'hydrogène et piles à combustible. Un programme d'accélération des projets d'énergie renouvelable a été lancé en 2018 afin d'atteindre un objectif intermédiaire de 21% en 2022 et l'objectif final de 30% en 2030. Ce plan repose principalement sur les centrales à grande échelle de source éolienne et solaire avec un partage ciblé entre l'investissement privé et public. Un appel d'offre a été lancé en 2018 et les projets de 500 mégawatts photovoltaïques ont été accordé à des entreprises mais malheureusement jusqu'à maintenant il n'y a pas eu de concrétisations. Vous avez à maintes reprises employé le mot « La prospective stratégique ». Ça consiste en quoi ? La prospective et la stratégie se sont développées dans des contextes différents mais entendent pourtant répondre à un même défi celui de l'anticipation nécessaire à l'action. Le couplage prospective-stratégique, c'est la manière d'utiliser la prospective comme outil d'identification des pistes stratégiques et de définition des projets, des programmes et des plans d'action. C'est ce qui répond au mieux à la situation actuelle de la Tunisie. Il est nécessaire d'élaborer une vision prospective stratégique globale à un horizon progressif à plusieurs temporalités pour répondre aux défis multidimensionnels. On commence tout d'abord par l'exploration des futurs possibles, ensuite choisir le scenario souhaitable et enfin présenter un programme de travail selon un plan réalisable dans les délais prévus. C'est à dire passer de la réflexion à la réalisation. Certains vous reprochent votre tendance un peu de gauche (socialiste). ? Certaines personnes de droite me reprochent la tendance de gauche, comme vous le dites, et vice versa avec les personnes de gauche qui me reprochent la tendance de droite libérale. D'ailleurs, j'ai beaucoup d'amis et d'affinité dans les deux camps. En fait, je suis pour l'efficacité et pour les projets rentables et durables. Face à la situation critique de dépendance énergétique de la Tunisie, j'étais plus que convaincu que la diversification des ressources énergétiques à travers l'implémentation des projets d'énergies renouvelables ne présentent plus un luxe et une étiquette ; mais plutôt une nécessité urgente. C'est ainsi que pendant mon passage de Ministre chargé de l'Energie je n'ai pas hésité à multiplier par 5 la puissance des projets de production de l'électricité à partir des énergies renouvelables passant de 200 mégawatts à 1000 mégawatt dans le cadre de stimulation des investissements privés. L'appel d'offre a été lancé en 2018 dans le cadre des concessions. D'ailleurs, on a reçu des prix de vente d'électricité non subventionnés entre 70 et 100 millimes le kWh contre un coût de l'ordre de 180 millimes par kWh pour le conventionnel ; et c'était notre objectif de minimiser le déficit énergétique qui ne cesse de se creuser ainsi que son impact néfaste sur la balance commerciale. Je n'accepte pas que l'Entreprise Publique, qui fournit un service public prend en charge, même en partie, des coûts qui ne lui sont pas propres, car il y aura toujours quelqu'un qui payera la facture et dans ce cas c'est le contribuable tunisien. En plus, on est obligé d'aller vers un ciblage des subventions de l'énergie afin d'alléger ce fardeau sur le Budget de l'Etat et sur les résultats financiers des Etablissements publics comme la STEG et la STIR. Le ciblage repose principalement sur l'équité sociale et le passage des subventions aux consommateurs vers des subventions aux producteurs rationnalisées. Actuellement dans une période de crise mondiale et des transformations profondes, les notions de gauche et de droite n'ont plus de sens. C'est l'efficacité qui prime. Ceci dit, je reste attaché aux valeurs progressistes de la gauche : la liberté, la solidarité, l'égalité des chances, la justice sociale ; le tout dans l'optique d'une économie sociale du marché. Je pense que la question qui demeure en sus c'est « comment réinventer le progrès dans le cadre d'un développement durable basé sur l'équilibre des trois piliers ; l'efficacité économique, la justice sociale et la protection de l'environnement ». B.H.A