Restant pour longtemps une région relativement méconnue, la Mer Noire est actuellement au centre des calculs stratégiques et géopolitiques des acteurs les plus puissants sur la scène internationale, tellement les enjeux y sont importants. Une importance qui dépasse de loin les intérêts des six Etats riverains (Russie, Ukraine, Roumanie, Bulgarie, Géorgie, et Turquie), même si le positionnement strictement géographique suffit à démontrer la valeur stratégique d'une mer rapprochant l'Europe orientale et balkanique, l'Eurasie et la Méditerranée orientale. Sur le plan énergétique, nombreux sont les gazoducs et oléoducs qui traversent les pays de la région. Le nombre des pétroliers qui passent quotidiennement par le détroit du Bosphore avoisine la trentaine. A la fin d'une guerre froide (la première certains diraient) remportée par les Etats-Unies, la redistribution des cartes a été incontestablement en faveur de Washington dans cette zone. Dés lors, nombreux observateurs n'hésitent pas à traiter la Mer Noire de « quasi-américaine ». Quant à l'Union européenne, ses intérêts dans la région coïncident avec ceux des Etats-Unies. Pour cette raison, le rapprochement des positions des deux pôles est manifeste. La coordination de leurs actions est de haut niveau. Il est clair que, sur ce dossier, ils forment une seule équipe bien soudée.
Moscou, pour sa part, ne transige pas sur le Caucase, sur ce que le Kremlin désigne par « étranger proche ». Pour la Russie, cette région a toujours constitué une ligne rouge. Une ligne qui ne peut être franchie sans porter menace, voire atteinte, à sa sécurité et à ses intérêts vitaux. Auparavant, le blocage des solutions pour les conflits dans les nombreux foyers de tension (la Transnistrie, l'Ossétie du Sud, le Haut-Karabagh et l'Abkhazie) était l'arme principale de Moscou. Mais aujourd'hui, avec un rééquilibrage de force avantageux, face aux U.S.A étouffées par les années Bush junior et compagnie, les Russes ont durci aussi bien leur discours que leur action. Comme le prouve la dernière crise Géorgienne, la Russie semble prête à éveiller la guerre froide et n'épargne point les guerres « chaudes » pour défendre ses propres intérêts et sa profondeur stratégique. Par cette attitude qui ne se démentit pas, la Russie entend bien marquer la fin d'une époque et le début d'une nouvelle ère géopolitique fondée sur une équation égalitaire. Bref, une quête de puissance explicite accompagnée d'une démonstration de force.
Au-delà de cet aspect en quelque sorte générique, le conflit qui a opposé la Russie à la Géorgie offre un exemple parfait qui illustre les enjeux inhérents au contrôle de la région. La question énergétique est certes en première ligne. Moscou fait de son mieux pour entraver les projets occidentaux sur le territoire géorgien, notamment les projets de construction d'infrastructures destinées à l'évacuation des hydrocarbures de la Mer Caspienne sans passer par la Russie. Nul doute, les conséquences de la concrétisation de projets pareils seront très graves pour les Russes, car ces projets visent essentiellement à briser leur monopole, ôter leur « arme énergétique » et rayer leur pays de l'échiquier énergétique de la région et de l'Europe entière. Concrètement, c'est en cherchant à éviter ce scénario drastique que la Russie procédait à signer, fin 2007, des accords avec les républiques d'Asie centrale. L'objectif de ce pas était de fragiliser le projet -si cher à la Commission européenne- du gazoduc « Nabbucco » permettant d'assurer un accès direct aux ressources de la Caspienne. L'Asie centrale devient ainsi une variable importante de la donne énergétique russe, permettant au Kremlin de tenir ses livraisons tout en consolidant son ascendant sur l'UE, son premier client. Cela étant, le statu quo maintenu en Géorgie ne peut être que favorable à la Russie. Il décourage les investisseurs et les entrepreneurs opérant pour le compte des Européens et gèlerait, du coup, le processus d'adhésion de ce pays déstabilisé à l'Otan.