Le concept de développement qui fut l'idéologie dominante du demi-siècle de l'après-guerre doit céder la place à un autre concept, à savoir le développement durable qui n'est autre qu'un mode de fonctionnement des sociétés humaines qui permette d'assurer leurs besoins actuels sans compromettre l'avenir en épuisant les ressources. L'économiste Catherine Aubertin le définit comme «une ambition normative d'établir un état de bien-être universel en écologisant et en économisant l'économie». La problématique du développement durable s'articule autour de la durabilité, c'est-à-dire la façon de gérer ces ressources. La Tunisie qui, au lendemain de son accession à l'indépendance, a mis toutes ses capacités au service du développement, n'a ménagé aucun effort pour mobiliser ses ressources naturelles en vue de leur valorisation: forages de puits, construction de barrages, mise en valeur des terres et création et mise en eau de périmètres irrigués dont la superficie est passée de 50.000 ha en 1956 à 420.000 ha en 2008. Cette évolution suivie d'un accroissement de la production agricole a été le résultat d'une pression accélérée sur les ressources nationales. On peut dire que la réussite économique s'est faite au détriment des ressources naturelles. L'accès aux ressources hydriques, notamment souterraines, pour satisfaire une demande sans cesse croissante a entrainé une surexploitation des nappes phréatiques, atteignant les 190% dans certains cas. On dénombre près de 166.000 puits de surface captant ces aquifères.
Le secteur agricole a pu ainsi réaliser de grandes performances grâce aux efforts déployés tant au niveau de la maîtrise des techniques culturales qu'à celui des investissements consentis. Son taux d'accroissement a dépassé les 3,5% par an. Bien que son taux de participation au Produit National Brut se soit stabilisé aux environs de 13% durant les deux dernières décennies, sa production n'a cessé d'accroître grâce à l'utilisation des engrais chimiques, des pesticides et de la mécanisation.
Autant de facteurs qui nuisent à la durabilité de ce secteur qui est de surcroît malade du morcellement des terres, d'une quasi-absence de structures de bases professionnelles et d'une organisation du circuit de distribution. Cette situation qui est loin de faciliter et garantir la durabilité du secteur, d'autant qu'il sera de plus en plus soumis aux effets du changement climatique a fait l'objet d'une profonde réflexion. Cinq études stratégiques ont été engagées dans le cadre d'une coopération entre le ministère de l'Environnement et du Développement durable et l'Office Allemand de la Coopération technique et de dans cinq gouvernorats. Les gouvernorats de Nabeul, Bizerte, Le Kef, Sidi Bou Zid et Gabès ont été pris comme représentatifs des écosystèmes. Le gouvernorat de Nabeul est représentatif des périmètres irrigués intensifiés et des zones envahies par l'urbanisme. Pour ce qui du gouvernorat de Gabès qui n'est pas représentatif d'autres écosystèmes, il a tout simplement été choisi pour faire l'objet d'un Plan d'Action Régional à l'instar de celui réalisé pour le gouvernorat de Kébili. Le gouvernorat de Bizerte est représentatif des régions céréalières et des zones montagneuses.
Les études stratégiques engagées visent à renforcer l'approche de la durabilité de l'agriculture à travers l'étude des systèmes agraires adoptés et les répercussions de ces systèmes sur la pérennité des ressources naturelles dans les régions intéressées. Les études doivent par ailleurs permettre de définir des indicateurs concernant la dégradation des ressources naturelles. Ces études se sont déroulées en trois étapes. Tout d'abord chacun des cinq groupes d'études a procédé à une analyse exhaustive des divers documents et études faites précédemment. Une attention particulière a été accordée à celles relatives aux capacités compétitives et à la durabilité du développement agricole en Tunisie et dans les cinq gouvernorats intéressés, en plus de l'adaptation du secteur aux diverses pressions exercées sur les ressources naturelles et les impacts attendus des changements climatiques et les exigences de la mondialisation et de l'ouverture du marché tunisien.
Au cours de la deuxième phase, les groupes d'experts ont identifié les principales régions qui se ressemblent pour les inclure dans des systèmes agraires et déterminer les impératifs d'une action de nature à garantir la durabilité du secteur aux divers niveaux régionaux, locaux et au niveau de l'exploitation.
La troisième phase de l'étude concerne les recommandations et les solutions susceptibles de garantir l'objectif final.
Cette partie met l'accent sur les dangers qui menacent le secteur dont le morcellement des parcelles qui se poursuit infernalement et le non accès des petits et moyens agriculteurs aux crédits. Elle relève aussi la désertification ou la dégradation des ressources naturelles, notamment dans les régions de parcours, qui constitue un handicap pour la promotion de l'élevage extensif. Le document met l'accent sur la nécessité d'une meilleure intervention de la profession au niveau de la sensibilisation de l'encadrement et du soutien du producteur, notamment au niveau de la garantie des services nécessaires, de l'écoulement de la production et de sa valorisation. Les services de l'Etat doivent exercer un rôle plus dynamique et vigilant pour imposer le respect des lois et mettre fin aux agissements irresponsables, particulièrement en ce qui concerne les forages illicites et l'exploitation abusive des nappes phréatiques.