L'émission religieuse "Sahha Chribetkom", présentée par Abdelfattah Mourou, avocat et membre fondateur du Mouvement "Ennahdha", et diffusée à partir du premier jour de Ramadan sur la chaîne "Hannibal TV", a suscité de vives critiques de la part d'acteurs politiques et médiatiques, dont certains l'ont considéré comme "balisant la voie devant une propagande politique sous couvert de la religion. " L'Instance nationale pour la Réforme de l'Information et de la Communication (INRIC) indique, dans un communiqué rendu public, mardi, avoir reçu de la part des membres de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, de certains partis politiques, ainsi que de représentants de la société civile et de journalistes, des correspondances critiques concernant l'émission en question. L'INRIC considère qu'il s'agit là d'une transgression de la règle de neutralité, impérative en cette conjoncture délicate que vit le pays à la veille d'élections décisives. Elle recommande à "Hannibal TV" de surseoir à diffuser ce programme où risqueraient de se confondre propagande politique et prédication religieuse", l'exhortant à "confier la présentation de telles émissions à des théologiens indépendants."
Le communiqué comprend également des critiques acerbes contre la chaîne et son promoteur "qui exploite des ressources publiques et qui est, partant, tenue, dans le cadre de son accord conclu avec les autorités publiques, d'honorer ses engagements contractuels, notamment l'obligation de respecter la neutralité dans le traitement des questions relatives à la chose publique."
M. Mourou, précise le communiqué, est un dirigeant politique, étroitement lié à l'un des partis connus de la scène tunisienne (Ennahdha, ndlr), "parti au nom duquel il a souvent participé à des meetings et à des talk-shows télévisés, au point que des informations ont circulé au sujet de sa conduite de la campagne électorale de ce parti."
Le président du Mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi avait déclaré, le 23 mai dernier, au cours de l'émission "Al Hadath", diffusée sur "Radio Tataouine", que Abdelfattah Mourou allait diriger la campagne électorale d'Ennahdha pour l'accès à l'Assemblée Constituante.
Les critiques parvenues à l'INRIC et exprimées sur les médias et les réseaux sociaux émanent, principalement, de partis à tendance de Gauche. Le Parti Démocratique Progressiste (PDP) a, en effet, affirmé, dans un communiqué publié lundi qu'"offrir une tribune quotidienne à l'un des fondateurs et militants d'Ennahdha pour mener sa propagande politique, sous couvert de la religion, est une transgression de la saine émulation politique."
De son côté, le Forum Démocratique Pour le Travail et les Libertés (FDTL) insiste sur l'impératif de garder l'Islam comme dénominateur commun et comme facteur d'unité pour l'ensemble des Tunisiens, appelant les médias à "ne pas ouvrir ses tribunes aux symboles des partis et des courants politiques pour leur permettre de faire l'amalgame entre propagande politique et prédication religieuse."
Pour sa part, "Afek Tounes" affirme, dans un communiqué publié la semaine dernière, que cette émission télévisée reflète "un double langage et une dualité des rôles", faisant remarquer qu'"avancer l'argument de l'éducation religieuse et présenter Abdelfattah Mourou comme étant une personnalité indépendante", à travers cette émission relève de la pure et simple tromperie et consiste en une manipulation criante de l'opinion publique, en cette période pré-électorale.
M. Samir Bettaieb (Mouvement Ettajdid) avait récemment souligné, lors d'une intervention à la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, que "Abdelfattah Mourou n'est pas un homme de religion mais plutôt un politicien qui appartient à un courant à tendance religieuse", ajoutant que "l'animation d'une émission télévisée est une atteinte au pluralisme et au processus démocratique."
Le Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT) s'est dit, mardi, vivement préoccupé par le recours à la propagande illégale au service d'un mouvement politique et d'un établissement médiatique, ce qui est susceptible de "menacer la transparence et l'objectivité de la mission médiatique" qui se doit d'être à l'écart de toute influence financière, politique, religieuse ou sociale, particulièrement en cette phase transitoire sensible.
Joint par téléphone, M. Mourou a déclaré, mardi, à l'agence TAP que ces critiques sont "une attaque menée par des partis politiques" qui ont enregistré, tous courants confondus, "une forte présence sur les plateaux des chaînes télévisées et radiophoniques", une présence qui dépasse de loin son taux d'apparition dans les médias.
Il a précisé avoir fait preuve d'une "grande vigilance pour qu'il n'y ait aucun risque d'amalgame entre le religieux et le politique dans cette émission."
"Je ne renoncerai pas à la présentation de cette émission, a-t-il affirmé, dès lors qu'il n'existe pas de texte juridique prohibant une telle activité et que ces critiques n'ont pas émané d'instances nationales élues."
M. Mourou a, en conclusion, nié appartenir au Mouvement Ennahdha, déclarant avoir refusé de diriger sa campagne électorale comme l'avait précédemment déclaré M. Rached Ghannouchi.
Egalement contacté par l'agence TAP, le ministère des Affaires religieuses s'est abstenu de tout commentaire concernant l'émission télévisée en question, arguant que "cette affaire relève de la polémique politique."