On nous demande ces derniers temps de « remettre nos pendules à l'heure » d'hiver ! Soit, encore faut-il que nous ayons des montres à nos bras ! La montre, cet objet si précieux il y a seulement quelques années, semble avoir cédé sa place à d'autres gadgets capables d'accomplir la même fonction. En effet, les jeunes et les adultes ont tendance aujourd'hui à lire l'heure sur l'écran de leurs téléphones portables multifonctionnels ou sur celui des calculatrices électroniques et des stylos branchés qu'ils utilisent plus fréquemment chez eux ou sur le lieu de travail. Cela fait même vieux jeu de nos jours de porter des montres bracelets. Chez nous, le commerce des horlogers connaît peut-être en ce moment une des crises les plus graves de son histoire.
L'horlogerie menacée Nous l'avons d'abord constaté en nous rendant chez un commerçant de la Rue Charles de Gaulle. L'amertume se lisait dans les traits et les propos de cet horloger qui trouve que les Tunisiens n'ont plus le sens des belles choses : « Ils achètent de la camelote à Boumendil ou à Moncef Bey et invoquent à tout bout de champ le manque de moyens. Après ça, ils viennent-en cas de panne- vous demander de réparer cette marchandise jetable. Dieu sait pourtant que nous vendons des montres fiables et solides à un prix raisonnable. » Il ajoute que les grandes fabriques s'adaptent aujourd'hui aux goûts et aux bourses des consommateurs et nous invite à apprécier une gamme de montres au design séduisant et au coût tout à fait convenable. Les vitrines de la boutique étaient certes bien achalandées mais à l'intérieur les étagères vides n'étaient pas rares. Les peu de clients qui visitaient le local venaient réparer une vieille montre ou en recharger une autre qui marche à la pile électronique. Du côté de la Rue Mongi Slim, un horloger annonce sur une petite affiche la mise en vente de son commerce. Quelques mètres plus loin, dans une boutique qui ressemble à un bouge, le maître des lieux nous accueille avec sa mine presque défaite et confirme sur un ton désabusé les appréhensions de son collègue de la Rue Charles de Gaulle : « Un jour, nous fermerons tous boutique. Même mes enfants ne portent plus de montres. Pourquoi donc en vouloir aux autres ? ».
Des montres pour frimer Pourtant, les horlogers du Colisée comme ceux de l'Avenue de France exposent en ce moment une marchandise de luxe et leur commerce ne semble pas à première vue menacé. Seulement, nous sommes passés et repassés tant de fois devant ces boutiques et n'avons pas constaté que les affaires allaient à merveille. Ce que nous avons remarqué en revanche, c'est que les horlogers tunisiens, partout où ils se trouvent, sont plus des réparateurs que des vendeurs de montres et autres réveils et pendules. La montre est désormais perçue comme un objet inutile à moins qu'elle ne soit de marque et présente diverses options susceptibles d'impressionner l'entourage. Les snobs de tout acabit aiment frimer avec une Swatch de la dernière génération ; mais au prix où elle est vendue dans les boutiques de luxe, ils se contentent d'une imitation beaucoup moins chère achetée à la Rue Zarkoun ! Ils sauront ensuite la faire passer pour un cadeau suisse à l'authenticité certifiée. Un étudiant en médecine, Béchir Mchiri, jure qu'il n'aime pas ce genre de parade ridicule. Il portait une montre plutôt simple quand nous l'avons abordé : « Elle appartient à mon oncle et cela me suffit qu'elle indique l'heure et la date ! ». Qui sait si, une fois docteur, l'ami Béchir gardera encore à son bras ce bijou d'un autre temps ! A ce propos, les montres contrefaites ou franchement sans valeur infestent les commerces du marché parallèle. En Europe, une telle marchandise est régulièrement saisie et vouée immédiatement à la destruction. Tout comme les horloges et les pendules proposées parfois à seulement deux dinars la pièce. Les citoyens en achètent par lots de trois ou de quatre ; il en est de même pour les petits réveils à deux sous et à la vie extrêmement courte. Il est fréquent aujourd'hui de voir dans les maisons des pendules irréparables (simples ou à balancier) qui gardent quand même leur place sur les murs du couloir ou ceux du salon : c'est vous dira-t-on juste pour le décor !
Une ceinture à trois mille dinars ! Autrefois, offrir à sa fiancée une montre en or était une obligation à laquelle il ne fallait jamais faillir. « Seuls les provinciaux perpétuent cette tradition », nous confie un horloger de la Rue de Bab el Jazira. En effet, les bijoutiers de La Médina le savent et commercialisent encore ce type de présents parce qu'une bonne partie de leur clientèle vient des villes de l'intérieur. Sur les écrins des magasins de haut standing, des montres pour femmes sont également exposées mais elles coûtent les yeux de la tête. On propose aussi des montres de poche à 1300 dinars ; les moins chères reviennent à plus de 200 dinars et notre horloger de La Rue Charles de Gaulle de comparer nos prix à ceux des grandes boutiques de Dubaï et de Londres : « Regardez, nous dit-il en feuilletant un numéro spécial du Figaro, une ceinture de montre qui coûte à elle seule 3000 dinars ! Et l'on vient nous reprocher après ça la cherté de nos produits ! ». Le parallèle est pour le moins déplacé en ces temps de crise mondiale !
Spectacle désolant Nous ne terminerons pas sans nous interroger sur le sort réservé à plusieurs horloges géantes installées à l'entrée de nombreuses villes du pays. Celle de la grande avenue de la capitale mise à part, toutes les autres sont soit détraquées soit complètement démontées. Dans certaines villes, le spectacle de leurs cadrans brisés ou salis de partout désole visiteurs et habitants à la fois. Cela tourne au ridicule lorsque les aiguilles de ces horloges affichent 14 heures à midi et minuit à 8 heures du matin ! Heureusement que nos fonctionnaires ne se fient pas à ces grosses montres, autrement leur légendaire ponctualité en prendrait un coup de plus !