Générosité sans limite… D'une jeunesse déterminée De notre envoyée spéciale: Fatma MOUSSA
Dhiba… appellation magique d'une cité lointaine( 700 km à l'extrême sud-est de la Tunisie) sortie des sables comme point de passage frontalier avec la Libye d'où ont afflué massivement des réfugiés fuyant les mauvaise conditions sécuritaires dans ce pays frère… «L'Expert», après Ras Jdir et les péripéties d'une odyssée qui a duré plusieurs jours au vu de l'importance de ce point de passage principal, a jugé utile d'être présent à Dhiba, autre point de passage connu et lointain. Un tronçon de route Tataouine-Dhiba de 127 km totalement vide… effectué dans le silence, accompagné uniquement du bruit de moteur de notre véhicule (louage) et de ma mère qui a tenu à faire le voyage avec moi car, elle aussi, ne peut supporter de me laisser seule faire ce périple et réaliser cette mission sans m'accompagner et me «protéger». Elle aussi tient à saisir l'occasion pour voir Dhiba… Un premier poste de garde situé à Remada est vite dépassé pour reprendre la longue route désertique mais heureusement bitumée. Arrivée à bon port, me voilà dans une simple et charmante agglomération qui compte près de 4.000 habitants…
Les premiers signes sont là…une affluence de réfugiés de différentes nationalités traversent le point de passage vers la Tunisie. Ils sont 7300 personnes à avoir transité depuis 15 jours… Des Tunisiens, bien sûr. Mais aussi des Libyens, des Ghanéens, des Coréens du sud, des Syriens, et surtout des Egyptiens. Tout ce monde, fatigué, apeuré, à la limite de la résistance physique et morale, cherche un havre de paix… Dhiba les accueille, les nourrit, les héberge, et leur prépare tous les moyens nécessaires à leur transport à l'aéroport international de Djerba Zarzis pour leur rapatriement à leur pays d'origine. Huit Ghanéens, ex-ouvriers de bâtiment en Libye, sont étendus à l'ombre, la peur au ventre de ce qu'ils ont vécu et de ce qu'ils ont enduré durant leur sortie du territoire libyen, dans la panique et la peur, laissant derrière eux biens et argent… L'un d'eux, Kodom Daugles, (25 ans) a eu la force et le courage de dire toute sa misère et tous ses espoirs perdus: «On travaillait normalement à Tripoli. On gagnait bien notre vie. On rêvait de faire de l'argent pour rentrer au pays… Mais nous voilà sans rien du tout, misérables et complètement sans le sou». Si ses amis n'ont pas pu s'exprimer ou même se laisser photographier, Kodom tient absolument, malgré la fatigue et le désespoir, à parler… parler et encore parler jusqu'à ne plus vouloir s'arrêter: «Nous sommes désespérés. On a fait un voyage très dangereux et très couteux pour arriver ici. La situation était devenue insupportable à Tripoli. Maintenant que nous sommes en sécurité, nous voulons seulement rentrer chez nous».
Tout un monde qui s'active Les agents de la douane, remarquablement jeunes, d'une moyenne d'âge de 25 ans, méritent toute la considération. Avec les éléments de la garde nationale et de l'armée nationale, tout ce beau monde s'active efficacement et sans compter pour assurer les meilleures conditions humaines possibles pour l'accueil et l'hébergement des milliers de réfugiés. A cela s'ajoute une présence médicale d'une importance capitale en nombre et en qualité… Des médecins stagiaires, très jeunes, très enthousiastes, donnent beaucoup d'eux-mêmes au centre culturel, transformé à l'occasion en foyer et unité sanitaire et médicale. Vingt cinq médecins stagiaires de Tunis, Monastir, Sousse et Sfax vivent allègrement une expérience enrichissante avec quelques personnes du corps médical «Médecins sans frontières». Le jeune Ahmed Chakroun, 23 ans, en 4ème année médecine et président d'Associamed-Monastir, déclare à «L'Expert»: «Notre idée est d'être le plus utile possible dans une caravane de santé, de toutes les régions et d'apporter notre contribution au profit des réfugiés». Tout comme lui, Omar Lazrak 23 ans ,4ème année médecine, ajoute: «Nous sommes prêts et disponibles pour servir notre pays et nos invités». Ahmed Chakroun (à gauche) et Omar Lazrag: Toute la ténasité des médecins stagiaires
Présence médiatique: «L'Expert»… et médias étrangers Sur ce plan, la palme revient à des médias en provenance des Etats-Unis, de la Russie, de l'Italie et de la Grande-Bretagne… En plus de «L'Expert» bien sûr… De longues heures passées ensemble en discussions, échanges de points de vue et d'informations en provenance de la Libye, de Tunis ou d'autres capitales européennes ou anglo-saxonnes. La langue anglaise a servi à tout le monde… L'essentiel était de communiquer. Ce qui fut fait. Au sujet de la révolution tunisienne, que de bonnes impressions!
Les drames humains continuent… Les Ghanéens précités, victimes d'un exode imposé, ne sont pas les seuls à avoir vécu le cauchemar. L'Egyptien Abdelaziz Moula, accompagné de son frère et de son épouse, n'est pas du reste. Ce jeune homme de Mansoura, en Egypte, travaille depuis trois ans comme entrepreneur à Naloute, encore plus dans un coin isolé appelé Tamzine où tout est calme jusqu'au jour où il fut frappé par la catastrophe. Le calme a disparu, la violence et la peur se sont installées, le travail a cessé et a généré un exode imprévu et non programmé parce que imposé par les évènements. En quelques mots, Abdelaziz et sa femme Haydi résument leur situation: «On ne veut rien, sauf rentrer au pays. Je suis heureux que ma femme soit avec moi, car elle est enceinte. Le problème des Egyptiens est très particulier. Nous sommes 1.5 million en Libye. Ceux qui sont arrivés à sortir comptent très peu. Quelques dizaines de milliers. Le gros de l'effectif est encore «coincé». Mon épouse ne peut pas cacher sa joie et son bonheur de se sentir en sécurité sur le sol tunisien». Nous voilà aussi en plein drame du Bangladesh. Mohamed Malek Rahman Mohamed (il tient à son nom en entier), musulman et donc profondément fataliste, croit qu'il est né de nouveau. Tout comme ses 14 camarades Bengali, très jeunes et travaillant à Ghedames pour l'entreprise «Azoum», ils ont carrément fui travail et logement rien que pour sauver leur vie. Ils ont traversé les frontières uniquement grâce à un document administratif qui leur a été délivré par leur employeur. Mohamed Malek persiste et signe: «J'ai vu la mort de mes propres yeux. Des hommes armés m'ont demandé de rester chez moi, de fermer la porte et de ne pas demander quoi que ce soit. Le travail de deux ans et mon épargne pendant cette période sont partis en fumée. La Libye m'a volé. Pour le moment, on n'a que notre créateur et la Tunisie». La situation de ces Bengalis, reste vraiment préoccupante. Les héberger et les nourrir ne pose pas un grand problème. Mais pour les rapatrier au Bangladesh, ce sera une autre histoire. D'ailleurs, pour le cuisinier Imed Souissi, ces jeunes Bengalis sont très sympas et méritent toute l'aide et l'assistance.
A Dhiba, c'est vrai qu'il y a quelque part un drame humain qui s'est joué en Libye. Mais ce point de passage frontalier modeste et hospitalier est venu constituer une fenêtre d'espoir pour des milliers de personnes qui ont vécu le martyre. Cet épisode aura une fin. Mais des milliers de jeunes et de moins jeunes, hommes et femmes se rappelleront toujours qu'à un certain moment difficile de leur vie, dans un désert lointain, une oasis de paix et de vie existe et s'appelle DHIBA.