Pas un seul citoyen qui n'ait ressenti en lui un sentiment de malaise devant la dégradation progressive de la situation économico-sécuritaire du pays. Le Premier ministre par intérim lui-même n'a pas pu, lors de sa dernière conférence de presse, masquer ses appréhensions et ses inquiétudes devant la détérioration du climat de confiance dans le pays. Une urgence se profile: il faut rassurer coûte que coûte le citoyen. Tâche difficile mais non impossible. La confiance. Ce maître-mot que l'on a cru promis à un beau destin après avoir été largement rayé du lexique tout au long de l'ère Ben Ali, est de nouveau en régression en ces jours de morosité générale. Indubitablement, la confiance est fortement écornée. On le remarque dans la mine des gens qui ont perdu ces reflets de joie de vivre lesquels avaient éclairé les premières semaines du soulèvement. On le remarque à travers les propos des gens dans la rue, dans les cafés, dans les moyens de transport, dans les bureaux. On le remarque aussi dans cette hâte chez les gens de quitter au plus vite leurs lieux de travail et de rentrer dare-dare chez eux à la nuit tombante, tant la rue leur semble infestée de braqueurs, de violeurs, de cambrioleurs, de toute une humanité interlope, animée des plus noirs desseins. Vite, vite, on se barricade dans sa maison, fermant à double tour toute ouverture sur le noir extérieur et l'on se calfeutre dans le nid douillet de chez soi pour oublier, si peu que ce soit, le péril ambiant. C'est une évidence, malheureusement partagée par la grande majorité des citoyens. Une absence de confiance, qui plus est, contaminée par la pestilence qui se dégage de certains débats et palabres dont on se serait passé tant ils font perdre un temps précieux à un moment où la question économique nous interpelle impérieusement. Qu'avons-nous, par exemple, à nous tourmenter les méninges par des questions en rapport avec la foi musulmane sachant que l'Islam est la chose la mieux partagée chez les Tunisiens. Nous n'avons que faire des querelles de chapelle que des extrémistes amplifient pour détourner les gens de problèmes autrement plus importants, plus vitaux, tels que l'emploi, le pouvoir d'achat, la chute de la croissance économique, la sécurité, etc. Qu'avons-nous à perdre notre salive en évoquant nuit et jour la question de la parité, sachant qu'elle viendrait d'elle-même avec l'ancrage, chez nos compagnes, du sens de l'engagement politique.
Pour mériter le Prix Nobel de la paix Il ne fait donc, aujourd'hui, aucun doute que la confiance a été fortement écornée. Oserons-nous dire qu'elle a totalement disparu dans le cœur des hommes? Quoi qu'il en soit, sur le fond d'un tel constat inquiétant, l'on a le droit de se poser la question suivante: notre Tunisie mérite-t-elle un tel coup du sort, elle qui a subi pendant deux décennies (d'autres diront cinq décennies en y incluant l'ère bourguibienne) toute une palette d'avanies et d'injustices criantes? Mérite-t-elle que l'image radieuse qu'elle avait offert au monde à l'aube de sa naissance s'en aille aussi facilement à la dérive et fasse naître chez nos amis de l'étranger un certain désenchantement? L'idée d'attribuer le Prix Nobel de la paix auquel d'aucuns parmi de grandes personnalités d'envergure mondiale ont associé le nom de notre pays, cette idée-là, juste consécration du miracle tunisien, finirait-elle par sombrer lamentablement dans les oubliettes de l'Histoire. Mais qu'est-ce qui explique et justifie la chute du paramètre de la confiance et la montée d'un scepticisme, pour ne pas dire d'un pessimisme, chez le citoyen lambda et même chez l'élite de notre pays? Le Premier ministre, Béji Caïd Essebsi, n'affichait-il pas, dernièrement au cours d'une conférence de presse, la mine de quelqu'un assis sur des charbons ardents! On le serait à moins: des sit-in à n'en plus finir, des débrayages récurrents, des barrages humains sur les routes et autoroutes, dont l'un a été marqué par un horrible drame (la mort d'un adolescent dont on aurait pu sauver la vie si l'ambulance qui le transportait vers l'hôpital n'avait pas été ralentie par un barrage sur l'autoroute). Tout cela sans parler du marasme économique, de la pression des flux de réfugiés dans le Sud et des risques d'affrontements avec l'armée libyenne aux points de passage. Et enrobant tout cela d'une grisaille délétère, Dame rumeur fait des siennes dans tous les domaines de la vie nationale, et même au ras d'un vécu au trop plein de soucis. A-t-on idée de lancer, sur les ondes de radio-trottoir, une rumeur aussi farfelue qu'alarmante, l'évasion d'un membre du clan familial du président déchu, membre honni d'entre tous? Il est heureux que cette information ait été fermement démentie, car elle aurait provoqué des ravages inouïs dans l'opinion publique. N'oublions pas que la revendication de la mise sous les verrous des membres des deux ex-familles au pouvoir figure parmi les plus pressantes dans l'opinion publique tunisienne. A-t-on idée de raconter sur le Facebook des inepties sur l'armée nationale? Des mensonges à propos de prétendus contacts du général Rachid Ammar avec Ben Ali, quand ce dernier est notoirement connu pour ses accointances avec Israël, accointances qui pourraient lui valoir de lourdes peines? D'autres contre-vérités ont été dites par M. Farhat Rajhi: de quoi embraser le pays et susciter une guerre civile.
Le cycle infernal des évasions Dans cette même perspective inquiétante, s'inscrit la vague d'évasions, il y a deux semaines, de détenus de droit commun. Deux d'entre-elles ont été confirmées par les autorités pénitentiaires tandis que deux autres se sont révélées sans fondement. Ce qui n'a pas empêché la rumeur d'en évoquer, le lendemain, une cinquième. Comme pour ébranler les convictions de ceux qui jurent leurs grands dieux que la situation sécuritaire dans le pays n'a été en rien affectée et que le climat de confiance a encore de beaux jours devant lui. Ceci dit, ce qui est troublant dans cette affaire d'évasions, ce n'est pas tant leur nombre, mais leur exacte synchronisation au plan du minutage des opérations les unes par rapport aux autres. Ce qui fait penser à une main occulte présidant à l'organisation de ces évasions. De quelle main s'agissait-il? Le bon peuple en est à toutes les conjectures. Impossible de désigner un coupable. Et c'est cela qui accentue cette absence de confiance laquelle devrait être le grand cheval de bataille à enfourcher sans plus tarder par l'actuel gouvernement.