Les Tunisiens se sont-ils rendu compte de la concomitance de deux faits qui se sont produits les 18 et 19 mai derniers? Ont-ils perçu et évalué à sa juste valeur l'étroite conjonction qui peut les relier l'un à l'autre? On ne le sait. Certes l'impact émotionnel a été grand, concernant l'une et l'autre deux occurrences. Du fin fond de ses tripes, le citoyen en a été secoué, ébranlé. Mais c'est au-delà de l'affect qu'il importe d'en analyser les conséquences et les retombées. Le premier de ces faits c'est la tentative effectuée par Al-Qaïda dans sa version maghrébine Aqmi (Al-Qaïda pour le Maghreb Islamique) de mettre un pied sur notre sol. On pressentait que, un jour ou l'autre, Aqmi tenterait de parachever la justification de sa référence à l'aire maghrébine en prolongeant son action criminelle en Tunisie après avoir sévi en Algérie et au Maroc. L'occasion, en effet, était belle. La précarité sécuritaire dans laquelle est plongé le pays, le marasme économique qui pèse sur le pouvoir d'achat du citoyen, le branlebas occasionné par l'éventualité du report de l'échéance majeure du 24 juillet prochain, la guerre libyo-libyenne sur le flanc sud du territoire national, tout cela n'était pas sans pousser la nébuleuse terroriste à tenter de semer la mort et la ruine dans ce petit coin de l'Afrique. Un petit coin, qui s'apprête à un grand coup d'éclat démocratique au nez et à la barbe de tous ceux que dérange l'Islam tolérant et serein prôné et cultivé par notre pays. On l'imagine facilement: cela avait de quoi pousser la nébuleuse hors de ses gonds et d'inciter ses tueurs à passer à l'acte pour faire capoter l'hymne aux valeurs humaines que ne cesse de chanter, à l'unisson le pays toutes catégories, toutes régions et toutes générations confondues… D'autant que la mort de Ben Laden, criblé de balles américaines lui est restée au travers de la gorge. Vite, vite, que l'on venge «l'illustre maître»!
La victoire de Rouhia Les graves incidents survenus, il y a une semaine à Rouhia (gouvernorat de Siliana) et les actes criminels perpétrés par les terroristes étaient certainement inscrits dans leur agenda en tant que coup d'essai en vue de tester la capacité de notre pays à résister à de telles épreuves et à réagir par une réponse énergique et sans appel. Et c'est ce qui s'est réellement passé et qui eût donné ample satisfaction n'était la mort de deux de nos valeureux défenseurs de la cause de notre patrie. La révolution et les forces armées ont démontré la haute idée qu'elles ont du combat que mène notre pays contre l'axe pluriel de l'obscurantisme et de l'arbitraire. Le résultat est là: un coup dur pour Aqmi qui a perdu sur le terrain deux suppôts de l'empire du mal. Un coup dur d'autant qu'ils occupaient une place de choix dans la structure idéologico-militaire de la nébuleuse. Notre intégrité territoriale est de toute évidence à l'abri des coups durs. Notre peuple, de concert avec nos forces armées, est à même de leur opposer la parade adéquate. Mais est-il pour autant prémuni contre les effets démoralisateurs de telles commotions? Car à nôtre avis le mouvement d'affolement qui a gagné les citoyens n'avait pas raison d'être. Ou plutôt n'avait pas raison de l'être. Il faut avoir confiance dans notre aptitude à encaisser les épreuves et à les surmonter. Il y en a eu durant notre longue histoire. Céder à des réactions de panique serait surestimer, ces criminels, et leur conférer une importance qu'ils n'ont pas. Mais il ne faut pas non plus les mésestimer, car ils peuvent disposer d'appuis inattendus, d'une logistique qui plonge ses racines dans le cœur du continent africain. D'autant que les dictatures qui font, par leurs graves dérives, le lit de l'extrémisme de tout bord existent encore de par le monde, Vigilance, vigilance! Il ne faut donc pas s'abandonner à un pessimisme noir. Et c'est ici qu'intervient le deuxième fait important dont nous parlions plus haut, à savoir le discours du président américain sur le printemps arabe.
Un silence assourdissant Revenons un peu en arrière pour saisir la portée de ce discours. Il y a deux ans Obama évoquaient la situation du monde arabe et du conflit israélo-palestinien en termes d'optimisme et d'espoir qui ont mis du baume au cœur des Arabes et des Musulmans. Il avait fait, ce faisant, en sorte que le texte du discours s'inscrivit dans le message de liberté et de justice dont il avait son fonds de commerce dans ses interventions en Europe pendant l'élection présidentielle. Deux ans après, plus rien de tout cela. Mutisme assourdissant du côté de la Maison Blanche! Un mutisme qui s'était même poursuivi pendant les premières semaines des bouleversements en Tunisie et en Egypte. Et puis voilà que brusquement Obama opère un come-back fracassant, se rendant compte de l'inéluctabilité des deux révolutions et du réveil tonitruant des rues, libyenne, yéménite et syrienne. S'est-il rendu compte convaincu de la justesse de ce printemps? Ou bien y a-t-il adhéré à contrecœur et par calcul? Ou bien même obéissait-il aux injonctions sans appel de la vaste toile occulte qui a décidé de lâcher du lest pour mieux asseoir sa mainmise sur la planète? On ne le saura peut-être jamais. Toujours est-il qu'il n'y a pas lieu aujourd'hui de faire la fine bouche, encore qu'il faille préciser ici que, volet la question palestinienne, ses paroles concernant les frontières de 1967 ont déçu pas mal de gens et ont fait l'effet d'une douche froide. En annonçant un plan économique pour soutenir le printemps arabe et en faisant état d'une aide de deux milliards de dollars destinés à favoriser la réussite de la transition démocratique en Tunisie et en Egypte, Obama, par cette parole et ce geste, adresse un appel à la communauté internationale à se mobiliser pour soutenir ce vaste élan démocratique. Mieux il a illustré sa pleine adhésion en rendant un vibrant hommage à la personnalité emblématique de ce réveil, le regretté Mohamed Bouazizi. Ainsi, l'échec d'Aqmi dans sa tentative de s'enraciner sur le sol national et l'appui fort d'Obama à la Tunisie (un appui politique, moral et financier) se sont-ils conjugué au cours de ces deux journées mémorables pour tailler un autre rendez-vous avec l'Histoire, après celui du 14 janvier!