Décidément, le monde entier semble ne pas se lasser de cette crise financière mondiale. On en a parlé et on continue à en parler. Jusqu'à quand? Personne ne le sait, car à chaque fois que la tension commence à donner des signes d'accalmie, à chaque fois que des indicateurs s'orientent vers la hausse où l'on décèle quelque amélioration, une nouvelle fausse note de la taille d'une catastrophe parfois survient pour replonger le système financier dans le doute et l'inquiétude. Le financier britannique Walter Bagehot notait dans un style pur british «Une bonne chose dans les crises, c'est qu'elles révèlent ce que les vérificateurs ne réussissent pas à trouver». L'image est plus colorée, plus originale chez Warren Buffet quand il déclare: «C'est quand la mer se retire qu'on voit ceux qui se baignaient nus».
La faillite malhonnête Ainsi, chaque grande crise génère ses propres scandales, escroqueries et malversations. La crise de 1929 reste encore dans les esprits. Elle revient à chaque fois que le monde frise une crise ou plonge carrément dans une autre comme l'actuelle. On y pense forcément en ce moment, surtout à son lot de scandales dont nous citons deux : – L'affaire Ivan Krenger, homme d'affaires suédois, faussaire notoire d'obligations qui a préféré fausser compagnie à la justice en se suicidant. La nouvelle n'a été portée publique qu'après la fermeture de Wall Street. – Pour l'affaire Richard Whitney, président de la Bourse de New-York à l'époque, le scandale est autrement plus grand. Il était question de falsification et de truquage des comptes de ses sociétés. Empruntant à tout-va, notamment auprès de son frère banquier, il pratiquait le schéma appelé «Ponzi» qui se traduit par une machination d'escroquerie pyramidale basée sur de nouvelles émissions garanties par des titres qui ne lui appartenaient pas. Objectif visé: voler les fonds du New-York Yacht Club et du Stock Exchange Gratuity Fund, une fondation créée pour aider les veuves et les orphelins des courtiers de Wall Street! Le comble, diversion oblige, était que M. Whitney affirmait que l'une des premières règles «d'un grand marché est que les courtiers soient honnêtes et financièrement responsables». Heureusement que le ridicule ne tue pas. Mais il peut mener son auteur à la prison de Sing Sing pour dix ans comme c'était le cas de ce fameux faussaire. D'ailleurs, il était l'un des premiers à s'opposer à la création d'un organisme de contrôle de la Bourse, estimant qu'une autosurveillance était le meilleur moyen de rendre «une faillite pratiquement impossible». Sa chute spectaculaire et dramatique décida la Maison Blanche à faire rentrer la Bourse dans le domaine du droit public en confiant le soin de réguler la Bourse à la SEC (Sécurité and Exchange Commission).
La dernière et toute récente… signé Madoff L'histoire est un éternel recommencement, diraient certains. Pour d'autres, les mêmes causes, dans des mêmes conditions aboutissent invariablement aux mêmes effets. Pour l'actuelle crise financière mondiale, même les plus durs, les plus critiques et les plus orthodoxes dans la gestion financière, reconnaissent son caractère honnête et objectif, que les causes soient endogènes ou exogènes… Cette noble attitude de bonne foi présumée n'a pas duré longtemps. Le sieur Bernard Madoff en a voulu autrement. Et voilà que l'actuelle crise nous livre son scandale comme si elle veut confirmer la règle. L'affaire Madoff qui vient d'éclater est moins un événement fâcheux ou une malformation congénitale de la crise de subprimes qu'elle n'en est une sorte de concentré. Il y a tout. On peut même lui attribuer le qualificatif de chef-d'œuvre. Bernard Madoff pourrait bien à son tour s'installer prochainement à Sing Sing et, quand l'histoire bégaie à ce point, elle donne le vertige: schéma Ponzi, présidence du Nasdaq, fondations philanthropiques grugées, proches dépouillés, etc. Née avec le scandale Whitney, la SEC va, dans sa forme actuelle, disparaître avec celui de M. Madoff. Ainsi en a décidé cette semaine Barack Obama. La boucle sera ainsi bouclée. La défaillance des autorités de contrôle, donc, mais aussi l'obsession du profit, qui a incité une ribambelle de fonds philanthropiques à placer leur argent dans un fonds spéculatif. Le thème de la confiance, également. C'est parce qu'il a su l'inspirer, avec sa casquette de président du Nasdaq bien vissée sur sa tête de papy tranquille, que «Bernie» a réussi à tromper ses amis et les banquiers les plus réputés de la planète. C'est parce que cette confiance a été perdue que le marché du crédit s'est brutalement bloqué, plus aucun établissement financier n'acceptant de prêter à l'autre – pas forcément à tort. La suffisance des banquiers, enfin. Certains des meilleurs financiers de la planète, des plus brillant experts en matière d'évaluation des risques se sont donc fait piéger comme seuls des petits épargnants de pays émergents se font généralement prendre. La Colombie et l'Albanie avaient été les derniers lieux d'escroquerie pyramidale de grande envergure. C'est cette fois Wall Street qui en est l'épicentre. Dans un article prophétique, publié en septembre 2007, l'économiste Patrick Artus avait dénoncé «les excès de la finance Ponzi» caractéristique, selon lui, du système des subprimes. Système dans lequel les emprunteurs profitaient de la hausse de la valeur de leur maison pour négocier un nouveau crédit, qui leur permettait de payer les intérêts du précédent. Système dans lequel la solvabilité n'était pas assurée par des revenus réels, mais par un endettement récurrent. Bref, avec les subprimes, tout le monde faisait du Ponzi sans le savoir. Grâce à l'affaire Madoff, tout le monde, maintenant, le sait.
Le retour aux sources Les pères fondateurs de l'Etat américain et la constitution qu'ils ont écrite prônent des valeurs inaliénables telles que la dignité, le respect de la personne humaine, la liberté d'expression et la liberté d'entreprendre. Les Etats-Unis en ont grand besoin. Pour y arriver et recouvrer ces valeurs, la nouvelle administration écartera certainement les quelques collaborateurs qui ont tout fait et manigancé avec zèle, et parfois même avec conviction, pour tuer ces valeurs. Il ne sont, tout simplement, pas en harmonie avec les idées que l'Amérique veut propager et promouvoir, celles de Jefferson qui a vécu ses 83 ans en affirmant que «les gouvernements sont établis parmi les hommes et leur juste pouvoir provient du consentement des gouvernés sur les principes et en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sécurité et le bonheur». C'est vers le retour à ces principes que les USA s'orientent après la chute de Bush. Les Etats-Unis ont trop perdu avec les néolibéraux et les néoconservateurs pour ne pas changer. Le changement a, d'ailleurs, été l'exigence quasi exclusive des électeurs lors de la dernière élection présidentielle. C'est justement l'absence de telles valeurs et la confusion des repaires qui font perdre l'équilibre à toute entreprise humaine et qui ouvrent la porte à tous les excès générateurs de crises et de scandales.