La commission de législation générale de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) a adopté, lors de sa réunion du 30 juin 2025, une version amendée et consensuelle de l'article 96 du Code pénal tunisien. Cette réforme, qui sera soumise au vote en séance plénière, prévoit notamment une réduction de la peine maximale d'emprisonnement et l'introduction de l'élément intentionnel dans la qualification de l'abus de fonction. Jusqu'ici, l'article 96, dans sa version en vigueur, sanctionne tout fonctionnaire ayant utilisé sa position pour procurer un avantage injustifié à un tiers, sans qu'il soit nécessaire de démontrer une volonté délibérée. La peine encourue pouvait atteindre 10 ans de prison. Vers un recentrage juridique du délit Avec cette réforme, l'article 96 devient un délit intentionnel, et non plus un délit purement matériel. Désormais, il faudra prouver que le fonctionnaire avait l'intention délibérée de commettre une infraction pour qu'il soit condamné. En parallèle, la peine maximale passe de 10 à 6 ans de prison, avec possibilité de sursis ou d'amende dans certains cas. Le texte consensuel a été élaboré après consultation d'universitaires spécialisés en droit pénal, dont les professeurs Mongi Lakhdhar, Hatem Bellahmar et Najet Brahmi, qui ont soutenu unanimement la révision du dispositif. Depuis 2011, l'article 96 a suscité de nombreuses critiques pour son application jugée excessive, notamment dans des cas où l'intention frauduleuse n'était pas démontrée. Cette situation a eu pour effet de paralyser une partie de l'administration, les agents publics agissant souvent par excès de prudence, de peur d'être poursuivis pénalement pour des erreurs de gestion ou des décisions interprétées a posteriori comme abusives. La réforme vise donc à restaurer un climat de confiance dans l'action administrative. Elle cherche à éviter que les fonctionnaires ne soient dissuadés d'agir ou de prendre des décisions, tout en maintenant des garde-fous contre les pratiques réellement frauduleuses. Autres apports de la réforme Outre la révision du cœur de l'article 96, le texte prévoit plusieurs ajustements importants : * Suppression du délit de « nuire à l'administration », considéré comme trop vague et relevant davantage du disciplinaire que du pénal. * Possibilité d'une enquête préalable avant toute suspension d'un fonctionnaire suspecté, afin d'éviter les plaintes abusives. * Elargissement de la définition du fonctionnaire public pour une meilleure couverture des cas, notamment dans les institutions décentralisées ou parapubliques. Une réforme attendue par l'administration et les investisseurs Cette révision du cadre légal s'inscrit dans une démarche plus large de modernisation du droit pénal tunisien, dans le but de : * Encourager la prise de décision responsable, * Limiter les abus de procédure, * Aligner le droit tunisien avec les standards internationaux, notamment ceux relatifs à la proportionnalité des peines et à la protection juridique des agents publics. Elle est également perçue comme un signal positif pour les investisseurs, souvent découragés par la lenteur ou la frilosité administrative. En garantissant un environnement réglementaire plus clair, la Tunisie cherche à améliorer son attractivité économique, tout en protégeant les deniers publics. Analyse La réforme de l'article 96 marque une inflexion notable dans la philosophie pénale tunisienne. Elle répond à un double impératif : lutter contre la corruption sans pour autant entraver la gestion publique ni criminaliser la fonction administrative. 1. Un pas vers un Etat régulateur plutôt que sanctionneur En introduisant la notion d'intention, le législateur cherche à recentrer l'action pénale sur les comportements véritablement délictueux, ce qui constitue une avancée majeure dans la rationalisation du droit. 2. Une réponse à la paralysie administrative La réforme s'attaque à un phénomène bien réel : l'autocensure des fonctionnaires face à une législation perçue comme imprévisible et punitive. Le nouveau cadre pourrait ainsi réduire les blocages bureaucratiques et accélérer les processus décisionnels. 3. Une réforme qui devra s'accompagner de garanties procédurales Pour éviter les dérives inverses (impunité ou opacité), la mise en œuvre de la réforme devra s'appuyer sur des outils de contrôle indépendants, une formation des magistrats et enquêteurs, et une clarification des procédures disciplinaires parallèles. 4. Un enjeu d'équilibre institutionnel Cette réforme est un test pour la capacité de la Tunisie à trouver un juste milieu entre efficacité administrative et reddition des comptes. Elle devra aussi être accompagnée d'une culture de responsabilité partagée, tant au sein de l'administration que de la justice. En définitive, la révision de l'article 96 pourrait devenir une réforme structurante dans le chantier plus large de l'Etat de droit en Tunisie. Reste à voir si sa mise en œuvre respectera l'équilibre fragile entre transparence, efficacité et justice. Commentaires Que se passe-t-il en Tunisie? Nous expliquons sur notre chaîne YouTube . Abonnez-vous!