En 24 heures, la contestation portée par de très jeunes Marocains a connu un tournant : deux personnes ont été tuées à Lqliaa, près d'Agadir, les autorités font état de centaines d'arrestations et de blessés, tandis que, des écrans officiels de compte à rebours de la CAN 2025 ont été piratés pour afficher un slogan social. Retour détaillé sur l'état des lieux, les chiffres et les enjeux: Bilan humain et sécuritaire Les autorités ont confirmé deux morts à Lqliaa (près d'Agadir), après des tirs des forces de l'ordre qui disent avoir empêché une tentative de s'emparer d'armes dans un poste. Le ministère de l'Intérieur rapporte 263 membres des forces de sécurité blessés et 23 civils blessés depuis le début des troubles. 409 personnes ont été interpellées à l'échelle nationale, dont 193 déjà présentées à la justice. Ces chiffres, fournis par les autorités, divergent des estimations d'ONG qui évoquent plus d'un millier d'interpellations sur plusieurs jours, incluant des mineurs. Si des rassemblements non violents ont été observés dans certaines grandes villes, ils ont été rapidement dispersés par un dispositif policier préventif. Des épisodes plus tendus ont été signalés dans le Souss (Aït Amira, Inezgane, Agadir, Tiznit), ainsi qu'à Salé, Tanger, Oujda et Marrakech, avec des incendies ciblant des biens publics et privés et des heurts plus marqués mardi soir. La mobilisation reste diffuse, nationale et surtout nocturne, avec des pics de tension en soirée puis des reflux rapides. Revendications et déclencheurs Le mouvement, massivement porté par la Génération Z, réclame des réformes urgentes de la santé et de l'éducation, dénonce la corruption et questionne la priorité budgétaire accordée aux grands événements sportifs (CAN 2025, Coupe du monde 2030). Le drame d'Agadir — la mort de huit femmes après des césariennes à l'hôpital public Hassan-II — reste l'étincelle symbolique de la colère sociale, devenue un étendard de la crise des services publics. Plusieurs écrans urbains installés pour afficher le compte à rebours de la CAN 2025 ont été piraté : le message « Days to kick-off » a brièvement été remplacé par un slogan réclamant « santé, éducation, dignité pour le peuple ». Cette action, revendiquée comme une cyberattaque, illustre la dimension numérique de la mobilisation : un coup symbolique, très visuel, au cœur de l'imaginaire événementiel. Sociologie et modes d'action La contestation est horizontale, sans leadership identifié, coordonnée via TikTok, Instagram, Discord et des messageries privées. Les organisateurs informels (parmi lesquels le collectif GenZ 212) publient des points de rassemblement mouvants, prônent des actions brèves (sit-in, marches courtes) et une dispersion rapide pour éviter les confrontations prolongées. Cette capillarité numérique permet de rallier rapidement des petits groupes dans de multiples villes, tout en rendant la mobilisation difficile à quantifier précisément. Le ministère de l'Intérieur réaffirme le droit de manifester légalement tout en promettant une réponse proportionnée face aux violences et aux dégradations. Sur le plan institutionnel, des discussions sont annoncées autour de l'hôpital et de l'école, sans calendrier détaillé à ce stade. L'absence d'un bilan national unifié pour chaque soirée continue d'alimenter l'écart entre chiffres officiels et comptages associatifs. Analyse : ampleur, amplitude, trajectoire L'ampleur du mouvement se lit d'abord dans sa résonance géographique : les rassemblements ont essaimé dans de nombreuses villes, parfois au fil de plusieurs soirées consécutives. Les foyers de tension les plus intenses ont été observés dans le Sud, notamment dans la région du Souss, tandis que les grandes métropoles ont connu des actions plus brèves, souvent non violentes, mais aussitôt dispersées. L'amplitude, elle, se mesure dans la variation des foules et des réactions. D'une ville à l'autre, d'une nuit à l'autre, la mobilisation prend des formes contrastées. Les chiffres officiels parlent de 409 arrestations et de 263 agents de sécurité blessés, auxquels s'ajoutent 23 civils. Ce bilan illustre la gravité de la phase actuelle, marquée par une confrontation directe entre manifestants et forces de l'ordre. Quant à la trajectoire, elle demeure incertaine et fragile, comme suspendue à l'évolution des prochains jours. Le mouvement, nourri et rythmé par les réseaux sociaux, garde un visage imprévisible. Son avenir immédiat dépendra d'éventuelles mesures concrètes en matière de santé et d'éducation, mais aussi de la manière dont les autorités choisiront de gérer l'ordre public. Dans ce jeu d'équilibres, chaque geste, chaque annonce, chaque soirée peut infléchir le cours de la mobilisation. Ce qui peut changer dans les 72 heures Dans les soixante-douze heures à venir, l'avenir de la contestation pourrait se jouer sur plusieurs fronts. D'abord, des annonces tangibles sur l'hôpital et l'école, qu'il s'agisse d'un calendrier clair, d'un financement assuré ou de priorités affichées, pourraient apaiser une partie de la colère et redonner un souffle de confiance. Ensuite, l'ouverture de véritables cadres de dialogue avec des relais crédibles de la jeunesse, qu'il s'agisse d'associations ou de syndicats étudiants, offrirait une chance de canaliser des demandes encore éparses et dispersées. Enfin, la sécurisation des infrastructures numériques et urbaines s'impose, après l'épisode de Tanger qui a mis en lumière la vulnérabilité d'écrans et de dispositifs connectés chargés d'un fort symbolisme. C'est dans cet entrelacs d'annonces, de dialogues et de précautions que se dessinera, ou non, un chemin vers l'apaisement. Commentaires Que se passe-t-il en Tunisie? Nous expliquons sur notre chaîne YouTube . Abonnez-vous!