Où est le Gouvernement ? S'était écrié Hamadi Jebali, chef du gouvernement provisoire, invective suggérant qu'il cherchait peut-être à remonter les bretelles à son équipe gouvernementale et à pointer de son doigt rageur ses ministres funambules ! La question mérite d'être ouvertement posée. S'agirait-il d'un cri de dépit ou d'une expression de révolte? En tout état de cause, ce n'est point un lapsus dont Hamadi Jbali semble pourtant raffoler depuis son investiture ni un moment d'égarement qu'il a mal géré. D'aucuns estiment que, sans s'en rendre compte, le chef du gouvernement a posé la véritable question. Autrement dit, qui gouverne le pays ? Ce n'est certainement pas la présidence tricéphale actuelle. Hamadi Jebali ou la voix de son maitre Pour commencer, Hamadi Jebali aurait-il voulu dénoncer, sans vraiment le dire d'une manière explicite et directe, un état de fait, une mainmise, un système de gouvernement par trop ésotérique ? Sa parole aurait-elle précédé sa pensée ? Est-ce une digression personnelle ? A moins que, dans un rare instant de vérité avec soi-même, il révèle l'incompétence de son gouvernement pourtant pléthorique et trié sur le volet politique au terme d'un processus houleux de négociation, suite à un compromis dégagé dans la douleur. Le gouvernement serait-il à ce point évanescent, voire virtuel, pour que son chef soit coupable d'une telle interrogation réquisitoire chargée d'invectives ? Il semble que Hamadi Jebali en aurait marre d'être le “dindon de la farce” et de gouverner sans régner. Un poste piège où le pouvoir est à sa porte et non à sa portée, relégué au rang de sous-fifre ou d'homme de main ou de paille. “La voix de son maitre”. Peut-être que derrière cette sortie verbale se dissimulent les contrecoups et les ricochets de ses séances matinales quotidiennes de coordination avec le président de son parti, destinées à le charger en orientations et en instructions. Il n'est pas exclu que Hamadi Jebali ait finalement compris qu'il n'est qu'un lieutenant, sans réelle emprise sur sa soldatesque, pestant contre le bâton de son maréchal. Moncef Marzouki et sa coquille vide C'est une autre paire de manches pour Moncef Marzouki. Pour sortir de sa coquille vide et donner un zeste de consistance à son mandat en peau de chagrin, il tente de créer l'évènement à chaque sortie et il multiplie les gesticulations , les grands écarts et les acrobaties de haute voltige juste pour dissimuler des prérogatives réduites à leur portion congrue derrière le tapage dissonant et le grand foin qu'il fait à longueur de journée . Vraisemblablement adepte endurci du concept outre-Atlantique de “chaos créatif”, cher aux faucons noirs de la Maison Blanche, notre Président de la République provisoire, le dos au mur, ne cesse de surfer sur le désordre qu'il provoque, de choquer sciemment partisans et adversaires pour faire bonne figure, marquer le paysage politique tunisien de sa soi-disant empreinte en élevant le vacarme au rang de stratégie de communication. Il n'a jamais quitté son habit bardé d'effets sonores et d'agitateur de contingences, conférant à la formule de Friedrich Nietzsche: ” Il faut porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile filante” toute son expression et toute sa signification. N'est-il pas risible, voire odieux, qu'un Président de la République se fende d'un “Où va le pays ?” Comme si la descente aux enfers des Tunisiens ne le concernait pas et qu'il n'en était pas responsable. Bombardé magistrat suprême dans un concours de circonstances, le” bon vieux ” Moncef Marzouki , malgré des efforts tonitruants de visibilité, au prix de moult casseroles et autres gaucheries dont la communauté politique et médiatique fait des gorges chaudes, ne commande pas, ne décide pas et reste confiné dans un rôle d'appendice du pouvoir. Il se plait dans cette posture avec ce sobriquet d'Ennahdha Light. Le fantasque Moncef Marzouki a bien accepté, de son plein gré, d'être “recyclé”, de délayer ses convictions et de jouer les courants d'air pour peu qu'il continue à exorciser son obsession présidentielle dans les couloirs et les salons de Carthage. Mustapha Ben Jaafar ou la machine à concessions Quid de Mustapha Ben Jaafar ? Le bonhomme a vendu son âme et fait péricliter son parti par ses fréquentes et non moins contre nature offensives de charmes à l'égard de la formation politique qui détient réellement et non moins exclusivement les rênes du pouvoir, en l'occurrence le parti Ennahdha. Ses frasques sont légion. Machine à concessions, tsar des compromis fumeux, il semble toujours en quête d'un hypothétique équilibre entre le “politiquement correct” et l'enjeu personnel, voire égocentrique. Les deux faces de Janus, l'avers et le revers d'une médaille. Lui aussi, sans rechigner ni voir grand, il fait ses emplettes à l'officine nahdhaouie, mêlant les serviettes aux torchons et s'entêtant à prendre des vessies pour des lanternes. Il pratique la langue de bois comme la fuite en avant. En conséquence, son parti, pourtant voué à une carrière prometteuse, a éclaté comme une baudruche, au mépris de son électorat et de sa ligne politique initiale. Le président de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC) n'assure ainsi ni son rôle ni son mandat, bien disposé à sacrifier les principes fondamentaux et à s'allier avec le diable dans la perspective de bien se positionner par rapport aux prochaines échéances électorales, à savoir les élections présidentielles, objectif majeur pour lequel il se démène pour être le candidat d'Ennahdha, comme l'était Moncef Marzouki. D'ailleurs, à l'instar de ce dernier, Mustapha Ben Jaafar n'a que peu ou prou de pouvoir. Certes il est” l'otage” de ses constituants mais, en tout état de cause, il s'efforce de placer l'ANC non sous son autorité pourtant légitime mais sous la coupe d'Ennahdha. Qui gouverne réellement la Tunisie ? Compte tenu de ce qui précède, il est bien établi qu'il y a la main invisible, le “manitou occulte”, l'homme qui tire les ficelles derrière les rideaux et les écrans de fumée. Il s'agit bien de Rached Ghannouchi, le grand apôtre, le guide suprême, “le parrain omnipotent”. Il est le grand artisan et le principal acteur. Il mène le pays au doigt et à l'œil, rien ne se décide sans lui et, encore moins, contre son avis. Il suffit qu'il fronce les sourcils ou adresse un bien pressant clin d'œil pour que la Troika s'aligne et marche au pas. Rompu à l'art de la manipulation et du double langage, il se cale à l'antichambre du pouvoir, là où il peaufine ses plans, identifie ses cibles et fourbit ses armes. C'est là où son obsession du pouvoir trouve sa meilleure expression, là où il excelle, que Rached Ghannouchi n'en décide pas moins et n'en démord pas. Il est le seul qui est prophète dans son propre pays, prêchant la bonne parole et imposant ses choix. Ses positions ont toujours été entérinées par le pouvoir fantoche en place, les exemples abondent. En Novembre 2011, il évoquait impérieusement le renvoi de l'ambassadeur syrien. Quelques semaines après, le gouvernement a joint l'acte à la parole et déclaré illico presto le diplomate syrien persona non grata. Il a suffit que Rached Ghannouchi accorde sa bénédiction à l'article premier de la Constitution de 1959 pour que tout le monde franchisse bien allégrement le pas. Même les salafistes et les adeptes inconditionnels de l'application de la “Chariaa” n'y ont vu que du feu, au grand soulagement aussi bien de la Troïka que de l'opposition. Quand Rached Ghannouchi a renoncé à la “manifestation du million”, personne n'a pipé mot. Donc, il faut prendre la peine et le temps de bien analyser ses prises de positions pour connaitre, à l'avance, les grandes décisions à prendre ultérieurement. Il est de notoriété publique qu'aussi bien les pontes d'Ennahdha que le chef du gouvernement, outre une bonne partie de la Troïka et de l'élite tunisienne, abhorrent Rafik Abdessalem, ministre des Affaires Etrangères et gendre du Cheikh, et souhaitent l'évincer de son poste ou même le muter comme solution de compromis lors du remaniement ministériel annoncé. Face au niet opposé par Rached Ghannouchi, les “francs tireurs ” ont capitulé et sont restés silencieux. Il en faut beaucoup plus pour décrocher “Radhia Allah anhou” de son piédestal ou le contraindre à rallier le consensus. Il est certain que si demain, pour une raison ou une autre, il lâche l'idée de “régime parlementaire”, personne n'élèvera la voix pour en contester le bien fondé. On boit ses paroles comme la dernière onction ou l'eau bénite sinon on ramasse une gamelle. Lors du 9éme congrès d'Ennahdha, le cheikh Rached a bien annoncé l'idée d'un remaniement ministériel, option reprise et médiatisée par les grosses légumes de la Troïka. Le remaniement ministériel est imminent. Cependant, en sa qualité de président d'un parti, fut-il au pouvoir, il n'éprouve aucune gêne à s'immiscer et à interférer dans l'espace gouvernemental dans lequel, “de jure”, il n'a pas voix au chapitre. Il n'a aucune fonction au sein de l'Etat tunisien et, à ce titre, n'a aucune compétence pour annoncer un remaniement ministériel. Ce qui prouve encore une fois, si besoin est, que Rached Ghannouchi est au dessus de l'Etat et que c'est lui qui mène la barque. En résumé, ce n'est aucunement la Troïka qui gouverne, celle-ci sous-traite seulement les positions de “notre Cheikh national” et se contente de faire l'habillage politique et constitutionnel nécessaire. Avec ses faux airs d'homme de dialogue et d'ouverture, le ton aussi messianique que le verbe se veut républicain, Rached Ghannouchi gouverne le pays de main de maitre. Une main de fer dans un gant de velours. Le monarque fait la pluie et le beau temps ainsi que la couleur et la fragrance des saisons. Le roi est mort, vive le roi ! On n'est pas encore sorti de l'auberge. Faudra-t-il une deuxième révolution pour que le peuple tunisien récolte enfin, de haute lutte, dans la dignité et la liberté, les fruits de sa semence et rompe définitivement avec les pratiques du régime déchu que le pouvoir transitoire actuellement en place écrème et bonifie.