Certes, le deuxième anniversaire de la révolution n'a pas donné lieu aux effusions et autres démonstrations festives qui d'habitude épanchent dans ce genre d'occasion, le cœur n'y était pas, le ressort semble cassé, mais cette journée reste, malgré le voile de deuil et de désillusion, marque un point d'infléchissement de l'histoire moderne de la Tunisie et traduit une ligne de rupture avec un modèle de gouvernance longtemps honni. Les objectifs de la révolution ? Bien sûr, ils n'ont pas encore été réalisés, pour diverses raisons aussi objectives que subjectives mais c'est déjà incommensurable que la Tunisie ait fait sa révolution, que notre peuple ait eu la force de rebondir et de s'élever comme un seul homme contre un seul ennemi, ce qui est en soi une œuvre exaltante qui n'a pas de prix. Il s'agit d'un grand rêve que nous autres tunisiens nous avons partagé t qu'aujourd'hui nous avons l'opportunité d'en concrétiser l'essence. Malgré la crise multiforme et l'échec gouvernemental, quiconque préfère de loin le chaos ambiant à l'ordre factice de naguère, le système défaillant actuel à la dictature déchue. Quiconque est fier d'être à la fois acteur et témoin privilégié de ce grand moment de notre histoire. D'autres l'ont rêvé, nous l'avons fait, n'est ce pas là une source de ravissement ? En dépit des particularités et des pesanteurs du processus de transition dont les effets adverses ont édulcoré l'engagement initial et refréné la marche, l'idée d'avoir contribué au soulèvement et de l'avoir fait aboutir, le sentiment d'avoir détruit le mur de la peur et nous en exorcisé définitivement, la fierté d'avoir offert sa pierre et son bras pour paver ce chemin vers la liberté et pour démanteler pan par pan cet édifice despotique dont personne n'a imaginé une telle chute, rapide et fracassante, autant de sensations que nul contretemps ou dérapage ou revers n'est en mesure de froisser ou de pervertir. D'aucuns ont estimé, à juste titre à certains égards, que, deux ans après, la révolution s'est avéré un pétard mouillé dans ce sens que la situation socioéconomique et le niveau de développement régional ont accusé une nette dégradation, outre le contexte politique marqué par la polarisation, la violence et la course au leadership . Le bilan est certes médiocre, le constat fait l'objet d'une large majorité, mais toujours est-il que le tableau n'est pas aussi sombre qu'on veuille bien brosser, dans la mesure où la révolution a produit une onde de choc sur tous les plans, une véritable dynamique sociopolitique, une effervescence d'idées et de projets, a ouvert la voie de la démocratisation. La liberté, déclinée dans toutes ses formes (expression, conscience, organisation, manifestation, parti politique, association,...) est le principal acquis de la révolution, plateforme nécessaire et suffisante pour construire la démocratie et l'Etat de droit. La démocratie non seulement dans sa dimension politique mais notamment dans son acceptation économique, sociale et culturelle. Au commencement, il y a le verbe, dit-on. Donc, la liberté, surtout d'expression, est le pilier fondateur et fédérateur de toute démocratie et de toute justice sociale. Armés d'une telle force, les tunisiens ont les moyens de persuader, de dissuader, de critiquer, de corriger, de lutter contre les dérives, de contrôler les prestations de l'Etat et du Gouvernement, d'infliger des sanctions par le vote, d'imposer des choix dans divers domaines, de nourrir un modèle de société. Bref, la liberté, est la première locomotive qui entraine tous les autres volets. Faute de quoi, aucun processus de refonte politique, économique, social ou culturel n'est envisageable. Pour preuve, est-ce fortuit que chaque projet dictatorial commence d'abord par tenter de museler la liberté d'expression dans toutes ses configurations ? A contrario, celle-ci est la première brique dans tout chantier de démocratisation. Uniquement pour cela, et parce que nous jouissons de cette liberté, après une longue traversée de désert, malgré le pénible contexte socioéconomique, au-delà des séquelles de la dictature, des forces d'inertie et des reflexes réfractaires, il est indéniable que la révolution reste un grand moment de notre histoire. Il suffit d'être à la hauteur de cet évènement. Fût ce t-elle le seul fruit, même s'il n'est pas encore suffisamment mûr et sécurisé, la liberté, arrachée dans le sang et les larmes, au prix de moult sacrifices, est notre principal cheval de bataille pour franchir les clivages, les différences et les disparités, pour gagner la guerre de la démocratie et du développement.