Au-delà des arrière-pensées subjacentes, la poignée de mains dont les deux dinosaures de la vie politique tunisienne ont gratifié l'assistance est chargée de symboles et de messages. La photo, prise pour la postérité, a défrayé la chronique et a renvoyé dos à dos partisans et adversaires. Une image haute en couleurs, de nature à apaiser dans l'actuel contexte de chaos et d'incertitude. Les deux vieux briscards, qui se vouaient réciproquement une sainte aversion, et ne s'en cachaient guère, ont fait la Une et le spectacle, devant une galerie plus amusée que convaincue. La force tranquille de BCE contre l'esprit d'anticipation de RG. Les deux mammouths s'en étaient sortis sans trop de dégâts, quelques dividendes plein les poches. D'abord, les organisateurs ont fait preuve de beaucoup de subtilité et de sens de l'anticipation, en mettant BCE, RG, HJ et KM dans la même rangée, au devant de la scène. Soit deux ténors d'Ennahdha, en première ligne, avec deux leaders destouriens, au passé RCDéiste bien consommé. La moindre des politesses est de serrer la main de son voisin. Le coup était donc gagnant, l'essai a été bien transformé. Tout à l'avantage de BCE. En animal politique, rompu à l'art de la manœuvre, BCE a pris l'initiative semble-t-il (si l'on juge par les photos) de tendre la main à RG, le forçant peut-être à en partager la poignée. Le grand piège ?! Les yeux de Chimène pour acculer l'adversaire et habiller le frère ennemi de paradoxe. RG pourrait-il désormais continuer à faire de la loi d'exclusion (consolidation de la révolution) son cheval de bataille après une telle effusion ? Derrière cette poignée de mains, il y a aussi et surtout un aveu. Pour RG, quand bien même il en serait contrarié, il a joué le jeu et en a tiré son épingle. Le jeu en valait la chandelle. Il a donné l'image d'un homme de compromis, qui n'est pas l'otage de sa base, et qu'il agit en guide spirituelle, pour le bien de la Tunisie. Son contentieux avec BCE ne peut constituer, en aucun cas, une pierre d'achoppement ou bloquer la marche vers un consensus national. A conjuguer avec son dernier discours sur la mouvance salafiste djihadiste, il devient clair que RG multiplie les signes de paix et les œillades à l'opinion publique tunisienne, du moins la frange séculière et démocratique de l'électorat. Donc, cette poignée de mains, aussi impromptue ou forcée soit-elle, annoncerait-elle un tournant dans les rapports entre Ennahdha et Nida Tounes et marquerait-elle de son empreinte l'évolution enfin de la vie politique tunisienne vers des perspectives moins bouchées et plus opérationnelles? L'avenir nous l'apprendra. Croisons les doigts !