L'histoire enseigne que la dictature a construit son système sur la mise au pas de deux principaux piliers : la sécurité et la justice. En inféodant ces deux fonctions régaliennes de l'Etat, devenues ainsi des auxiliaires, aux ordres, obéissant au doigt et à l'œil, le régime en place est en mesure d'asseoir son édifice despotique. En un mot : Là où la sécurité et la justice sont soumises au diktat politique et à la poigne du pouvoir exécutif, il y a dictature. La justice tunisienne, depuis la révolution, à la croisée des chemins, coincée entre ses vieux démons et ses velléités d'indépendance, semble avoir choisi aujourd'hui son camp et son cap, choisissant de servir le prince et le palais. Les dernières affaires judiciaires traduisent ce constat et cristallisent la crainte d'une justice à la tête du client, à géométrie variable, à multiples et inégales vitesses. Une justice aux ordres de la poigne politique. Truffée de tels handicaps et autres défaillances, la justice n'est plus qu'une arme aux mains de la dictature. * Il est de plus en plus établi que l'acharnement juridique sur Sami Fehri obéit à des considérations politiques. Le dernier mandat de dépôt émis à son encontre sur une affaire ( présomption de corruption financière au sein de la poste tunisienne en rapport avec des contrats de publicité ) que le juge d'instruction a traitée auparavant et décidé de n'en donner aucune suite, en l'absence de toute infraction, montre la cabale politique contre Sami Fehri , au mépris de toute notion de justice. Le timing n'est pas fortuit car le mandat en question intervient quelques jours seulement avant que la Cour de Cassation ne statue sur sa remise en liberté. Bref, Sami Fehri doit croupir à la prison, quitte même à tordre le cou de l'appareil de justice. * Les terroristes ayant saccagé l'ambassade américaine s'en sortent avec seulement deux années de prison avec sursis. Les faits était avérés et les coupables confondus, images et vidéos à l'appui. Pourtant, le verdict est d'une clémence aussi insolente que suspecte. L'ambassadeur américain, tombé à la renverse, a failli s'en étrangler. D'aucuns ont soupçonné une offensive de charme à l'égard de la mouvance salafiste. Ce dossier suinte les relents de la manipulation politique et montre la main basse du gouvernement sur l'appareil de justice. * Le rappeur « Weld 15″ a écopé d'une sanction de deux années fermes de prison pour une chanson égratignant le corps policier. Au delà des paroles crues et insultantes que le rappeur a chantées, est-il recevable d'un point de vue juridique et moral, voire même intellectuel, qu'une justice, censée être républicaine et indépendante, mette au bagne un chanteur?! N'aurait-on pas voulu vouer le rappeur « Weld 15″ à la vindicte populaire, en parfait bouc émissaire, pour satisfaire le corps policier?! Dans les démocraties, jamais un artiste, quelle qu'en soit le domaine, n'ait été mis sous les verrous pour ses idées, quelle qu'en soit la teneur. Par définition, l'expression artistique est rebelle, écorchée vive, impertinente et même insolente par rapport à l'ordre ambiant qu'il soit politique, social, culturel ou moral. « Weld 15″, pour une chanson, a reçu la même sentence que certains meurtriers, coupables d'avoir assassiner les martyrs de la révolution. Le paradoxe est douloureusement saisissant. * Les trois militantes Femen sont écrouées pour quatre mois de prison ferme pour avoir protesté les seins nus sur un lieu public. Nul doute que la manière est inacceptable, condamnable à plus d'un titre, notamment dans une société arabo-musulmane, même si, dans l'intention, l'action est louable. Mais, par la sévérité de ce châtiment, n'aurait-on pas voulu adresser un message politique aux partenaires européens? La justice tunisienne aurait pu et du se contenter d'une lourde peine avec sursis et faire d'une pierre deux coups: D'une part, on aurait pu satisfaire les doléances des partenaires européens et montrer la capacité de la Tunisie de faire preuve de bonté et de pondération. Et d'autre part, avec une lourde peine assortie de sursis (une année par exemple), le verdict sera perçu comme ferme et exemplaire. Une façon de ménager la chèvre et le chou qui soit profitable à l'image et à la position de la Tunisie. Les quatre affaires ci-dessus mentionnées prouvent la main politique derrière la marche de la justice tunisienne, devenue plus instrumentalisée que jamais. Si l'on ajoute la justice transitionnelle qui, jusqu'ici, n'a pas vu le bout du tunnel, pour des raisons tout aussi politiques et partisanes, le tableau devient plus dégagé: Tout l'appareil de justice, en Tunisie, est corrompu par la gangrène politique, et de ce fait, incapable de se déployer d'une manière autonome, neutre et indépendante. Toute l'angoisse est de voir la justice tunisienne franchir le premier pas sur la sinistre voie de la dictature. Sans justice indépendante, la démocratie n'est qu'une coquille vide, une carcasse nourrissant le virus despotique. Pour conclure, citons encore une fois Charles de Talleyrand : « Les lois, elles, on peut les violer sans qu'elles crient« . Plein dans le mille !