La balle est tirée, droit au but, plein dans le mille. La destitution de Morsi est un tremblement de terre dont l'onde de choc est en mesure d'ébranler d'autres pays, notamment la Tunisie. La feuille de vigne de la légitimité électorale derrière laquelle s'est longtemps caché le président Morsi est tombée, dans un grand fracas, sous les coups de boutoir d'un peuple désabusé, dépité, indigné . On peut toujours pérorer sur la nature de cette destitution. Coup d'Etat ? Soulèvement populaire ? Deuxième révolution ? Démonstration de force ? Recadrage de la révolution ? Putsch militaire ? Toujours est-il que personne ne peut contester que le mouvement était populaire, sans leadership ni idéologie. Les forces armées égyptiennes ne pouvaient que se positionner dans le camp de la population d'autant plus que dans la culture, la mémoire et la conscience de l'Egypte le pouvoir militaire pèse de tout son poids dans le paysage politique. D'abord, tordons le cou à un fruste cliché: Ni dans la méthode, ni dans le déploiement, ni dans l'objectif, la déposition de Morsi n'était un coup d'Etat ou putsch militaire. L'intervention des forces armées égyptiennes était une réponse à un mouvement de révolte populaire. Si l'idée de coup d'Etat était au centre de sa réflexion, l'institution militaire aurait pu le faire bien avant, la présidence de Morsi ayant duré une année, pour rappel. Pourquoi le ferait-elle en ce moment? L'institution militaire était en symbiose avec la revendication populaire. Et si elle avait décidé de soutenir Morsi, elle aurait certainement trahi son peuple, privilégié le compromis politique et raté un grand virage de l'histoire. En plus, dès la destitution de Morsi, l'institution militaire n'a pas confisqué le pouvoir, n'a pas pris part à l'opération politique engagée, bien au contraire, elle a remis le pouvoir à des instances civiles, selon une feuille de route dont les termes ont été discutés, au préalable, avec les forces vives, politiques et confessionnelles, de l'Egypte. En conclusion, parler de coup d'Etat ou putsch militaire est un non sens, qui ne résiste pas à la moindre analyse. Des voix s'élèvent, ci et là, pour mettre l'accent sur la nature illégitime de la destitution et sur l'irrespect dont l'institution militaire était coupable contre la légitimité électorale de Morsi. Pourtant, l'institution militaire égyptienne a fait pire avec Moubarek, lui-même disposant d'une légitimité électorale, sans que ces voix n'aient daigné piper un traitre mot. Il n'y a pas de légitimité au dessus de celle de la rue, de celle du peuple. La présence de plus de trente millions d'égyptiens dans les places publiques et les rues pendant des journées pleines et entières écume toutes les légitimités. Chaque démocratie possède ses propres mécanismes pour rectifier le tir et recadrer le pouvoir politique, notamment face à l'incompétence professionnelle, la déchéance morale ou le détournement du scrutin de ses gouvernants. Le peuple égyptien était dans son plein droit de destituer un président qu'il a lui-même élu. Sa colère était fondée, Morsi étant imputable de nombreux écarts et manquements de haute gravité. Echec sur toute la ligne, promesses non tenues, déliquescence de l'Etat, paupérisation croissante, sédition confessionnelle, main basse sur les articulations de l'Etat, inféodation complète à l'agenda américain,….. A écouter les chantres de la légitimité électorale, le peuple égyptien aurait du sanctionner Morsi à la fin de son mandat, par voie électorale, et non à mi-parcours. Peu importe si, entretemps, il meurt de faim. La légitimité est une ligne rouge quand les gouvernants honorent les engagements qu'ils ont pris devant les gouvernés. La légitimité n'est pas un blanc seing, un chèque en blanc, une forme moderne de procuration à vie. Il s'agit avant tout d'un contrat qui devient caduc dès qu'une partie soit réputée défaillante. Le peuple égyptien s'est réapproprié sa révolution, a immunisé son parcours et exprimé, haut et fort, sa volonté de décider de son destin. Bravo et bon vent!