Pourquoi Al Jazeera a-t-elle remis le dossier de Kamel Letaïef sur la table ? Et pourquoi maintenant ? Ces deux questions semblent s'imposer tellement l'allusion à ce dossier semble être en dehors de tout contexte. Et puis, d'abord, il faudrait s'en poser une autre, de question. A savoir, pourquoi Al Jazeera s'est-elle donnée autant de mal et déplacé son animateur « Joker » à Tunis, pour recueillir les propos de Marzouki, ou faudrait-il, plutôt, dire, pour redorer le blason terni de son poulain Marzouki ? Car c'est bien de çà qu'il s'agit. La chaine qatarie a dépêché à Tunis Ahmed Mansour en personne pour s'entretenir avec Moncef Marzouki, à peine débarqué de New York, où il a brillé avec son réquisitoire pour Mohamed Morsi le président égyptien déchu. D'ailleurs, en guise d'interview, on a, plutôt, assisté à un récital donné par Ahmed Mansour, qui avait un message et un discours à tenir et à faire passer, ce qui l'a poussé, par moments, à suggérer carrément les réponses à son illustre hôte, qui avait visiblement assez de mal à suivre le cours des idées du journaliste, fatigué, probablement, par le décalage horaire. Cette intervention de Marzouki sur la chaine satellitaire semblait, en tout cas, venir à point, pour lui permettre d'étayer ce qu'il avait à dire et qu'il n'a pas eu le temps de bien expliquer du haut de la tribune des Nations Unies, concernant sa prise de position par rapport à l'Egypte mais aussi, et surtout, par rapport aux Emirats Arabes Unis. Cette « opportunité » donnée à Marzouki pour s'expliquer et s'étaler sur son sujet laisserait, à la limite, supposer que ce qu'il a déclaré à New York lui avait été dicté, non pas comme beaucoup le croyaient, par ses alliés d'Ennahdha, mais par ses « amis » du Qatar. De cette manière, le Qatar chercherait-il à replacer ses « alliés » sur l'échiquier politique tunisien qui tendrait de plus en plus à dériver vers le tandem BCE-Hamadi Jebali, qui semblerait d'ailleurs bénéficier du satisfécit des américains et de certains européens, écartant du coup les autres protagonistes et anéantissant d'un revers les efforts concédés par le Qatar depuis un certain hiver 2011 pour installer ses poulains en terre d'Ifriqiya. Et dans toute cette mêlée, que vient faire, justement, le dossier de Kamel Létaïef, que le journaliste égyptien d'Al Jazeera, connu pour sa proximité troublante des frères musulmans et même de la nébuleuse d'Al Qaïda, s'est fait un point d'honneur d'aborder, et d'insister dessus ? Al Jazeera veut-elle, ainsi, relancer Marzouki sur son orbite, celle d'ailleurs, de son thème préféré lors de la campagne électorale de 2011, celui de la chasse aux sorcières qu'il voulait lancer contre les caciques de l'ancien régime ? Il y a certainement un peu de çà, sans oublier, bien sûr, d'égratigner au passage ses « amis » d'Ennahdha, en rappelant qu'ils ont failli dans ce registre de justice transitionnelle, en faisant allusion à tous ceux qui continuent de profiter de la liberté alors qu'ils devraient de l'avis de notre président, fervent défenseur des droits de l'homme, croupir dans les prisons. Il n'a d'ailleurs, pas démenti les allégations d'Ahmed Mansour concernant Létaïef qui serait le vrai chef d'état de l'ombre, laissant de la sorte planer des doutes quant à certaines connivences entre lui et Ennahdha. Mais alors dans ce cas, c'est qu'ils se sont royalement trompé de cible, Marzouki et son illustre interviewer ! Car l'homme d'affaires et homme politique fervent opposant de Ben Ali depuis 1992, Kamel Létaïef, et malgré tout ce qui se dit à son propos, est le mauvais exemple qu'il ne fallait pas aborder, car le type a eu droit à son instruction et à toutes les investigations, qui ont d'ailleurs conclu à son innocence de ce qui lui avait été imputé concernant le supposé « complot contre la sûreté de l'Etat ». Et d'ailleurs, Marzouki a, encore une fois, raté une occasion en or de dire ce qu'il avait à dire pour se replacer dans son rôle chéri de défenseur des droits de l'homme, qui respecte le sacrosaint principe de présomption d'innocence. Et au vu des conclusions de l'instruction du dossier de Kamel Létaïef, tels que rapportés à maintes reprises par ses avocats, il aurait dû, au lieu de balancer que « jamais il ne s'autoriserait à demander à un juge de mettre quiconque en prison », ce qui sonne de façon très fâcheuse avec les convictions d'un soit disant défenseur des droits de l'homme, d'annoncer plutôt qu'il ne pouvait pas s'autoriser d'interférer dans le travail des magistrats dans le sens de leur demander de lever l'interdiction de quitter le territoire dont est frappé quelqu'un dont l'innocence aurait été prouvée par le juge d'instruction.