Tel un serpent de mer, le Programme Economique et Social de Nida Tounes est de la même trempe. Tout le monde en parle mais personne n'en voit ne serait-ce un brin d'ébauche. Depuis belle lurette, les pontes de ce parti nous rabattent les oreilles sur l'imminence de la publication de ce document et jusqu'ici il n'y a rien eu à se mettre sous la dent. De report en report jusqu'au discrédit. Il est quand même étrange qu'une formation politique, caracolant en tête dans les sondages, se permette l'insigne luxe, alors que le pays est envahi par l'ambiance pré-électorale, pour ne pas dire effervescence électorale tout court, de passer sous silence son Programme Economique et Social, pilier de toute campagne électoral, et de renvoyer aux calendes grecques son premier Congrès. Ce flou artistique, où l'art n'est ici qu'un doux euphémisme sinon un écran de fumée, ajoute une couche de confusion à un contexte électoral déjà suffisamment brumeux. Même les sympathisants de Nida Tounes pestent contre le retard, jugé incompréhensible et non moins préjudiciable, pris dans la publication officielle du Programme Economique et Social. Et ce, sans compter les indécis, estimés à environ 50% dans les sondages, qui ne risqueraient forcément pas d'être séduits par un parti dont le Programme Economique et Social est encore un projet en tiroir, voire tout simplement une vue de l'esprit. En outre, en termes de communication et de diffusion, les organes de presse ne peuvent médiatiser un document encore sous embargo, à moins qu'il ne soit encore en cours d'esquisse. Il aurait été mieux indiqué, plus simple et plus transparent, pour Nida Tounes, de franchir le Rubicon et de tenir à l'opinion publique tunisienne un langage de vérité pour affirmer que son Programme Economique et Social n'est pas encore finalisé et qu'il sera rendu public à tel jour. Au lieu de faire dans l'opaque et l'évasif, répétant jusqu'à l'indigestion que le document est prêt sans que personne n'en ait vu un bout de paragraphe. A en juger par le discours enflammé et la démonstration de certitude dont ses leaders ont fait étalage lors de la célébration de la Fête des Martyrs, mercredi 9 avril, au Sijoumi, Nida Tounes semble tellement sûr de son coup et de son succès qu'il a éludé les questions, pourtant importantes et non moins graves, concernant son Programme Economique et Social et son premier Congrès. Braqués sur une logique postélectorale, les barons de Nida Tounes planchent d'ores et déjà sur le lendemain des élections, en l'occurrence, les alliances à construire, les portefeuilles ministérielles à allouer, les candidats à la primature à départager, les principes de gouvernance à faire admettre. La victoire aux élections n'étant plus une hypothèse, encore moins une contingence, c'en est même une donnée objective et tangible. On dirait un plébiscite avant l'heure ! Il y a un goût d'aller trop vite en besogne ! Peut-être bien que Nida Tounes s'efforce de sortir de l'ordinaire, de renverser l'ordre naturel en mettant la charrue avant les bœufs. En politique, cette posture pourrait se traduire par l'image d'un homme tirant une balle dans le pied. Trop d'assurance flingue l'assurance, et il faut être une fine gâchette pour plomber une cible mouvante. Juste une question : Y aurait-il un lien de cause à effet entre la double absence de son Programme Economique et Social et son premier Congrès et la régression constante de Nida Tounes dans les sondages ainsi que les démissions et les rivalités des ailes qu'il ne cesse d'encaisser de plein fouet ? Il n'est pas exclu qu'à ce rythme, et sans un sursaut rectifiant le tir, le parti parvienne aux élections exténué, divisé, fragilisé. Quand elle reste dans les limites de la décence, la confiance en soi est une force motrice, un levier d'attaque, une bonne carte dans la donne électorale sinon ce serait un coup de bluff, un poker menteur, une manière de vouloir tout rafler sans miser un sou. Les élections sont avant tout une affaire de communication, de travail de terrain, de campagne à tout azimut envers et pour les électeurs, disciples ou potentiels, et non de professions de foi et d'effets d'annonce. Le Programme Economique et Social est un contrat politique et moral entre le parti et son électorat. Le moindre des respects est de publier le document dès lors que les sénateurs de Nida Tounes jurent leur grand Dieu qu'il est déjà achevé. Est-ce par souci de timing ? Attendre le moment propice pour procéder à la publication ? Auquel cas, une date indicative n'en serait pas de trop ! En tout cas, le doute est permis. Ne pas oublier que le doute est têtu et a la peau dure et risque de saper la position en haut de d'affiche de Nida Tounes avant que le soleil de la vérité ne se lève.