Dans la droite lignée de la gauche tunisienne, incapable de saisir au vol l'instant historique et de dépasser sa guerre interne d'égos et sa course fratricide au leadership, le Front Populaire (FP) n'a pas pu ou su ou voulu faire bloc derrière une position claire sur le candidat à soutenir au deuxième tour, se gardant de trancher dans le vif, préférant la survie de la coalition le composant à l'intérêt national. Sous pression de diverses formes et intensités, notamment d'ordre externe, otage d'une minorité de blocage en son sein, dont la position intransigeante contre BCE a menacé de faire imploser la formation politique, le FP n'a pas trouvé mieux que de contourner la rivalité interne et l'affrontement des ailes, ménager les camps en conflit et se rabattre sur une posture pour le moins équivoque et évasive. Il continue de cafouiller et de rater les tournants. Un discours ambigu, ambivalent et voué à diverses interprétations. D'aucuns estiment que le FP a fui ses responsabilité et a fait volte-face quand on sait que, depuis le premier tour, ses principaux leaders ont affirmé et réaffirmé que le FP annoncera nettement sa position dès que les discussions internes, par moments pénibles, voire houleuses, aboutissent à un consensus en faveur d'un candidat. Il n'en est rien. L'enjeu partisan a prévalu et a tout conditionné. Le tactique a pris le pas sur le stratégique. En effet, après un conclave d'environ 20 jours, au terme de moult tractations et négociations, auxquelles la classe politique et l'opinion publique étaient longtemps suspendues, le FP a botté en touche, envoyant les deux candidats dos à dos. Un vrai flou artistique, si d'aventure l'art en est pour quelque chose. De toute évidence, le FP n'a pas eu le courage ni de choisir ni de jouer franc jeu. Dans son communiqué, d'une part, il appelle le peuple tunisien à barrer la route à Moncef Marzouki (Candidat d'Ennahdha, dixit), et d'autre part, il agite l'épouvantail de la résurgence de la dictature à travers des mécanismes et des alliances politiques hostiles aux revendications de la Révolution. Une figure de rhétorique, chère au président sortant, et qui est de nature à apporter de l'eau à son moulin. Suivez le regard du FP. Le message, sans être frontal, est bien lisible. C'est de BCE qu'il s'agit, auquel ses adversaires n'ont cessé de lui prêter des intentions d'hégémonie et d'omnipotence. D'autant plus que le FP demande à BCE de clarifier son projet gouvernemental. Cet appel soulève quelques points d'interrogation dont ci-après les plus importants : Sur un autre plan, dans le même communiqué, le FP épingle Nida Tounes pour compter dans ses rangs des figures de l'ancien régime. Bizarre pour le moins ! Est-ce que le FP ne le savait pas quand il était, côte à côte, la main dans la main, dans le Front National du Salut ?! Peut-être qu'il vient de l'apprendre. Sinon, pour le commun des sympathisants FP, comment concilier l'injonction « barrer la route à Moncef Marzouki » avec l'ordre « ne pas donner un chèque en blanc à BCE« , équation par trop compliqué, voire insoluble, plutôt intraduisible en termes d'instruction de vote et de scrutin. Il n'est pas interdit de penser que le résultat des négociations sur la composition du Bureau de l'ARP semble avoir déteint sur le débat interne et radicalisé un peu plus l'aile dure. A ce propos, le FP a mal calculé son coup et a fait preuve d'un manque de sens politique, en focalisant exclusivement ses efforts sur la première vice-présidence alors qu'il était en mesure d'en conquérir la deuxième, presque sur un plateau. En termes de nombre de sièges, Ennahdha devance largement le FP et il est tout à fait dans l'ordre logique des choses que la deuxième force politique glane la première vice-présidence. C'est un aspect à tenir en ligne de compte que le FP a viré vraisemblablement de son raisonnement. Etant quatrième dans l'ordre des élus, le FP aurait du faire preuve de lucidité et de sens de la mesure et non s'évertuer à renverser la donne et la table et placer la barre plus haute qu'il n'en faut. Dans ce registre, il est évident que l'UPL a mieux négocié et mieux compris la situation. Dans le même ordre d'idées, il n'est pas également exclu que l'entente Nida Tounes / Ennahdhi sur le Budget de l'Etat, à l'ARP, votant en faveur du projet contrairement au FP, ait constitué, à ses yeux, une autre clé de lecture, suggérant, en filigrane, une alliance aujourd'hui latente, et demain manifeste, entre les deux principales forces électorales au pays. Perspective que le FP milite contre et refuse d'en faire partie. L'objectif ultime étant de se démarquer de la bipolarisation et de se positionner en tant que troisième voie et alternative d'avenir, compact, crédible et solide. En conclusion, et avec le recul nécessaire, la lecture objective dudit communiqué laisse, quelque part, penser que le FP n'a rien choisi, ne soutient aucun candidat. Personne n'emporte son adhésion. Il n'y a qu'un pas avec la consigne de vote blanc en sous main que nombreux ont forcément franchi. Le cas échéant, en déplumant BCE, le FP ne serait-il pas en train, peut-être sans le savoir, de baliser la voie à Moncef Marzouki et de forcer un chemin en sa faveur alors qu'il a enjoint, haut et fort, son électorat de lui barrer la route ? Allez comprendre quelque chose !