La superpuissante centrale syndicale ne s'était jamais retrouvée dans une situation telle que celle qu'elle traverse actuellement. Elle a, pourtant, si bien su survivre aux multiples crises qui lui avaient, un certain moment, grevé le parcours. Elle a su tirer son épingle du jeu du temps de la lutte pour l'indépendance, de même que lors des sanglants affrontements qui l'ont opposée au régime de Bourguiba. Elle a su se faire discrète, pendant l'époque de Ben Ali. Elle a, par la suite, su choisir son moment pour changer son arme d'épaule, au moment de ce qu'on a convenu d'appeler « révolution du jasmin », et tirer, de ce fait, le meilleur profit de ces évènements. Par la suite, elle a su s'imposer en tant que force sociale, mais aussi, et surtout, politique, du temps de Feue la Troïka, en prenant des décisions quand il le fallait, et en mettant la pression quand cela était nécessaire. Elle a fait partie du quartette qui a présidé au dialogue national et qui a poussé la malaimée Troïka au départ. Et depuis, plus rien. Il semblerait que le gouvernement mis en place, et surtout, les partis politiques qui ont pu accéder au pouvoir, entre autres, grâce à elle, se soient montrés d'une ingratitude écœurante pour les dirigeants de l'UGTT. Puisqu'ils ont fait la sourde oreille aux multiples appels du syndicat pour institutionnaliser le dialogue national, et ainsi, jouir d'un statut officiel d'une puissance politique et sociale difficile à contourner sur la scène politique de la Tunisie. D'ailleurs, les dirigeants de l'UGTT sentaient que c'était le moment où jamais de s'affirmer en tant que tels, vus l'instabilité qui caractérisait la période, et les hésitations du gouvernement à prendre le bon départ. Mais rien n'y a fait, les partis au pouvoir étaient apparemment décidés à ignorer l'UGTT et à lui refuser le moindre statut dans le nouvel échiquier politique du pays, la reléguant à son statut, somme toutes, naturel, de partenaire social, rompu à la défense des droits des travailleurs. Or, après avoir goûté aux « délices » du pouvoir politique et de la capacité de faire la pluie et le beau temps, les dirigeants de l'UGTT n'entendaient nullement se laisser remettre à leur place. Ils se sont jurés d'enquiquiner le gouvernement, de le bloquer, de le saborder, de le pousser, carrément à la démission, puisqu'ils en avaient, désormais l'expérience, croyaient-ils. C'est ainsi qu'ils ont multiplié les grèves et les mouvements de protestations. Jamais de mémoire de vivant, il n'y avait eu quelque part sur cette terre, autant de grèves, et autant de jours de travail perdus. Mais, il n'y avait, décidément, rien à faire. Il semblerait qu'ils aient à faire à plus coriace qu'eux. En effet, le chef du gouvernement a continué à ignorer, royalement, et magistralement, leurs aspirations « politiques », tout en prenant la précaution d'assurer qu'il respectait pleinement leur rôle social et la légitimité de leurs requêtes. Cette attitude de Habib Essid a fini par avoir raison de la patience des dirigeants de l'UGTT qui se sont lancés sans trop réfléchir dans leur guerre sacrée contre le gouvernement, en mettant à genoux l'économie du pays, en bloquant la quasi-totalité des services vitaux de l'Etat... Mais toujours rien. Habib Essid est resté inébranlable, et désespérant de stoïcisme. Ce qui a fini par pousser la centrale syndicale à ignorer les lignes rouges qu'elle savait, pourtant, qu'il n'était nullement possible de dépasser impunément. Ils se sont attaqués au saint des saints, à ce que les tunisiens considèrent comme le sacré du sacré, entendre par là, l'avenir de leur progéniture, leur santé, mais aussi, leur maigre salaire. L'UGTT a donc, fini par oser, dans un ultime élan de rage, s'attaquer à l'éducation des enfants du tunisien, en mettant en péril toute l'année scolaire, et en montrant une arrogance sans limites concernant des revendications salariales jugées, par la majorité des tunisiens, comme excessives et irréalistes en cette période de crise. Elle a aussi bloqué les hôpitaux poussant les malades et leurs parents au désespoir et surtout, à la rancune... Et, enfin, la goutte qui a fait déborder le vase, elle a provoqué des tailles douloureuses dans les salaires des pauvres travailleurs qui lui avaient fait confiance, et qui se sont retrouvés en ce début de mois saint, sérieusement amputés dans leur pouvoir d'achat. Les réactions se font, désormais de plus en plus agressives et hostiles, de la part des citoyens, mais aussi, des salariés, eux-mêmes, qui commencent à regretter d'avoir fait confiance à un syndicat qui ne cherchait, en définitive, pas leurs intérêts comme il le prétendait. Mais, malgré toute cette surenchère et tous ces « couacs » certains dirigeants de l'UGTT semblent décidés à jouer leur va tout, et continuer dans leur démarche qui ressemble plus à un comportement suicidaire qu'à toute autre chose. Décidément, quelle ironie du sort, quand on pense que çà aura commencé par le suicide d'un marchand ambulent pour s'achever sur celui de toute une centrale syndicale !