Finalement, le « Zaim » n'a pas retrouvé son piédestal, il moisira encore un bout de temps à la Goulette avant que Carthage, où l'idée a vu le jour à grande pompe, ne daigne se pencher réellement sur la question et ne joigne l'acte à la parole. Pourtant l'effet d'annonce a bien marché, nombre de tunisiens en ont été séduits, quoi qu'un autre camp, farouchement opposé, ait levé les boucliers et fait un tollé contre le transfert de la Statue équestre de Bourguiba à l'avenue portant son nom, et ce en invoquant tantôt des motifs financiers et tantôt des considérations politiques, voire même idéologiques. La cacophonie régnant au palais présidentiel, qui n'est pas à sa première manifestation ou expression,a eu raison de l'opération, renvoyée, aux dernières nouvelles, au 1er Juin 2016. Ça tombe à pic dans la mesure où, en termes de timing et de symbolique, cette date est nettement plus pertinente. Si le report est décidé, le cas échéant, pour des raisons de chronologie et de marquage historique, on peut objectivement conclure que la justesse, la convenance et l'adéquation ont prévalu. Par contre, si l'ajournement est le fruit d'un manœuvre dilatoire ou d'un exercice de pression dont Carthage est l'objet, on peut tout aussi objectivement reprocher au président de la république, avec virulence et à juste titre, d'avoir trahi son modèle et son maitre à penser, d'avoir cédé à la polémique et renoncé à aller au bout de son idée et de son projet. Le parcours de cette œuvre de sculpture, inscrivant dans la postérité et dans la mémoire collective le retour triomphal du « combattant suprême » à la mère patrie, le 1er Juin 1955, au terme d'un douloureux exil, reste atypique. Son déboulonnement, qui plus dans l'obscurité de la nuit, a constitué la première action funestement symbolique que le dictateur déchu a effectuée au lendemain de son coup d'Etat médical. En effet, quatre jours après sa prise du pouvoir de sinistre mémoire, soit le 11 Novembre 1987, la Statue équestre de Bourguiba a été démontée et replacée à la Goulette. Pour les adversaires de Bourguiba, notamment son noyau dur d'ennemis irréductibles, l'argument coule de source : La Goulette est l'endroit idoine pour installer la fameuse et non moins controversée Statue dès lors que le retour d'exil de Bourguiba a eu lieu au port de cette ville et que ce dernier a salué l'immense foule, venue à son accueil, chevauchant un étalon pur-sang arabe. Par conséquent, la symbolique commande que la Goulette soit le lieu de sa statue équestre. Sauf que Bourguiba, loin d'être inculte en termes de communication, d'image et de culte de la personnalité, loin s'en faut, a choisi l'avenue en son nom pour dresser l'œuvre artistique. Pour respecter sa volonté, il aurait fallu s'en tenir à son choix. Les velléités de gommer le « Jugurtha qui a réussi » de la mémoire et du champ visuel, de le faire sortir par la petite porte de l'histoire, de s'acharner sur ses indélébiles empreintes sur la Tunisie moderne, n'ont pas tardé à s'exprimer et à s'ingénier, vainement d'ailleurs, à déconstruire l'image et l'héritage que le « père de la nation » a légués et enracinés au cœur de la Tunisie.Même après sa mort, Bourguiba continue de terroriser ceux qui s'acharnent sur son cadavre et exhument sa dépouille tel un épouvantail pour lui imputer quelques torts. Bien sûr, Bourguiba n'était pas un modèle de démocratie, il était despote à sa façon, dictateur éclairé, cultivé, aussi visionnaire que pionnier. Il était paternaliste et dévoué à sa cause et à son peuple, jaloux jusqu'aux orteils de ses choix, de ses convictions et de ses modèles, les mains propres, les bras ouverts et les larmes faciles. Réduire un grand homme, tel que Bourguiba, à ses errements, à ses tares et ses erreurs et occulter ses impérissables réalisations et ses vertus de grand homme d'Etat, n'est ni sain ni sage ni crédible. L'histoire enseigne qu'on ne peut effacer une icône sans la sublimer et sans s'en brûler les doigts. En effet, les symboles sont têtus et ont la peau dure. Aussitôt on les chasse, ils reviennent au galop. Ils sont un ferment de l'identité d'un peuple et de la conscience sociale. Le symbole désigne, suggère, représente, associe. Sur l'autel des symboles, combien de sang a coulé, combien de fractures ont craqué, combien de sacrifices ont flambé. Il est moins risqué de tordre le cou de la vérité que d'érafler le visage du symbole. Le commun des mortels rechigne véhément sinon s'oppose farouchement à toute velléité d'écorcher les symboles. Qu'on le veuille ou non, et n'en déplaise au dernier carré de ses détracteurs, Bourguiba reste le symbole le plus percutant de la Tunisie d'aujourd'hui et de demain. En conclusion, le retour de la statue équestre de Bourguiba là où il avait voulu qu'elle fût érigée , à sa place initiale, au cœur de la capitale, plus exactement à l'avenue qui porte son nom, n'est pas un caprice ou une manœuvre ou un acte d'instrumentalisation, mais bel et bien une marque vibrante de respect à Bourguiba et de reconnaissance à son œuvre. Les nations civilisées honorent leurs leaders et leurs figures historiques. Se figer derrière l'argument de coût de déplacement ou derrière sa grille de lecture bassement politicienne est un non-sens à tout point de vue. Peut-être encore plus, et dans le même ordre d'idées : Pourquoi pas ne pas plancher sur le projet de construire un Panthéon de la Tunisie où seront enterrées les dépouilles ou les restes ou même les ossements des grands hommes et femmes qui ont fait l'histoire de la Tunisie ?Et il y en a plein. A méditer !