Le projet de Gouvernement Union Nationale (GUN), proposée par le chef de l'Etat, partage la classe politique et l'opinion publique nationales. Quoi qu'elle n'ait pas vraiment surpris dans sa forme, le pays accusant un malaise à divers niveaux, l'initiative interpelle par son timing. D'aucuns estiment qu'il s'agit là d'un aveu d'échec, d'un message de détresse, voir même d'un coup de poignard au dos, dans la mesure où le président Beji Caid Essebsi (BCE) est censé appuyer le chef de gouvernement qu'il a choisi et a chaque fois reconfirmé et non le flinguer, en public et en direct, par calcul et le sacrifier sur l'autel de l'intérêt politique. D'autres, plus catégoriques, estiment que le moment est bien adéquat pour faire un choc psychologique et pour reconstruire l'équilibre politique au sein du gouvernement que la personnalité trop flasque de Habib Essid a fait rompre, d'autant plus que le bilan du gouvernement Essid I et II n'a rien de positif, bien au contraire ! Nul doute, le gouvernement Essid I et II a péché par nombre de manquements sinon de maladresses ainsi que de contraintes dont en particulier: Le constat dressé par BCE ne souffre pas d'ambiguïté. Le gouvernement n'a pas relevé le défi et a manqué d'audace et de transparence. D'où l'initiative de GUN. Tout compte fait, BCE n'a rien à perdre, bien au contraire, il a tout à gagner. Si le projet est mené à bon port, la réussite lui sera attribuée. En cas de revers, il aurait fait de son mieux mais les partis politiques et les partenaires sociaux tunisiens ont failli, par manque de lucidité et d'engagement. Dans les deux hypothèses, BCE tirerait son épingle du jeu. Ce serait, somme toute, une épreuve pour la maturité de la classe politique et des partenaires sociaux. Le fait que BCE souhaite inclure l'UGTT et l'UTICA dans le débat et dans la composition du nouveau gouvernement laisse penser que l'échec est également social dans ce sens que la concertation entre le gouvernement Essid et les principaux partenaires sociaux a fait défaut. Il n'est pas exclu que, dans l'esprit de BCE, l'intégration des grands acteurs sociaux dans la nouvelle donne politique soit en mesure d'amener la paix sociale qu'il a toujours appelé de ses vœux. Peut-être aussi qu'en associant l'UGTT à la négociation et au gouvernement, il serait plus aisé de réduire la marge de manœuvre de la centrale syndicale sinon de lui couper les ailes et de pouvoir ainsi la phagocyter. Sur un autre plan, BCE a affirmé que les partis qui ont rejeté le Dialogue National ne seront pas concernés par le Gouvernement d'Union Nationale, en particulier le CPR. Dans cette perspective, une question se pose : L'ex président MMM, qui a bénéficié de 44% des voix au dernier scrutin présidentiel, en serait-il écarté ? Auquel cas, cette mise à l'écart est-elle logique, d'un point de vue politique et même morale ?! D'ailleurs, le débat sur le GUN réunira-t-il les partis au pouvoir ou sera ouvert à d'autres formations politiques, notamment à l'opposition, le cas échéant ?! Un autre scénario à craindre : En cas d'accord sur le gouvernement d'Union Nationale et sa composition ministérielle, il n'est pas à exclure qu'Ennahdha, désormais le parti disposant du plus grand nombre de sièges à l'ARP revendique le droit constitutionnel d'en choisir le chef que le président de la république sera contraint de désigner. L'hypothèse d'une possible controverse et d'une nouvelle crise politique n'est pas à écarter. Un dernier point : Le gouvernement Essid, qui est supposé être fort car produit des urnes et bénéficie ainsi de la légitimité électorale, s'est cassé les dents, que dire alors et qu'attendre d'un gouvernement composé dans les coulisses, fruit de négociations plus ou moins houleuses, que le peuple n'a guère choisi. Il y aura certes le vote de confiance de l'ARP mais sera-t-on vraiment sorti de l'auberge et verra–t-on vraiment le bout du tunnel ?! Problème de gouvernement ou de gouvernance ?! Voilà la véritable question. Au-delà des hommes et des partis, pour mener à bien cette étape, il faudrait négocier et convenir d'un programme bien articulé et auquel le financement nécessaire sera disponible. De toute évidence, il ne s'agit pas d'un problème de compétences mais d'idées, de stratégies et de perspectives. Le programme est nettement plus important que les noms. Le bat a toujours blessé au niveau de la stratégie gouvernementale et non du profil ministériel. En conclusion, de quelle nature sera le remaniement tant annoncé ? Structurelle ou fonctionnelle ? Intégrale ou partielle ? Refonte en profondeur ou ravalement de façade ?! Il est temps que le gouvernement fixe le cap et articule son action autour d'une stratégie bien définie et non moins bien menée. Ce n'est point un gouvernement expédiant les affaires courantes dont la Tunisie a besoin mais puisant sa force dans son projet, la cohésion de sa démarche, la portée de son action et la compétence de son équipe.