Limoger Neji Jalloul aurait coulé de source s'il avait fait preuve d'incompétence ou raté son mandat. Le scénario n'aurait dérangé personne s'il avait failli à sa mission ou avait bafoué la discipline de groupe ou la ligne de son chef. Sauf que le ministre de l'éducation, parmi les rares ministres à sortir du lot gouvernemental et à faire l'unanimité dans l'opinion publique nationale, a donné satisfaction dans sa gestion et dans son projet de réforme. L'exclure serait un mauvais message et un aveu d'échec. Même juste l'idée de penser à le chasser est une insanité en soi. En politique comme ailleurs, il y a toujours des bras de fer mais pas de bras d'honneur surtout envers son propre camp, il y a toujours des lignes rouges infranchissables mais pas de chats noirs à offrir à loisir en contrepartie de quelque maigre butin. Limoger Neji Jalloul serait compris comme un sacrifice gouvernemental sur l'autel de la raison d'Etat, si jamais raison et Etat il y aurait. Dans ce cas de figure, ce ne seraient pas ou plus Youssef Chahed et son équipe qui gouvernent mais ce serait l'UGTT qui tire les ficelles à l'antichambre du pouvoir. Prouvant encore une fois, si besoin est, que la centrale syndicale se complait aujourd'hui à jouer beaucoup plus les acteurs politiques que les partenaires sociaux, à substituer son habit politique à sa tunique syndicale et à mettre à profit la faiblesse du gouvernement pour empiéter, voire confisquer ses attributions. Un Etat dans l'Etat. Un Etat otage d'un Etat. Tous les coups tordus seraient permis, tous les retours de manivelles seraient envisageables. Limoger Neji Jalloul serait perçu comme le triomphe de la médiocrité sur la compétence. Un ministre n'est plus jugé sur son rendement à la tête de son département mais sur son niveau d'inféodation aux partenaires sociaux, en particulier l'UGTT, et de soumission à leurs diktats. Autrement dit, n'importe quel ministre, quel qu'en soient le profil et le bilan, est bon à être décapité quand l'intérêt bassement politicien se fait sentir. Aucun ministre n'est à l'abri pour peu que l'UGTT fronce les sourcils, éructe un oukase ou joue les gros bras dans l'arène politique. Aujourd'hui L'UGTT n'est plus dans sa vocation première de contre-pouvoir organisé mais dans sa quête effrénée de prendre le pouvoir. Sa mission syndicale ou plutôt sa démission syndicale au service, à contre nature, de ses ambitions de conquérir le pouvoir politique. Sur la corde raide, les "sots périlleux" enchainent les grands écarts et les exercices d'acrobatie entre le politique et le social rien que pour faire main basse sur le pouvoir. Une confusion des rôles et une dérive des mandats. Limoger Neji Jalloul serait tout bonnement prostituer la fonction ministérielle, voire même l'Etat. Ce serait faire tomber la dernière feuille de vigne cachant la nudité de tout un gouvernement. Le cas échéant, la république n'est plus qu'un bordel. A Carthage, à la Kasbah et au Bardo, les gouvernants n'auraient plus de couilles. Juste un vieux ramassis de couillons. On ne sait plus à quel sein se vouer !! Pour paraphraser la célèbre et non moins mordante formule de Pierre Chevènement :"Un ministre, ça racole sur les trottoirs de la place Mohamed Ali, ça se prostitue aux proxénètes de l'UGTT, ou ça se fait évincer par la peau des fesses". On ne récompense plus le niveau de performance mais le degré d'aliénation. Tous les ministres tunisiens seraient désormais prévenus. Pour conserver leur portefeuille, un seul mot d'ordre : Allégeance pleine et entière à l'UGTT. L'intérêt national ? On s'en fout. L'esprit de groupe et son projet ? On s'en fiche. Juste le poste, rien que le poste à conserver. Limoger Neji Jalloul serait traduit comme la victoire de l'incorrigible cancre de la république, à savoir Lassaad Yacoubi, sur l'élève brillant, premier de sa classe. L'école de la république ne serait plus qu'un monstre froid, une machine à broyer un monceau de lingots d'or pour en faire un tas de ferrailles rouillées. Comment accepter qu'on révoque un homme émérite pour les beaux yeux (encore à prouver !) d'un homme de paille. Comment encaisser qu'un apprenti, en herbe dans l'atelier syndical, soit en mesure de chasser le maitre d'œuvre chapeautant le grand chantier de l'éducation. Limoger Neji Jalloul serait un grave précédent et ouvrirait la porte à tous les abus. Ce serait la foire d'empoigne. N'importe quel ministre serait l'otage de la structure syndicale opérant dans son département. Est-ce que l'Etat aurait encore un sens ou une autorité si un petit ruisseau syndical était capable de détourner le cours des rivières politiques. Quel gouvernement serait capable de résister si chaque ministre savait qu'il était sur un siège éjectable et que son rang ministériel n'est qu'une monnaie de singe, une monnaie d'échange dans le marché syndical. Le grand bazar bruit de surenchères et de cris de solde. Aucun gouvernement ne tiendrait le coup si ses ministres n'avaient plus le poids devant n'importe quelle officine syndicale, si sa décision lui appartenait peu ou prou, si son chef ne savait pas frapper de grands coups sur la table, au moment opportun, jouant son rôle à fond, pour prémunir son champ de compétence, renforcer sa marge de manœuvre, imposer ses points de vue et tenir tête à l'adversité, à n'importe quelle adversité. Il est fort connu que les mains qui tremblent ne construisent rien et les pas mal assurés ne font rien avancer. Limoger Neji Jalloul soulèverait une question de poids, et non des moindres : Pour quelles raisons ?! Ledit ministre n'a pas failli à sa tâche, il remplit bien son fauteuil et sa fonction, il est fortement apprécié par les tunisiens, à en juger par les divers et successifs sondages d'opinion. Alors pourquoi le tacler par derrière et le faucher de son piédestal ministériel ?! Pourquoi détrôner un homme de projet, qui plus est qui a fait ses preuves, pour contenter un partenaire social, calculateur et manipulateur, qui plus est qui louche par le cerveau ?! L'incompréhension serait à son comble et le paradoxe saisissant jusqu'aux ongles. Bien sûr, en politique, ce ne sont pas les hommes qui comptent mais les intérêts, ce ne sont pas les arguments ou les principes qui prévalent mais les concours de baratin, ce ne sont pas les grands artistes qu'on honore mais les petits artisans magouilleurs aux mains sales. En résumé, limoger Neji Jalloul est une absurdité sans nom et sans motif. Quels arguments avancer ? Aucun, de toute évidence, excepté le manque de caractère, de force, de conviction et surtout de vision. "Gouverner, c'est prévoir" comme prévient le vieux dicton. On ne gagne pas une bataille qu'on ne livre pas. On n'en sort pas vainqueur sans audace, sans stratégie et sans courage. Ceux qui fuient le combat et la confrontation ne se nourrissent que de leur lâcheté comme des charognards. Auquel cas Youssef Chahed donnerait à ses détracteurs le bâton avec lequel ils lui briseraient les reins. Il faut vraiment avoir beaucoup plus de cervelle entre les orteils que sous le crane pour se résigner à baisser la garde et les bras au lieu de multiplier les coups de poing et de pied. Esprit étriqué et courte vue. Dans ce cas, ce serait un chef de gouvernement de pacotille, plus comparse qu'acteur sur le théâtre de la république. La tombée du rideau annoncerait la fin de la pièce de mauvais goût. Ce serait autant indigne que suicidaire. Limoger Neji Jalloul serait un autre clou dans le cercueil de ce gouvernement soi-disant d'union nationale et une autre balle tirée dans les flancs de l'Etat. Et comme dit la sagesse populaire "nul n'est prophète dans son pays". Nul doute, Neji Jalloul n'est pas le messie, loin s'en faut, mais il n'en reste pas moins un ministre qui a "le grand défaut" d'être apprécié, à sa juste valeur et à juste titre, par la majorité des tunisiens. Pour ces différents raisons, le déloger de son poste aurait les allures d'un crime d'Etat !!