Depuis sept ans, le corps politique tunisien, composé dans la précipitation et la segmentation, affaibli par une classe politique schizophrène, myope et fragmentée, souffre d'un autre mal plus profond, à savoir la "reportite". En effet, l'ajournement est devenu un sport national. N'importe quelle échéance, quelle que soit son importance, est automatiquement renvoyée à une date ultérieure sinon aux calendes grecques. Rares sont les rendez-vous politiques qui ont été tenus à temps, au moment convenu (élections, nominations, votes secondaires,,etc.). Une nouvelle "culture" basée sur les manœuvres dilatoires et les fuites en avant semble avoir pris le pas sur toute culture d'engagement. La mémoire grouille d'exemples tout autant significatifs que malheureux. Le report, à trois ou quatre reprises, des élections municipales en est l'illustration la plus édifiante. A en croire que le microcosme politique national ne respire que dans la prochaine étape, les yeux rivés sur les perspectives et non sur les pesanteurs et autres contingences de l'heure. Les hommes politiques sont beaucoup plus friands à s'accorder sur l'idée de report que sur un projet d'intérêt national. Le consensus est plus facile quand ils dégagent en touche que quand il s'agit de marquer un but. Toute œuvre collective d'actualité, au service des objectifs de développement d'ordre politique, économique, social ou institutionnel, n'est qu'une guerre de tacles par derrière et de coups , souvent bas ou tordu. Tout est sujet de crêpage de chignons ! Un ring où on boxe toutes catégories présentes! Pourquoi la classe politique tunisienne n'arrive pas honorer les échéances pourtant fixées soit par la loi, soit par consensus ? La majorité des rendez-vous a été ajournée, toujours d'un commun d'accord entre les principaux partenaires politiques. Une seule et unique explication, aussi bassement politicienne que moralement injustifiable, à savoir l'intérêt partisan, rien que le butin, rien que le combat de positionnement, rien que la bataille pour le pouvoir. Une logique de prédation. A-t-on des partis politiques ou des groupements d'intérêt ? A-t-on des hommes politiques ou des épiciers politiques à la petite semaine ? En Tunisie, les soi-disant hommes politiques ne font pas la politique, mais du strip-tease . Ils détruisent la politique croyant en faire, ils en dégoûtent le peuple croyant les gratifier de leurs vues lumineuses. Ils font de la politique comme on fait du cirque ! Le respect d'un calendrier est tabou en Tunisie, une énormité! On en vient, par moment, à révoquer ou à déférer une date avant même qu'elle ne soit fixée. Une tare typiquement tunisienne. Il n'y a qu'en Tunisie que dès l'annonce d'une échéance, électorale en particulier, l'effervescence frôle son comble et le débat bat son plein, non sur des programmes ou des idées, mais sur le report. Dans l'arène des discussions, chacun brandit son sabre d'arguments. Les partis politiques ne sont jamais prêts à croiser le fer quand il s'agit de scrutin mais tous disposés à dégager un compris pour en décaler la date. Comme toujours, le report étant acquis, la guerre tourne autour de la nouvelle date. Face à ce lamentable spectacle, qui n'amuse personne mais qui discrédite davantage une classe politique dont la crédibilité est déjà dans le caniveau, l'opinion publique nationale, à force d'être méprisée et tenue à l'écart, n'est plus que le parent pauvre de l'environnement politique tunisien. Tout se décide derrière ou sur son dos. Le tunisien n'est pas traité en citoyen mais juste en électeur. Il ne retrouve sa citoyenneté que face aux urnes, il est réduit à sa carte d'électeur. Un véritable OVNI (Objet Votant Non Identifié). Durant chaque campagne électorale, il devient brusquement l'objet d'une offensive de charme de toutes parts, il renoue avec son rang de centre d'intérêt et d'enjeu, sa voix, qu'aucun parti politique ne daigne écouter par ailleurs, est fortement sollicitée, mais toujours nullement entendue. Une fois que le scrutin livre ses secrets et ses scores, le tunisien, le ventre rempli de promesses de festin et la tête farcie d'horizons de prospérité, est renvoyé illico à sa misère quotidienne et à son statut de citoyen de second ordre, croulant de nouveau sous le poids du coût de la vie, de la flambée des prix, incapable d'amortir le choc de la paupérisation ambiante et le coup de massue socio-économique, pour dégringoler et s'abîmer dans les méandres de la pauvreté. En attendant la prochaine échéance électorale, qui sera, de toute évidence, entre temps déférée, pour que le tunisien soit remis sur le piédestal et drapé de nouveau de sa tunique de citoyenneté. Le chaud et le froid à vomir, à choper une cirrhose électorale ! En conclusion, sur la scène politique tunisienne, le report de toute échéance est plutôt un réflexe pitoyablement politicien et partisan qu'une contrainte de calendrier ou de contexte. On aurait dit que l'ajournement est source d'orgasme politique au cours duquel les partis prennent leur pied. Il est quand même tant interpellant qu'incongru que les hommes politiques tunisiens n'éprouvent aucun embarras à parler de la même voix et à faire preuve de souplesse quand il s'agit de renvoyer une échéance électorale ou autre, par contre ils n'en font pas de même, avec autant de flexibilité, quand il s'agit de questions de haut intérêt national.