L'UGTT, forte de son emblème de force sociale incontournable dans le pays, et ragaillardie par ce qui se dit d'elle, dans les salons, et même dans la bouche de certains ambassadeurs en poste à Tunis, qui la comparent au deuxième parti politique du pays, semble vouloir prendre les choses en mains, imposer son rythme et sa vision de l'avenir du pays. Cela était devenu évident depuis le 17 décembre dernier, quand le secrétaire général du syndicat a effectué son entrée triomphale à Sidi Bouzid, à l'occasion de la commémoration de l'anniversaire de la révolution. Il semblait puissant et évoluait dans un terrain conquis, ratissé par ses lieutenants sur place, alors même que les membres du gouvernement avaient été déclarés persona non grata, à Sidi Bouzid. Tabboubi parla, ce jour-là, en termes secs et violents. Il ne s'épargna aucun plaisir, allant jusqu'à mettre en demeure le gouvernement, menaçant de « redonner » la parole et les rênes au peuple. L'UGTT est devenu plus hardi, et plus entreprenant. Et semble avoir trouvé un terrain d'entente avec le chef du gouvernement, que tout le monde disait démuni de support politique, en termes de partis politiques. Car Chahed semble trouver son compte (et son salut) en composant avec la direction de l'UGTT, qu'il compte, comme beaucoup d'observateurs, comme étant le deuxième parti politique du pays. Reste à savoir dans quelles proportions vont se jouer les équilibres (instables) entre l'UGTT et le chef du gouvernement. Car il semble que Tabboubi, en pactisant avec Chahed, et en le couvrant, n'a nullement l'intention de le laisser naviguer à sa guise. Il veut garder sur lui un ascendant confortable, histoire de lui rappeler sans cesse que c'est lui qui fait la pluie et le beau temps. La dernière marque de volonté d'autorité étant la déclaration de Tabboubi faite aujourd'hui, quand il annonça qu'il allait faire signer le chef du gouvernement, au bas de la page des accords qu'il allait conclure avec lui. Histoire d'être sûr de ne plus avoir à supporter les avis contrariants des conseillers de La Kasbah. Donc, la lune de miel semble bien entamée entre les deux hommes. L'UGTT ayant trouvé un porte étendard qui a le vent en poupe et Chahed ayant trouvé un soutien de taille. D'ailleurs cet appui est tellement d'envergure que Tabboubi se serait dressé, lors de son dernier entretien avec BCE, contre la volonté de celui-ci, d'évoquer un remaniement ministériel, lui affirmant qu'il ne le lui permettrait pas (pour le bien du pays, bien sûr). Mais cette lune de miel, une deuxième noce pour Chahed, ne semble point plaire à sa première partenaire, avec qui il était en couple. La bagarre sera, à ce titre, rude et destructrice, surtout que l'UGTT ne semble pas prête à lâcher son nouveau parti. Maintenant, la grande inconnue serait de savoir où va l'UGTT mener la barque du pays et vers quel rivage ? Ce qui n'est pas du tout évident. Il y a de quoi s'inquiéter quand on voit les premiers responsables de l'UGTT qui affûtent leurs armes et rameutent leurs troupes, comme pour la « bataille du siècle ». C'est, en tous les cas, ce qui se dégage d'un post funeste publié par le N° 2 de la direction du syndicat, Sami Tahri, dans lequel il prédit des jours difficiles et une évolution vers l'inconnu et qui interpelle la société civile pour savoir de quel côté elle va s'aligner ? Enfin, une autre question à un million de dollars, concernant Youssef Chahed, serait de savoir jusqu'à quand durera cette lune de miel ? Car s'il revenait un peu dans l'histoire contemporaine du pays, il se rendrait compte que l'UGTT n'a jamais été d'une fidélité irréprochable envers ses « alliés d'un jour ». Il suffirait que les vents tournent, pour que, eux aussi, virent de bord et changent leur fusil d'épaule.