Dans un post publié sur sa page Facebook, la petite fille de feu Farhat Hached, Farah Hached explique les raisons du boycott de la cérémonie d'aujourd'hui. "Aujourd'hui, 5 décembre 2013, j'ai décidé de ne pas aller à la commémoration officielle de l'assassinat de mon grand-père, Farhat Hached. C'est la deuxième année que je boycotte la commémoration officielle. La première année, il s'agissait de la décision collective de toute notre famille suite aux violences perpétrées par les LPR devant le mausolée. Cette année, c'est une décision personnelle car je ne souhaite pas recevoir dans le mausolée un président de la République qui, au lieu de créer une commission neutre et indépendante pour traiter les archives de Carthage, a choisi de les instrumentaliser à son avantage et celui de son parti politique en allant contre les lois de la République qu'il est censé représenter. Cela fait deux ans et demi que je milite pour l'ouverture des archives de la dictature à travers la mise en place d'une réglementation spécifique concertée avec la société civile, et l'institution d'une instance neutre et indépendante. Je pense, sans prétention aucune, être une des personnes qui a le plus travaillé sur le sujet en Tunisie. J'ai organisé une quantité d'activités autour de ce sujet: conférences, formations, voyage d'étude, film documentaire, consultations avec les administrations publiques. Cela fait 2 ans que je fais des recherches, incluant de nombreux interviews de personnes tunisiennes et étrangères. Aujourd'hui, je suis entrain de finaliser un ouvrage entier sur le sujet. Il s'agit d'un ouvrage collectif qui présentera le contexte juridique, politique et historique tunisien, un bilan des expériences étrangères et qui proposera des axes de réformes pour la Tunisie. Ces axes de réformes sont le résultat de plusieurs consultations avec les administrations publiques (dont le ministère de l'Intérieur, le ministère des Droits de l'Homme et le ministère de la Justice) et la société civile. Je fais partie de ceux qui ont toujours gardé la tête froide face aux surenchères politiques venant de toutes les parties. J'ai choisi de ne pas faire de politique malgré l'appel de plusieurs personnes qui ont souhaitées que je rejoigne leurs partis politiques. Ce choix est basé sur un principe simple: je souhaite participer à la construction de mon pays à travers une vision à long terme et des propositions concrètes, hors des petits calculs, souvent égocentriques et égoïstes. Ce choix est également basé sur une idée simple: certains sujets, trop graves, ne peuvent faire l'objet de batailles politiciennes. Dés le début, j'ai concentré mon énergie sur une question que je considère comme essentielle à la transition démocratique: la police politique et ses archives. Il était évident pour moi qu'on ne pouvait pas construire une démocratie sans passer d'une police politique à une police républicaine et sans traiter la question des archives de façon cohérente. Mon premier article sur le sujet date du printemps 2011. Aujourd'hui, en ce début du mois de décembre 2013, Moncef Marzouki, président de la République tunisienne, personne que j'admirais lorsque j'étais étudiante à Paris et dont certains discours de début de mandat m'avaient ému, Moncef Marzouki qui lui-même s'était positionné pour un cadre juridique des archives de la dictature, lance un Livre Noir avec lequel il renie ses propres positions. Son Livre Noir a été rédigé par les services de sa présidence, par ses hommes et ses partisans. Son Livre Noir cite des noms de personnes, y compris la simple secrétaire de l'ATCE qui n'a rien demandé à personne. Son Livre Noir cite des personnes crédibles, qui ont même écrit des articles contre le régime de Ben Ali; il les cite en même temps que les noms les plus pourris. Face à son Livre Noir, nous sommes obligés de nous poser les questions suivantes: - Qui a eu accès à ces archives? Comment ont-ils été choisis? Sur quelle base? Pourquoi eux? - Pourquoi la présidence de la république (instance politiquement non neutre) aurait le droit de publier des informations non publiques? Pourquoi ne pas avoir constitué une commission neutre et indépendante? - Est-ce que la justice transitionnelle consiste à publier des listes nominatives de personnes? Comment sont constituées ces listes? Sur quels critères? - Qui nous dit que les auteurs n'ont pas exclu des amis et inclus des ennemis dans ces listes? Son Livre Noir est un cadeau empoisonné pour le processus démocratique. Les questions qu'il suscite sont un cadeau pour les plus pourris de l'ancien régime, qui ont ainsi une occasion en or pour se présenter en victime. Il est un cadeau pour les sans-morale du parti présidentiel d'aujourd'hui, qui ont ainsi l'occasion de se venger de leurs ennemis politiques à peu de frais. Je suis de ceux qui ont commencé à perdre espoir dans la justice transitionnelle et qui sont choqués, jour après jour, par le comportement scandaleux des médias, qui colportent des rumeurs et déforment les propos les plus simples et les plus limpides. J'en ai été moi-même victime. Si, j'écoutais mes bas instincts, je me réjouirais aussi du Livre Noir qui cloue au pilori ces médias qui sapent la transition démocratique. Cependant, à des comportements scandaleux, les institutions de l'Etat ne peuvent pas répondre par des comportements encore plus scandaleux. La présidence de la République est une institution de l'Etat, qui émane d'un cadre juridique, celui de la République. Elle se doit de respecter les lois de la République. La présidence de la République aurait pu, face à l'enlisement de la justice transitionnelle, être à l'origine d'un déblocage. Il aurait suffi d'un rien: la mise en place de procédé garantissant la neutralité du traitement des archives de Carthage. Moncef Marzouki et son équipe ont choisi un autre procédé, un procédé qui écorne l'Etat de droit. Il est toujours plus facile de détruire que de construire. Les livres noirs et les listes noires ne sont pas une invention tunisienne ou une invention de Moncef Marzouki. Cela a existé dans d'autres contrées. Ceux qui ont agi de la sorte sont restés dans l'histoire de leur pays. Ils sont restés les symboles de l'instrumentalisation politique et partisane. Par leurs cadeaux empoisonnés, ils ont retardé la justice transitionnelle pour nourrir leurs ambitions politiques."