Marzouki récidive. Il vient de publier «le livre noir» comportant les noms des journalistes qu'il accuse de compromission avec le régime déchu. Les acteurs du paysage politique national et civil, interrogés par La Presse, qualifient le fameux livre de tentative de torpiller le Dialogue national Lazhar Baly, président du parti El Amen Un acte de diversion Je pense qu'il existe des institutions habilitées à mener de telles actions à l'instar de la justice ou de l'instance chargée de la justice transitionnelle. Je me demande qui a délégué au président Marzouki le pouvoir de publier un tel livre. En principe, cette responsabilité aurait dû être confiée à une commission neutre. Pour moi, le comportement de Marzouki constitue un acte de diversion qui a pour objectif de brouiller les cartes et de torpiller le Dialogue national. Il s'inscrit dans la stratégie adoptée par le CPR, qui a toujours pris des positions étranges à chaque fois que l'on semble parvenir à une solution consensuelle à la crise qui secoue le pays depuis des mois. Je me demande aussi s'il est logique que la Troïka dialogue avec les responsables du RCD dissous, que Marzouki reçoive leurs symboles au palais de Carthage, d'une part, et que l'on mette aujourd'hui à l'index les journalistes qui étaient proches de ces mêmes responsables, d'autre part. C'est un discours double. Malheureusement, Marzouki nous a habitués à ses bourdes et à des sorties le moins qu'on puisse dire inadmissibles. Je l'appelle à agir en tant qu'homme d'Etat et à saisir que la guéguerre qu'il livre contre les journalistes est perdue d'avance. Abderrazak Hammami, secrétaire général du Parti du travail patriotique et démocratique Une bombe qui retournera contre son auteur L'ensemble du paysage politique national est étonné et surpris de cette initiative malheureuse et improductive de Moncef Marzouki à un moment où tous les protagonistes cherchent une solution consensuelle à la crise qui risque de jeter le pays dans l'inconnu. Il est affligeant que la présidence, la première institution censée défendre le caractère républicain, viole les règles républicaines et prenne la décision de publier ce livre, alors que cette action est, en principe, du ressort de l'institution judiciaire ou de l'instance de la justice transitionnelle dont nous attendons la création depuis la révolution du 14 janvier 2011. A mon avis, Marzouki vient de faire exploser une bombe qui se retrournera contre lui. La question que se pose tout le monde est la suivante : de quel droit a-t-on choisi un journaliste et une chaîne TV bien déterminés pour conduire cette campagne inacceptable ? Ce comportement vise, en réalité, à torpiller le Dialogue national, alors que nous avons besoin, plus que jamais, de solidarité et de sérénité afin d'affronter, ensemble, les dangers qui guettent notre pays, dont en premier lieu l'hydre terroriste qui ne ménagera personne. J'appelle la classe politique nationale à considérer ce comportement comme une nouvelle bourde de Marzouki et à s'occuper de l'essentiel, à savoir continuer de dialoguer dans le but d'aboutir à une solution qui préserve la Tunisie du chaos de la violence. Hichem Senoussi, communicateur et militant de la société civile : Un comportement inadmissible Il n'y a pas de doute que certains journalistes se sont compromis à l'époque du régime déchu. Mais cela ne justifie en aucun cas que cette question soit traitée d'une manière unilatérale. La présidence de la République est une partie politique dont la neutralité n'est pas avérée. Il fallait restituer les archives à des parties indépendantes, surtout que le dossier de la justice transitionnelle a été renvoyé aux calendes grecques. Mettre les archives à la disposition de gens inconnus qui les traitent dans des chambres closes, sans aucun contrôle, ne peut que susciter les doutes et pousser à penser que cette affaire s'inscrit dans le cadre d'un règlement de comptes politiques. Ce qui accentue encore plus ces doutes, c'est de mettre ce livre suspect à la disposition d'une chaîne TV privée exerçant dans l‘illégalité puisque n'ayant pas d'autorisation. Ce comportement est inacceptable dans la mesure où les archives dont le contenu devait répondre à plusieurs interrogations sont devenues un véritable problème. A mon avis, il fallait réagir positivement à l'initiative prise par le Syndicat national des journalistes tunisiens qui a appelé à ce que les journalistes dont la compromission sera établie soient interdits d'adhésion au syndicat durant deux mandats. Sami Remadi, ancien membre de la commission d'enquête sur les vérités : «Le président part à la dérive» La Commission nationale contre la corruption a transmis à la justice, le 25 mars 2011, le dossier relatif aux journalistes. Le dossier est donc normalement entre ses mains. De ce fait, le président de la République n'a pas, sur le plan moral, et compte de tenu du principe de la présomption d'innocence, à révéler une telle liste. C'est en dehors des prérogatives de la présidence de la République énoncées dans la loi sur l'organisation provisoire des pouvoirs publics. Seule la justice dispose du droit d'incriminer les personnes pour leurs actes. D'un autre côté, je soupçonne le président de la République d'avoir agi par esprit de vengeance en dévoilant une liste sélective et non exhaustive de journalistes, avec qui il a des comptes personnels à régler. On peut aussi parler d'un abus de pouvoir, vu que les archives qui se trouvent en possession de la présidence de la République devaient être mises sous scellé et transmises aux archives nationales et ne pas être utilisées à des fins électoralistes, comme cela semble être le cas avec ce livre. Le président part malheureusement à la dérive : tout ce qu'il fait est en contradiction avec les principes qu'il a toujours défendus. Najiba Hamrouni, présidente du Syndicat national des journalistes tunisiens : «Seule la justice peut garantir aux accusés le droit de se défendre» Tout d'abord, loin de nous de défendre les corrompus, nous n'arrivons pas à réformer les médias, justement parce qu'il y a toujours des journalistes corrompus. Cependant, cela doit se faire dans le cadre de la justice transitionnelle. Donc d'accord pour la révélation de la vérité, mais c'est à la justice de s'en occuper, car elle seule peut garantir aux accusés le droit de se défendre. Je me demande si c'est la propre initiative de la présidence de la République ou bien si c'est celle du CPR, doit-on s'attendre encore à quelques révélations d'un autre parti de la Troïka, dans le cadre d'une distribution de rôles ? La révélation de la vérité se fait par une étude des archives, entreprise par des professionnels du secteur, des experts tunisiens dans le domaine des archives, le tout sous la supervision de la justice qui s'assure de la pertinence des documents présentés.