Rassurez-vous, je ne vais pas vous faire une leçon d'anatomie buccale, je le ferai mal assurément. Je vais juste vous parlez de vos dents de sagesse si vous en avez. Oui, tout le monde n'en a pas ! Les mieux lotis, qui peuvent s'avérer les plus malheureux, en ont quatre comme moi. J'en ai déjà enlevé deux, sur le conseil de mon dentiste, et je ne sais que faire des deux autres que le dentiste me déconseille d'enlever. Il paraît que l'extraction des dents de sagesse, à titre préventif, n'est pas encore une question tranchée. Comme toutes les questions chez nous, quoi ! C'est pas maintenant qu'on va se mettre d'accord, sinon nous ne serions plus des Arabes. Qu'est-ce que je raconte ? La question de l'extraction dentaire n'est pas une question arabe, c'est une question scientifique, donc universelle ! Et alors, nous les Tunisiens, depuis notre révolution, nous sommes devenus la meilleure des nations et le nouveau peuple élu : nous allons mettre tout l'univers à nos pieds, grâce à notre nouvelle démocratie. Oui ! Je vous l'accorde, notre démocratie est un peu particulière ; mais là est l'innovation de notre révolution. Assez de digression. En matière d'extraction des dents de sagesse, moi, je ne comprends pas ; j'obéis, c'est tout. Je ne suis pas meilleur connaisseur que le médecin ! Dans tous les cas, on n'est pas à cela près ! En fait, il paraît que mes deux premières dents de sagesses, celles dont je me suis délesté, peut-être parce qu'elles sont supérieures, commençaient à nuire à leurs voisines. Le voisin, c'est sacré, chez nous. Quant aux deux inférieures, comme tous les inférieurs, elles doivent rester, semble-t-il, pour servir d'appui à leurs voisines. La solidarité, chez nous, c'est sacré aussi. Mes dents de sagesse ont poussé en toute sagesse, normalement, à l'âge où elles devaient le faire ; elles n'ont gêné aucune citoyenne de mes arcades dentaires et ne m'ont causé personnellement aucun désagrément particulier. Il semble ne pas être le cas pour certains de mes semblables qui ont vu les étoiles à midi, à chaque fois que la dent de leur sagesse brandissait ses caprices. Mes dents de sagesse n'ont pas eu un problème d'espace pour pousser ; elles n'avaient pas tergiversé avant de naître, se dégageant doucement de l'os mandibulaire, comme si elles étaient des dents normales, comme si elles allaient se pavaner dans un bal. Je n'avais pas été très regardant sur leurs manières d'être et de faire ; je considérais que ce n'était pas mon affaire que de me soucier d'une présence qui était peut-être de trop. Avec le temps, deux d'entre elles – Les Supérieures ! – n'ont plus tenu et sont parties sans trop de grabuge. Il vaut mieux se séparer à l'amiable, n'est-ce pas, que de rester ensemble avec d'éternels problèmes. N'empêche que je dois remercier feu mes parents d'avoir soigneusement veillé à ma bonne alimentation, malgré leurs conditions modestes, car avoir ses quatre dents de sagesse est semble-t-il la preuve qu'on était convenablement alimenté. Mais maintenant, avec le régime fastfood et autres grignotages, il paraît qu'on n'a plus besoin que de deux dents de sagesse, au maximum. Moi, je n'ai pas de problème : on peut dire en définitive que je me suis vite adapté aux conditions du monde moderne. En plus, en me débarrassant de mon surplus en dentition de sagesse, j'ai pu me faire poète à l'occasion et pondre un texte dont je vous ferais un jour une omelette, si vous avez vraiment faim. Bon appétit !