Cette semaine est marquée par un chassé-croisé animé entre l'opposition et le gouvernement qui paraît soudain marqué par un relatif retour à un semblant de concorde au sein de la troïka, comme une trêve nécessaire après une crise apparente dont on ne sait pas trop si elle est effective ou simulée. Tout est parti, de façon criarde, du déclassement de la Tunisie par une organisation internationale, ce qui a déclenché les tirs francs de l'opposition, notamment par la voix engouée de la première responsable d'ElJoumhouri, Maya Jribi réclamant « un gouvernement de salut public ». La réplique du gouvernement n'a pas tardé à venir et en plus des nombreuses campagnes et contre-campagnes médiatiques, il y a eu l'interview du Président du gouvernement et la conférence de presse du ministre de l'Intérieur. Ce qu'il conviendrait de saluer d'abord, c'est ce type d'échanges, nouveau en Tunisie, surtout dans les règles d'un minimum garanti de civisme, les médias aidant, ce qui est bénéfique pour les politiques et pour les médias, pour la société aussi et son éducation démocratique. Ce qu'il importe de souligner aussi, c'est qu'il est normal que l'opposition s'oppose et que le gouvernement se défende ; il reviendra au citoyen de se faire sa propre opinion en faisant la part convaincante des arguments des uns ou des autres, des uns et des autres. Et c'est dans cette bipolarité du débat politique, sinon sa multipolarité, que nous voudrions commenter deux éléments du discours gouvernemental, notamment celui du Chef du gouvernement. Deux éléments prioritaires à notre sens, car tenant des exigences du terrain, ici et maintenant, dans le vif du besoin citoyen. Il est heureux de relever, dans la bouche du Premier ministre, que le fondement de sa politique (ou celle de son gouvernement) est « une plateforme partagée constituée des valeurs de la république, de l'identité arabo-musulmane médiane se référant aux valeurs humanistes et religieuses ». Cela nous ramène à la vraie Tunisie qui est conforme à un être et à un vivre tous deux spécifiques de cette société ayant réussi à intégrer la dynamique du progrès et de la modernité avec les inaliénables rationnels de son identité. Cela est d'ailleurs en cohérence avec l'avertissement lancé aux salafistes, par le Premier ministre et par son ministre de l'Intérieur, pourvu que cela donne suite à un résultat tangible sur le terrain, surtout en matière de sécurité du citoyen et de respect de son mode de vie et de sa liberté de pensée. Cependant, le scepticisme peut venir de déclarations de certains de ses ministres, comme son ministre des domaines de l'Etat, qui a effrontément prononcé sur une chaîne de télévision des propos sanguinaires dignes des fanatiques les plus obscurantistes et des extrémistes les plus haineux. Alors la question ne manque pas d'interpeller les démocrates qui ne peuvent s'empêcher de se demander si le Chef du gouvernement n'est pas complice à partir du moment où il ne prend pas position contre un tel propos. Nous avons eu d'ailleurs l'exemple du président transitoire de la République qui n'a pas manqué de rappeler à l'ordre ses conseillers (autrement ministres) après leurs divagations dans tous les sens, dans l'oubli de ce qu'une instance supérieure de pouvoir impose en termes de devoirs de réserve et de discipline dans les déclarations publiques. En effet, un fonctionnaire d'une haute instance ou institution du pouvoir engage cette instance ou cette institution dès lors qu'il ne prend pas soin de s'en libérer publiquement et franchement ; sinon la confusion des registres est inévitable. Ainsi, pour le premier point ici commenté, nous retenons d'abord « les valeurs républicaines » qui imposent le respect des droits de l'homme pour tous les citoyens, sans exclusion aucune, à part celles décidées par une justice indépendance, la justice républicaine justement, tout comme on a eu la chance, dans les moments les plus difficiles, d'une armée républicaine détournée de tout calcul politico-politique et soucieuse du seul intérêt du citoyen et de l'intégrité territoriale de la patrie. Au Chef du gouvernement donc, par ses moyens propres, mais aussi par ceux de son parti et de ses alliés, de faire preuve de politique républicaine et de gouvernance de droit pour envoyer un signe fort éloquent aux citoyens, les remettant ainsi en paix avec eux-mêmes et avec leur pays, les incitant aussi à se déployer intensivement afin de contribuer à son redressement économique et à son rééquilibrage social. Quant au second point que nous retenons dans les propos du gouvernement et de son chef, c'est un langage de menace à peine voilée à l'encontre «d'associations et de parties niant le progrès accompli dans la situation générale du pays », les accusant d'être des assassins de la démocratie. Des propos que les observateurs ont trouvés en parfait recoupement avec ceux du ministre de l'Intérieur soulignant la possibilité de recourir à de vraies balles contre ceux qui ne respectent pas l'Etat d'urgence, qui est toujours établi dans le pays, rappelle-t-on à qui l'aurait oublié. Force est de souligner ici que la démocratie républicaine use d'abord et surtout de discours contradictoires, sinon quel besoin aurait-on de partis d'opposition ou de composantes de la société civile ? Le monopole partisan s'édifie à partir de cette première pierre qui consiste à culpabiliser la critique quand on est à court d'arguments pour lui répondre. Dès lors, l'argument des vraies balles pour rétablir l'ordre nous renvoie au jugement que nous devons porter sur ceux qui, aujourd'hui, sont accusés d'en avoir usé hier. Il y aurait peut-être de l'incohérence dans l'air ; mais il y a surtout la confirmation d'une évidence : « Les arguments de contestation du pouvoir par l'opposition sont les mêmes arguments avancés par les gouvernants pour se défendre ». C'est un constat à méditer profondément par les uns comme par les autres, mais surtout par les citoyens afin de pouvoir relativiser les choses et de ne pas se découvrir, dans tous les jeux et tous les enjeux, les seuls vrais dindons de la farce.