L'impression qu'a souvent donnée la coalition gouvernementale tripartite en Tunisie est celle de trois capitaines de bord conduisant un bateau fragile en détresse, obligés parfois de donner (se donner même) l'impression d'une relative concorde afin d'éviter le naufrage, mais attendant chacun l'occasion de jeter les autres (au moins l'un des deux autres, de préférence le plus fort) dans les flots en grande colère pour lui laisser le moins de chance de s'en tirer. Nombreux sont ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ont quelques fois souligné cette impression, sans trop s'y attarder, très vite démentis d'ailleurs par les concernés, dont la relation revient, dès la moindre maladresse, à l'esprit conflictuel qui y préside, rappelant toujours cette célèbre citation du général De Gaulle à propos de la relation entre la France et l'Allemagne : « La France et l'Allemagne, avait-il écrit dans Pour une armée de métier, sont comme deux adversaires de lutte, une fois fatigués, ils s'appuient l'un sur l'autre pour se reposer ; mais une fois reposés, ils reprennent la lutte ». On se rend encore compte de cet état des choses aujourd'hui à propos du cas de Baghdadi Mahmoudi, livré aux autorités libyennes par le gouvernement qui est passé outre de la signature du président provisoire de la République qui, rappelons-le, avait été le premier à promettre de le livrer quand il était en visite en Libye, avant de se rétracter ou de nuancer sa position, ce qui est devenu une habitude chez notre président. Et comme une ou deux fois avant, la voix de la présidence nous a sorti une attaque des plus franches et des plus violentes contre le gouvernement ! C'est à devenir fou, vraiment ! Et c'est encore une fois l'occasion de se demander qui nous gouverne et comment ! Nous voulons bien croire M. Mohamed Abbou sur Nessma TV et Jawhara FM chercher à nous convaincre que tout est pour le mieux dans le meilleur, surtout qu'il le faisait avec une sérénité (apparente ou réelle ?) et avec un charisme qui nous donne le sentiment d'une vraie figure politique influente et agissante dans l'avenir du pays (on y reviendra sans doute), et que son discours contrastait terriblement avec un charlatan fourbu du CPR. Avec quelle acrobatie d'ailleurs, M. Abbou a-t-il épargné et la chèvre et le chou, le gouvernement et la présidence, tout en se positionnant dans une autonomie partisane qui présage d'un nouveau leader du parti ! En effet, il intéressant de voir comment M. Abbou a balayé les arguments contestataires de la présidence au nom de sa discipline gouvernementale (ce que les collaborateurs directs du président ne semblent pas avoir assimilé), sans remettre en question l'idéologie supposée présider à ces arguments conformément à la vision du parti dont le président reste un leader fondateur, sans pouvoir prétendre dorénavant, semble-t-il, à retrouver le même statut dans un parti déjà toiletté et quelque peu restructuré. Il faut l'avouer, c'est intelligent et pertinent, au moins en termes de conduite d'une carrière politique. Mais, franchement, la question est d'abord de savoir si la présidence défend les droits de l'homme (auquel cas on est en droit de penser qu'elle n'est pas à quelque chose près, malgré le patrimoine de son président), si elle défend les intérêts du pays (auquel cas ce n'est sûrement pas le scandale public qui serait la meilleure manière) ou si elle défend les intérêts propres de son président qui semble de plus en plus s'accommoder de la question de ses prérogatives limitées pour en faire le principal pilier de sa prochaine campagne électorale. On ne s'attardera pas au cas de Mustapha Ben Jaafar dont la langue se déliera peut-être un autre jour où l'on montera de toute pièce une autre affaire comme celle d'Abdellia (Précisons à ce propos que M. Abbou s'en est tiré relativement avec les moindres dégâts, en ne se mettant personne sur le dos de ceux qu'il ne veut pas perdre). Mais Ennahdha, par le biais du gouvernement (étant donné qu'à présent presque tout le monde fait l'amalgame, y compris ses partenaires de la troïka), cherche-t-elle à tenir parole dans un engagement pris dans le cadre d'un marché ou à communiquer une série de messages dont serait adressé à Marzouki pour lui signifier que ses jeux et ses manigances ne lui échappent pas et qu'elle se prépare à les contrer, dont un autre au peuple tunisien pour l'inviter à commencer dès aujourd'hui à faire la part des deux adversaires politiques, aujourd'hui en coalition par la seule volonté d'Ennahdha, et pourquoi pas un troisième message d'ordre plus général qui dirait en substance : l'intérêt du pays, je sais où il est et je m'y applique. A qui veut alors de prendre à sa juste valeur la portée exacte de ce message ! Pour tout dire, ça chauffe déjà en Tunisie et ça chauffe un peu partout et pour tout le monde. Pourvu qu'à trop chauffer on ne déclenche pas un incendie dont il serait difficile de prévoir l'ampleur des ravages.