Nous nous sommes réveillés un matin pour nous rendre compte que notre pays s'est transformé, à notre insu, en stade de football, où un grand match, un match décisif apparemment, s'y serait déroulé, auquel nous aurions, à notre insu, pris part et que nous aurions lamentablement perdu. La conséquence de cette défaite s'est vite révélée désastreuse : nous, qui nous croyions être des hommes et des femmes, ayant droit, comme tous nos semblables dans le vaste monde autour de nous, aux rêves les plus délirants, avons réalisé brutalement que nous sommes rien, ou pour être plus précis, que nous ne sommes que des zéros. Oui, des zéros même pas pointés ! Du vide intégral, du néant pour tout dire. Nous avons réalisé du coup que le rêve grandiose, qui nous a, pour un moment, entrouvert les portes de l'éden, s'est révélé être le pire des cauchemars. Les héros du jour, nos adversaires – qui nous prennent purement et simplement pour leurs ennemis – ayant remporté la partie qui nous a ruinés, réalisent, eux qui se croyaient naguère rien, qu'ils sont le chiffre gagnant. Un chiffre bien gros, bien gras, tout en chair et qui ne cesse de prospérer. Mieux encore, ils réalisent rapidement qu'ils sont les élus et que tout, absolument tout, en bonne logique cartésienne – céleste en fait – leur appartient désormais à eux, et rien qu'à eux, et à ceux, parmi le menu fretin, qui accepteraient de s'associer à eux, pour leur bien à eux, le seul qui compte et, chose sûre, gagne infailliblement. Aux zéros virgule, autrement dit la poussière que nous sommes devenus suite à ce cinglant revers, la honte et la grande mer où les plus déçus parmi nous – mauvais perdants entre tous – pourraient aller, s'ils le désiraient, désaltérer leur soif et noyer leur chagrin. Aux désespérés incurables, la corde ou le feu. Les vainqueurs, bons joueurs, s'engagent à leur fournir un jerrican d'essence et des allumettes ! C'est une âme magnanime, qui aurait souffert le martyre dans les geôles de la dictature déchue, réduit à vendre des vétilles pour survivre, promu, en juste récompense, ministre de la gestion des ressources juvéniles du pays, qui s'engage à approvisionner les têtes brulées qui s'obstinent à suivre l'exemple d'un certain Mohamed Bouazizi. Monsieur le Ministre aurait des allumettes (ou des briquets) plein les poches ! Cette denrée miraculeuse – qui vous transformerait, en un tournemain, un chômeur anonyme ou un médiocre notoire en héros de renommée internationale – est celle qui conviendrait le mieux à un ministre qui préside aux destinées de la plus grande fabrique de chômeurs du pays. Désormais, au lieu du diplôme conventionnel, c'est une boîte d'allumettes, frappée de l'insigne béni de sa Secte victorieuse, qui se fait passer, par tactique ou par stratégie, pour un parti politique, que l'ancien grand détenu, aujourd'hui grand ministre, délivrerait aux jeunes qui devraient quitter les bancs de l'école ou de l'université pour s'engager résolument dans la vie active. Avec un diplôme pareil, nos jeunes n'auraient pas le temps de désespérer de l'avenir. Au moment opportun, leur feuille de choux leur ouvrirait, à deux battants, les portes de l'éden. Pour les rancuniers qui s'amuseraient à mettre les bâtons dans les roues des Nouveaux Maîtres, le gibet où des exécuteurs de la haute justice, tristes figures d'époques révolues, s'emploieraient à les dépecer méthodiquement. Dépourvus de leurs mains droites et de leurs pieds gauches, comme l'exige la sacro-sainte loi du Ciel qui veille sur ses Elus (et rien que sur eux, maintenant qu'ils sont aux commandes pour rétablir l'ordre naturel des choses), les fauteurs de troubles se tiendraient tranquilles. C'est, en tout cas, ce que laisse entendre la voix autorisée des vainqueurs, celle d'un chevalier à la triste figure, sorti directement d'un vieux grimoire pourri, sous la houlette d'un Don Quichotte de la Manche saint patron des mers et des champs et grand protecteur des paysans et des pêcheurs, pour administrer, de son bras juste, assisté par la grâce céleste, le juste châtiment aux apostats qui désolent nos paysages édéniques. Enfin, les incrédules et les récalcitrants, le chevalier preux des temps modernes, mû par son âme magnanime, se contenterait de les appliquer à la question. Quelques coups de fouet pour certains, la roue pour les plus coriaces, suffiraient largement à leur passer leurs caprices d'enfants gâtés !