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Chronique, LE MOT POUR LE DIRE : TOUCHE PAS A MON CIMETIERE !
Publié dans Tunivisions le 26 - 11 - 2012

« Il me suffit d'entendre quelqu'un parler sincèrement d'idéal, d'avenir, de philosophie, de l'entendre dire « nous » avec une inflexion d'assurance, d'invoquer les « autres », et s'en estimer l'interprète, pour que je le considère mon ennemi. J'y vois un tyran manqué, un bourreau approximatif, aussi haïssable que les tyrans, que les bourreaux de grande classe. C'est que toute foi exerce une forme de terreur, d'autant plus effroyable que les « purs » en sont les agents ! ».
Cioran, Précis de décomposition
Il est des gens dont la raison d'être est de traquer la vie partout où elle se manifeste sous prétexte qu'elle est hautement nuisible pour l'ordre naturel des choses, le leur bien entendu (et non celui qui commande véritablement l'univers et ses locataires), qu'il estime être préférable aux lois de la création. Adeptes des cimetières, ils ne se sentent à l'aise qu'en compagnie des morts ou de ceux, parmi les vivants, qui ont le troqué le linceul contre l'habit. Ces illuminés enthousiastes se font donc un devoir, dans le but d'arracher la foi, la morale, la civilisation, l'humanité, la culture, les valeurs, l'identité (ou n'importe quoi d'autre qui passerait pour un bien symbolique que la communauté des croyants est tenue de sauvegarder sous peine d'être irrémédiablement perdue) d'entre les griffes et les crocs d'aventuriers immoraux et irresponsables, de dénoncer toutes sortes de complots qui compromettent ces trésors inestimables du genre humain et de démaquer les bataillons d'escrocs, de traîtres, d'apostats et de suppôts de Satan, s'employant tous, en s'aidant de leur seule raison – cette abominable machine de destruction massive ! – à ruiner le sublime édifice social. Ainsi parlait Béchir Ben Hassen au palais de Carthage, sous le regard bienveillant de son suzerain R. Gannouchi.
Car, s'il est du devoir de l'homme droit et sensé (qu'ils incarnes et qu'ils entendent généraliser par tous les moyens), nous rappellent ces adeptes fervents de la juste mesure et du juste milieu (l'un n'allant pas sans l'autre), de réfléchir, il lui est interdit toutefois de se servir de sa raison pour porter préjudice aux valeurs fondatrices, éternelles et immuables, joyaux sans lesquels l'identité – religieuse en particulier, quintessence de l'homme et support de son existence, soutiennent les bâtisseurs d'Eglises et les concepteurs de Dogmes, anciens et modernes – serait dangereusement compromise. Il est fort risqué, voire sacrilège, ajoutent ces dignes mages barbus, drapés dans la dignité irréprochable de leurs soutanes rébarbatives, brandissant leurs grimoires haut vers le ciel, de toucher au sacré, cette chose qui est – ô puissance divine, s'extasient-ils ! –, par essence, intouchable.
C'est vrai, concèdent-ils à contrecœur, il n'y a rien, en principe, qui interdise à l'homme de réfléchir sur ce qui touche, de loin ou de près, à son bien-être matériel, moral et intellectuel, mais il n'en reste pas moins vrai qu'il y a des choses qui sont, de par leur statut, en dehors du champ de sa réflexion, somme toute très limitée compte tenu de la précarité de l'instrument – cette raison que les ignares, ô sacrilège ! divinisent – dont il use. L'homme raisonnable, le vrai, l'authentique, se doit d'admettre cette sublime vérité comme une nécessité vitale, comme une sorte loi de la nature, ou comme un indéchiffrable mystère, et se dire en conséquence que les voies de l'Ineffable Sagesse (des censeurs inspirés et de leurs auxiliaires bagarreurs, cela s'entend), à l'instar de celles du Seigneur du cosmos, sont impénétrables !
La solution consisterait donc, décident les maîtres de céans sans la moindre hésitation, dans la réhabilitation de l'interdit, voire dans sa consolidation afin que les profanateurs et les incrédules, les descendants maudits de l'engeance des apostats et des mécréants, comprennent, une bonne fois pour toutes, qu'il n'est pas de leur droit de mettre les pieds – et la tête surtout – là où ils n'ont, en principe, rien à faire ! Ces sales fouineurs doivent savoir qu'ils n'ont pas la moindre chance d'échapper au regard vigilant des humbles gardiens des temples (convertis en musées, ou l'inverse) et des précieuses antiquités qui s'y entassent. Dans ces enceintes, embaumées des plus enivrantes exhalaisons, l'esprit du vivant apprend à apprécier la saveur succulente de la soumission au ciel et à ceux qui, en son nom, lui commandent de tenir ses yeux constamment baissés. Ainsi parlait Béchir Ben Hassen au palais de Carthage, sous le regard bienveillant de son suzerain R. Gannouchi.
La solution la plus efficace, parce que radicale, serait donc d'incriminer le responsable direct de cet inadmissible sacrilège, des abominations et des horreurs qu'il enfante sans arrêt, sous couvert d'art, de littérature, de philosophie – et, comble de la dérision, de théologie également – à un rythme de plus en plus effréné. Tranchez la tête à cet hydre de la stupre haïssable et les veines se videront de leur sang, stipule l'extraordinaire sagesse populaire. Il s'agit là en effet d'une recette éprouvée, convient Béchir Ben Hassan au palais de Carthage. Rien d'étonnant alors que les guerriers dévoués de son espèce, ces infatigables chevaliers servants du sacré, dont le devoir – rappelons-le encore une fois – est de préserver l'intégrité du patrimoine, s'acharnent contre la raison, l'esprit critique, l'imagination, la fabulation et tous leurs fruits sataniques. Rappelez-vous l'esclandre d'El-abdelliya et les dégâts humains et matériels qu'ils a occasionnés et vous ne pourriez que convenir, avec Béchir Ben Hassan discourant toujours à Carthage, que les censeurs de son espèce ne vous veulent que du bien !
Inutile donc de demander à ces âmes magnanimes de quel droit ils se sont fait les dépositaires d'un bien qui appartient en principe à tout le monde, ni qui les a investis dans leur rôle de prédicateurs, elles n'ont ni l'envie, ni le temps surtout, de répondre à vos ridicules inquiétudes, absorbées qu'elles sont dans l'exercice de leur noble tâche : devoir, de tous les devoirs le plus important, soutient Béchir Ben Hassan, trônant au palais de Carthage, son regard sibyllin braqué sur son auditoire distingué. Chez ces belles âmes, étincelantes de pureté, c'est le bras qui devance toujours la langue et, pour cause d'efficacité, c'est le coup de poing qui se substitue à l'argument. Un regard, un seul regard de biais vous ferait frémir, et vous comprendriez alors que vous avez commis un sacrilège en vous laissant aller à l'envie coupable de poser des questions aussi saugrenues !
Osez leur dire qu'il n'y a rien qui soit au-dessus de la raison et de son action salvatrice qu'est la critique, sinon on serait amené à soutenir les positions les plus aberrantes pour être en accord avec les sources occultes qu'elles défendent avec tant d'acharnement, elles vous tanceraient de haut avec tout le mépris que l'on doit aux ignares de votre espèce. Ajoutez, incorrigibles que vous êtes, qu'en accord avec ces mêmes sources irréprochables, il nous faudrait bien défendre la polygamie, et ses variantes modernes qui ne diffèrent en rien de la fornication, de la pédophilie et de l'esclavage sexuel, sous prétexte que ces ignominies font partie de l'ordre naturel des choses, voulu et cautionné par Allah, elles vous lanceraient un regard furibond et, les sourcils froncés, vous crierez de ne pas vous mêler des choses qui ne regardent que le Ciel et ses porte-parole attitrés. Et de vous rappeler, d'un ton doucereux, que Dieu pardonne tout, l'hérésie exceptée.
Encore un pas, vous obstinez-vous en dépit de leurs foudres, et on exigerait que certains de nos concitoyens soient privés de leur statut de citoyens : celui de dhimmis leur conviendrait mieux ! En raison de ce changement salutaire (pour qui ?), il serait légitime de réduire au maximum le nombre des temples (synagogues et églises) où ils s'adonnent à leurs rituels de mécréants, auxquels il faut ajouter ces lieux de perdition que sont les bars, les tavernes, les hôtels, les boîtes de nuit et – ô sacrilèges ! – les bordels, les maisons de passe et les lupanars. Et puis, ce serait au tour de l'édifice social tout entier d'être examiné à la loupe de l'orthodoxie la plus rigoureuse, la plus tatillonne. R. Gannouchi et Béchir Ben Hassan estiment qu'il s'agit là d'une mesure susceptible d'endiguer le fanatisme et la violence qui en découle. Pour ce faire, il faut faire appel aux Ulémas, de la stature d'un W. Ghenim, pour encadrer la jeunesse en déroute et lui inculquer le sens de la mesure. Et cela s'appelle, s'il vous plaît, prévention et non embrigadement. Le chômage, et l'indigence qui en résulte, pourrait être traité ultérieurement car il est avéré que les besoins de l'âme passent avant ceux du corps. Cela est d'autant plus évident qu'il est avéré également que le Tunisien est naturellement pieux. Il semble même que cette particularité soit inscrite dans son patrimoine génétique.
Quand on se plaît à flirter avec l'interdit, il devient difficile de lui imposer une quelconque limite. L'interdit s'arrangerait, par des moyens auxquels il est quasiment impossible de résister, pour devenir le seul droit possible et, pour paraphraser une expression connue, l'unique paramètre du religieusement correct. Sur cette base, il serait logique d'interdire à l'athée de parler de Dieu, ce dernier étant, soutiennent les dépositaires de l'immaculée vérité, la propriété exclusive des croyants et, en particulier, des croyants pratiquants. Sur cette même base, on interdirait à un penseur de l'envergure d'un Georges Tarabichi, auteur d'un essai fulgurant sur la démission de l'esprit arabo-musulman, de parler de l'islam parce qu'il est chrétien et que l'Islam – cela tombe sous le sens – est l'affaire exclusive des musulmans. G. Tarabichi, comme son coreligionnaire G. Zeidan, ne porte pas l'Islam dans son cœur. On interdirait également au premier de parler du christianisme parce que, lui qui est chrétien de naissance, n'est pas croyant.
Une conclusion s'impose : il semble, à en croire ce clergé autoproclamé, qui entend régir les corps et les consciences, que l'humanité de l'homme soit déterminée par sa piété. Un homme, qui n'affiche pas outrageusement sa piété, n'est pas, à proprement parler, un être humain. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'est pas un être sensé ! Ibn Al-jaouzi a donné la preuve, dans sa mémorable dissertation sur les menées de Satan (Talbisou Iblis – تلبيس إبليس), que l'impiété est l'incarnation par excellence de l'ignorance et de la bêtise. Plus de neuf siècles plus tard, sa démonstration magistrale, n'en déplaise à Nietzsche et consorts, est toujours d'actualité. Il est donc juste que les téméraires, qui s'imaginent pouvoir jouir de la liberté – naturelle, prétendent-ils – d'afficher leur hérésie, soient éradiqués. Car, s'il est du droit du premier venu de défier le sens commun, il est du droit du sens commun de neutraliser les agents nuisibles qui compromettent son équilibre et son unité. Ainsi parlait Béchir Ben Hassen au palais de Carthage, sous le regard bienveillant de son suzerain R. Gannouchi.
C'est vraiment triste de devoir en arriver là pour défendre des prétendues valeurs fondatrices d'une identité nationale qui ne reconnaît pas dans les frontières convenues de la Tunisie. Une valeur qui ne pourrait se maintenir que par la terreur est-elle vraiment utile ? L'utilité n'est-elle pas, avant tout, le corollaire obligé de la vie ? Les partisans inconditionnels de l'interdit auraient-ils donc oublié qu'en s'acharnant de la sorte contre la libre-pensée, c'est en fait contre la liberté tout court – entre autres la leur – qu'ils s'acharnent ? Or, la liberté ne souffre pas d'exclusive. Qui se permet de faire taire les autres doit s'attendre à être lui-même, pour les mêmes raisons, interdit de parole ! L'interdit est une mécanique qui n'épargne rien ni personne. Pour tourner, elle a besoin de broyer n'importe qui et n'importe quoi, car l'essentiel, pour cette machine infernale, est de tourner. Le jour où elle n'aurait rien à se mettre sous la dent, elle se retournerait, pour satisfaire son insatiable faim, contre elle-même !
Il devient clair ainsi que le danger qui menace le bien-être collectif ne réside pas dans la raison, mais dans la volonté d'enrayer, par tous les moyens et sous des prétextes oiseux, cette faculté admirable dont la nature nous a doté afin que nous en usions pour notre bonheur. C'est cette farouche volonté de nuisance que nous baptisons censurite, néologisme dont le mérite est de ressortir le caractère foncièrement morbide de cette tare. Car, on ne le répètera jamais assez, qui plaiderait en faveur de l'immobilité, prendrait le parti de la mort. Et il serait risqué de confier, à la mort, le soin de sauvegarder le bien-être matériel et moral des vivants et le devenir d'une nation, aux prises avec une phase de transition des plus délicates. En condamnant la raison à la démission, les partisans de la censure nous dépouillent de la seule arme dont nous disposons pour nous frayer un chemin dans ce labyrinthe qu'est aujourd'hui notre univers, nous livrant ainsi à une mort certaine.
A ceux-là, qui prétendent contrôler notre présent et entendent confisquer notre avenir, il est impératif de leur poser une seule question, l'unique qui vaille la peine d'être posée aujourd'hui : si votre ambition est de faire de nous des morts-vivants, des machines dociles et obéissantes, pourquoi vous obstinez-nous à nous maintenir dans le monde des vivants ? Ne serions-nous pas plus à l'aise dans un cimetière ?! Béchir Ben Hassen, discourant au palais de Carthage, sous le regard bienveillant de son suzerain R. Gannouchi, daignerait-il nous passer cette insolence et répondre, dans l'idiome des vivants, aux survivants que nous sommes ? Nous qui tenons plus que jamais à notre place sous le soleil du monde.


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