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Chronique, Le mot pour le dire : Mon Bouguiba
Publié dans Tunivisions le 08 - 04 - 2013

« Le grand homme n'est pas le thaumaturge qui réalise des choses extraordinaires, mais l'homme – juste un homme – qui fait juste ce qu'il faut, au moment qu'il faut. Bourguiba faisait partie de cette caste d'où sont exclus les révolutionnaires qui prétendent l'avoir renversé ».
Fredj Lahouar, Témoignage à vif
J'avais à peine trois ans quand il est devenu président de la république, après avoir aboli la monarchie beylicale, vieille de plus de deux siècles et demi. Tout jeune encore, je me rappelle ses passages fulgurants sur la route nationale (GP1), et ses apparitions fugaces pour saluer les citoyens attroupés au bord de la route menant à Sousse, à Monastir, ou ailleurs. Hammam-Sousse était bien où il fallait et le cortège de Bourguiba s'y arrêtait carrément parfois : un certain Sadok Djegham, un vieux mercier, s'avançait d'un pas pesant vers la voiture présidentielle pour saluer le Zaïm. C'était là une sorte de rituel qui s'est poursuivi jusqu'à la mort du vieillard.
En ces temps héroïques, Bourguiba avait l'allure et le port d'une divinité. Pour le jeune élève de dix ans, mes camarades, les instituteurs et le directeur de l'école Al-akhlaq, feu Mohamed Al-bahri (plus connu à Hammam-Sousse sous le nom de Sheikh Al-bahri), la fascination était ce qui déterminait nos rapports avec cet être d'exception que je vais apprendre progressivement et, très péniblement il est vrai, à connaître, pour me rendre rapidement compte qu'il n'avait rien de la divinité qu'il semblait être et que, bien au contraire, comme tout le monde, un peu plus que tout le monde peut-être, Bourguiba était un être vulnérable, comme nous tous. Cet aspect de ce personnage féerique est celui qui m'a le plus marqué, plus cruellement qu'on ne le pensait puisque la déchéance physique du Zaïm a été vécue, par les hommes et les femmes de mon âge, comme un événement national, l'un des plus importants, sinon le plus important de tous.
Mon âge de raison, comme pour la majorité écrasante des gens de ma génération, a commencé tôt et, en même temps, a commencé le cycle de désillusion, ou de désenchantement pour parler comme Héla Bèji, qui m'a conduit fatalement vers une opposition farouche, intempestive et résolue. C'est à cette époque que, lors d'une rencontre avec l'ancien Premier ministre Hédi Baccouche, ce dernier, en réponse aux innombrables doléances de la jeunesse du village, communiste dans sa grande majorité, a soutenu que rien ne serait possible en Tunisie tant que durait l'épopée bourguibienne. Cette heureuse expression de Hédi Baccouche qui n'a pas été, à l'époque, de notre goût, est peut-être l'une des meilleures entrées (ou clés) pour comprendre les rapports intenses que Bourguiba a entretenu avec la Tunisie, son peuple et son histoire. Cela s'est passé vers le milieu des années soixante-dix.
Ma réponse, toute personnelle, à la prophétie de Hédi Baccouche, était d'avoir ramené, de mon premier voyage en France, une bouteille de Whisky que j'ai promis de boire, avec des amis, à l'annonce de la mort du Tyran, très affaibli, qu'on croyait être alors imminente. Des années plus tard, excédé d'attendre un salut qui n'arrivait point, je me suis résolu à boire mon whisky en me promettant de m'approvisionner pour la circonstance. Le jour de la mort de Bourguiba, ni moi, ni mes amis n'avions plus envie de fêter l'événement au whisky. Les temps ont changé et le vieux lion, que nous avons tant abhorré, n'était plus, à nos yeux et aux yeux de la majorité de mes concitoyens, l'être détestable qu'on croyait être. Bourguiba montait dans l'estime de ses adversaires, des hommes et des femmes qu'il a persécutés et, pour certains d'entre eux, cruellement broyés. A ce propos, le témoignage de feu Noureddine Ben Khidhr, publié dernièrement dans la revue Al-fikhriyya est l'un des plus émouvants, des plus pathétiques et des plus humains surtout qu'il m'ait été donné de lire. Rien à voir avec la haine échevelée des maîtres d'aujourd'hui, ces hommes austères dont l'unique objectif, semble-t-il, est de se démarquer du patrimoine du fondateur de la Tunisie moderne.
Le paradoxe auquel nous avons été confrontés et qui se confirmera dans les décennies à venir est que nous étions obligés d'admettre que le Despote a beaucoup fait pour la Tunisie, pour nous également (les islamistes compris) qui n'aurions pas eu, sans lui, la moindre chance de percer. Le paradoxe est que Bourguiba, fidèle à ses idéaux, a fourni à ses opposants, au sein des écoles, des lycées et de la toute jeune université tunisienne, les moyens de le combattre. La gauche tunisienne, cela n'est que trop évident, est le fruit légitime de l'école bourguibienne. C'est vraisemblablement pour cette raison que, en dépit de toutes ses dérives, Bourguiba n'a pas réussi à se faire détester par le peuple qu'il a longtemps brimé et tenu en laisse, exception faite de ses ennemis idéologiques, les actuels fossoyeurs de son œuvre considérable, ceux dont le rêve est de substituer à la Tunisie moderne de Bourguiba la Tunisie médiévale de leurs chimères !
Mais j'oublie le plus important : la destitution du Zaïm. J'étais alors en coopération en Arabie Saoudite. Là-bas, dans ce pays rébarbatif où il n'est pas donné, à un homme comme moi, de se sentir à l'aise, j'ai découvert un autre Bourguiba ou, plus précisément, une autre image du premier président de la république tunisienne, celle propagée par ses ennemis irréductibles, autrement dit les islamistes. Dans les librairies de Riyad, que j'ai systématiquement visitées, il y avait toujours quelqu'un pour me poser des questions sur ce Bourguiba qui ne cache pas son animosité pour l'Islam. Certains, parmi les plus virulents, se permettaient, à son égard, des expressions désobligeantes qui me désolaient. Cette mauvaise réputation est largement compensée par l'audience dont Bourguiba jouissait auprès des rares femmes saoudiennes qu'il m'a été possible de contacter, dont une médecin. Je n'ai pas été lent à comprendre que l'abolition de la polygamie était perçue, par les détracteurs du Zaïm, comme un crime impardonnable qui lui a valu le statut ingrat d'apostat.
Cette haine du religieux, pour le laïque convaincu qu'était Bourguiba, j'ai eu à en mesurer l'ampleur le jour où, dans l'Institut Militaire des Langues, à Riyad, où j'exerçais, un jeune prédicateur saoudien, qui faisait fonction d'enseignant du Coran (tâche d'ailleurs dont il s'acquittait très mal), est venu rendre visite aux enseignants du département de français, dirigé par un islamiste tunisien qui, depuis 1985, date de son établissement au royaume wahhabite, n'a plus remis les pieds dans son pays natal. En sirotant le thé que nous lui avons servi, le jeunot en question, fort d'une barbe clairsemée qu'il s'escrimait vainement à fortifier, s'est mis subitement à maudire Bourguiba, coupable à ses yeux d'avoir aboli la Shari'a. Le directeur du département, avec lequel le prédicateur s'entendait à merveille et que, ce jour-là, il n'arrêtait pas d'interpeller, ne disait rien. Il était manifestement gêné. J'ai fait remarquer au jeunot, poliment mais fermement, qu'il était en train d'insulter le Président de la République Tunisienne et que cela n'était pas de son ressort. Le prédicateur m'a rétorqué qu'il est du devoir de tout bon musulman (sous-entendant que je ne l'étais pas) est de maudire cet homme jour et nuit.
Je l'ai planté là et j'ai été voir le directeur de l'institut, un général de l'armée saoudienne, syrien naturalisé saoudien, à qui j'ai rapporté l'incident par le menu. Dix minutes plus tard, le prédicateur s'est présenté au bureau du directeur qui, omettant de l'inviter à s'asseoir, l'a vertement sermonné en lui demandant surtout ce qu'aurait été sa réaction si le professeur (c'est-à-dire moi-même) se serait permis de manquer de respect au roi Fahd. L'ayant congédié, il s'est excusé de nouveau en me priant de bien vouloir excuser les mœurs un peu trop rudes de ces bédouins mal dégrossis !
Cet incident, qui a eu lieu peu de temps avant la destitution dramatique du Zaïm, m'a permis de me rendre compte de l'animosité que l'Orient arabe, à l'exception du Liban (chrétien en particulier) vouait à la personne de Bourguiba, à cause surtout de ses positions trop libérales. Le 7 novembre 1987, à treize heures trente, alors que nous, les trois tunisiens de l'institut, nous nous préparions à rentrer chez nous, un collègue saoudien, professeur de langue hébraïque, est venu nous annoncer, en courant, la prise du pouvoir par le général Zine El-abidine Ben Ali. Le collègue a bien précisé qu'il s'agissait d'un coup d'Etat. Dans les jours qui ont suivi, le jeune prédicateur est, de nouveau chez nous, et ne s'est pas gêné d'affirmer qu'il est grand temps pour la Tunisie de rentrer dans le bercail.
Bourguiba était un grand homme, n'en déplaise aux Gannouchi, Marzougui, Ben Jaafar et consorts qui, forts d'une légitimité révolutionnaire fortuite, s'emploient à le gommer de l'histoire, toute récente, d'une Tunisie qui, sans lui, aurait été bien plus triste et désolante que les misérables contrées où l'islam politique s'est ingénié à réaliser le miracle dont il n'a pas arrêté, depuis le milieu du siècle dernier, de vanter les mérites. Le miracle s'est avéré être un désastre ; un désastre dont nous voyons les prémices dans la Tunisie postrévolutionnaire. Bourguiba était un grand homme parce que, engagé pleinement dans la dynamique de l'histoire, il avait eu constamment les pieds sur terre. Ses détracteurs, les révolutionnaires de fortune qui tiennent aujourd'hui le gouvernail, sont, eux, pleinement engagés dans le mythe. Rien de plus normal que, sous leur règne, la terre se porte de plus en plus mal puisqu'ils l'ont abandonnée pour s'occuper exclusivement des affaires du ciel.
Aux Maîtres du moment qui s'acharnent contre ce mort qui dérange tant qu'est Habib Bourguiba, il ne serait pas inutile de rappeler que les bourguibistes, qu'ils tiennent pour des contre-révolutionnaires, et qu'ils entendent neutraliser au moyen de cette misérable loi, dite de l'immunisation de la révolution, sont beaucoup plus nombreux qu'ils ne le croient et ne sont pas membres d'aucun des partis qui se réclament aujourd'hui de Bourguiba, y compris Nidâa Tounès. Les bourguibistes, contre lesquels leur loi d'immunisation ne peut rien du tout, n'ont jamais milité dans les rangs du parti du Destour, ni dans celui qui lui a succédé sous Ben Ali. Les bourguibistes en question sont ceux qui ont pris le parti de la Tunisie contre tous ceux qui entendent la rétrograder au rang d'une principauté dépendante du minusculissime Emirat du Qatar. Les hommes et les femmes de mon âge, et ceux qui nous ont succédé dont nos propres enfants, élèves et étudiants, en font partie.
A bon entendeur !


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