« La nature humaine se décompose en deux parties principales : l'homme et la femme. Les deux êtres sont par conséquent le complément l'un de l'autre. On peut même dire que la femme est le complément ». Dr Jaf, L'Art de se faire aimer, In Dictionnaire de la bêtise, p. 157 Nos doctes constituants, les vénérables représentants de la majorité, croyaient sincèrement avoir réalisé un exploit sans précédent en accouchant du concept de complémentarité. Ils ne savaient pas, ces incroyables génies, qu'ils ont été devancés, depuis bien longtemps déjà (l'ouvrage cité est paru en 1913), par un éminent savant français, un médecin de son état et non un prêtre ou un messie. Il s'avère donc que, pour accoucher d'une merveille pareille, on n'a pas besoin d'être, comme le sont les dignes constituants du parti régnant, en accord avec le ciel. Il suffit pour cela d'être intelligent (ou excentrique) et de cogiter à la manière du brillant La Palice. Les députés nahdhaouis, cela tombe sous le sens, excellent dans cet exercice. Mais qu'est-ce que donc qu'un/e complément (j'hésite sérieusement entre le masculin et le féminin), et en quoi cette trouvaille serait-elle l'exacte traduction de la volonté divine en Tunisie et, en France – il y a maintenant exactement un siècle – l'écart d'un esprit fantasque ? Le Dr Jaf a expliqué ce principe en adoptant la méthodologie des Pères de l'Eglise lorsque, s'engageant dans les voies ténébreuses du Seigneur, ils ont réalisé que leur entendement est incapable de percer les mystères de la sagesse divine. De là le passage brusque, dans l'exergue, de la réciprocité à l'unilatéralité en vertu duquel la complémentarité devient l'attribut exclusif de la femme. Cette conclusion que ne sauraient justifier les prémisses (majeure et mineure) du syllogisme élaboré par le Dr Jaf lui-même, constitue la preuve que la sagesse divine est inaccessible à l'entendement humain. Le statut de complément, qui revient de droit à la femme – et seulement à elle – relèverait donc de l'ordre de la fatalité. En termes plus précis, il s'inscrirait dans l'ordre naturel des choses et s'apparenterait alors à une sorte d'axiome. C'est dans ce sens qu'il conviendrait de comprendre la loi d'exception, contraire à toute logique commune (qui diffère radicalement, semble-t-il, de la logique prétendument divine), en vertu de laquelle le mâle, frappé, tout comme la femelle, d'incomplétude, se voit attribuer le statut d'un être auto-suffisant. En effet, la prémisse mineure, qui laisse entendre que l'homme et la femme se complètent mutuellement, devrait conduire, en bonne logique cartésienne, à la conclusion suivante : l'homme et la femme sont des êtres incomplets. La logique dont procède la conclusion du syllogisme du Dr Jaf, selon laquelle la femme est le complément, est toute autre. Nous la présumons être d'essence religieuse. A ce propos, la littérature religieuse soutient que Dieu a commencé par créer Adam et, dans un deuxième temps, il a créé Eve à partir d'une côte d'Adam. Ce récit, repris presque intégralement par le Christianisme et l'Islam, fait du mâle le modèle par excellence de l'humain. Eve, quant à elle, et compte tenu de son mode de génération, s'avère être une fraction (côte) du principe mâle et non du principe humain. C'est pour cette raison précisément que le Dr Jaf lui décerne le mérite de la complémentarité et, qu'un siècle plus tard, les constituants tunisiens nahdhaouis, fidèles aux saintes ( ?) conclusions de leur idéologue inspiré, imitent son exemple ! Le statut de complément, alloué généreusement à la femme par le Dr Jaf (un pseudo-scientifique) et Rached Gannouchi (un islamiste illuminé), serait l'expression de la volonté divine. Il serait donc malséant, voire sacrilège, de contester un décret de cette nature. Le problème est que, nulle part dans les Livres Saints, Dieu ne stipule que la complémentarité est le lot exclusif de la femelle. Le Coran en particulier, où il n'y a pas la moindre trace du récit de la côte, insiste lourdement sur le fait que l'homme et la femme se complètent mutuellement. Les métaphores de « l'habit » (لباس) et du « logis » (سكن) en attestent pleinement. La tradition prophétique, dans son expression la plus pure, conforme à l'esprit du Coran, souligne, sans détours, l'égalité – et non la complémentarité, comme le veut R. Gannouchi et sa suite constituante – des deux sexes. Le prophète stipule en effet, avec toute la simplicité du monde, que les femmes sont équivalentes aux (شقائق) hommes. Pour consigner cette évidence, il n'a pas recouru aux développements irrationnels, à renfort d'arguments pseudo-scientifiques, auxquels, sous couvert de dévotion, recourent les sexistes, les misogynes et les faussaires théologiens qui se réclament aujourd'hui de son enseignement. Les subterfuges, prétendument religieux, dont se targuent aujourd'hui les idéologues du servage, nuisent avant tout à Dieu, que ces derniers prétendent servir. Il n'y a pas pire sacrilège que de vouloir démontrer, à tout prix, que l'injustice est voulue sciemment par Dieu. Car – on n'insistera jamais assez là-dessus – la complémentarité est le prétexte approprié pour cautionner les pires abominations, à commencer par l'excision, le hijab et le niqab (emblèmes de la séquestration du corps féminin), le mariage coutumier, le nikah du jihad, la polygamie et la répudiation. Toutes ces horreurs, envisagées sous l'angle de la complémentarité, deviennent l'expression – authentique, prétend R. Gannouchi, soutenu par le Dr Jaf – de la volonté divine ! Les idéologues du servage, nous en sommes persuadés, ne s'arrêteront pas là : un jour où l'autre, ils finiraient par décréter le bannissement pur et simple de la femme de l'espace social, car, arguent-ils, il est dans l'ordre de la syntaxe que le complément soit déplacé, occulté, voire même supprimé !