Les dirigeants du FDTL, du CPR et du Mouvement Ennahdha soutiennent et disent à qui veut les entendre aux lendemains de la composition du gouvernement issu des élections du 23 octobre 2011 que la «Troïka» constitue une expérience originale en matière de pouvoir politique dans le monde arabe. Soit. L'expérience est singulière. Mais, ils omettent de dire que «le ramassis idéologiquement et politiquement antagonique» qui forme cette alliance débouche sur une composition hybride et dangereuse en matière de gestion des affaires de l'Etat. Les exemples de dysfonctionnement sont là et connus de tout le monde. Par ailleurs, l'usure du pouvoir, les déclarations et les contre-déclarations, les agissements des uns et les contre-agissements des autres montrent le caractère artificiel, circonstanciel et opportuniste de cette alliance. Le Mouvement Ennahdha et, disons, ce qui reste du FDTL et du CPR n'ont pas réussi la révolution culturelle, mentale et psychologique, condition sine que non seulement au succès de la transition démocratique mais surtout à sa durée, consistant à bannir la culture de l'exclusive, de l'exclusion ou de calculs de rapports de force. D'où leur attachement quasi dogmatique à ce qu'ils appellent «la légitimité des urnes». Alors que dans un Etat de droit, synonyme de l'exercice démocratique du pouvoir politique, les élections ne sont qu'une technique procédurale dont l'ultime objectif consiste à doter l'élite promue d'une souveraineté légitime. Les réactions de la « Troïka » face aux multiples cris d'alarme des organisations nationales socioprofessionnelles, de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, l'Ordre national des avocats et des partis politiques face aux dangers qui guettent le pays du fait de la crise politique qui n'a que trop duré sont le signe du désarroi croissant d'une classe dirigeante qui a perdu la « légitimité » du consensus et qui, à défaut de pouvoir penser en termes d'intérêt national, cherche désespérément un ennemi fictif qui pourrait lui redonner un semblant d'unité. Incapable de comprendre le rôle central de la contestation citoyenne en politique et son encadrement en vue d'objectifs démocratiques, la «Troïka» accuse les autres de jouer l'anarchie contre l'ordre. Au lieu de se mettre à l'écoute des demandes économiques, sociales et politiques qui lui échappent, la «Troïka» préfère agiter de vieux épouvantails en s'imaginant qu'elle va pouvoir ainsi exorciser les vieux démons qui sont derrière l'impasse politique que connaît le pays. Au même moment, des voix autorisées au sein de la mouvance islamiste continuent à vouer aux gémonies les «‘ilmaniyîn». Tout le nœud de la crise est là en effet ! Dans les discussions en cours visant le dépassement de la crise politique étouffante, les membres de la «Troïka» acceptent tout mais ne renoncent à rien. Il ne s'agit pas d'une tactique du double langage, comme certains le leur reprochent, mais d'une politique double qui assume les deux volets : le démocratisme de circonstance et le maintien au pouvoir. Théorisée de manière vulgaire, cette démarche est légitimée par la «légitimité». L'alliance contre-nature des «démocrates» avec l'Islam politique apparaît ainsi pour ce qu'elle est : une démarche opportuniste pour se partager «quelques miettes» aurait dit un «grand démocrate» qui a cessé d' «être avec les Tunisiens dans leur combat pour la démocratie». En dehors de cela, la «Troïka» est un mélange politique explosif.