Aujourd'hui, l'ISIE a annoncé sa validation de 27 candidatures pour la prochaine présidentielle. Pour certains, c'est encore trop ; pour d'autres, c'est acceptable pour une première présidentielle vraiment pluraliste. Désormais, les spéculations commencent, même s'il faut attendre les résultats des législatives pour mieux voir à l'horizon du paysage. En tout cas, les statistiques, les sondages et autres prospections se multiplient déjà et, généralement, leurs auteurs retiennent un maximum de douze noms proposés à l'évaluation ou au choix. C'est un indice, au-delà même de l'aspect pratique de l'opération qui ne peut pas porter facilement sur tous les candidats. On a l'impression que tacitement les Tunisiens ne se reconnaissent, raisonnablement, que d'une dizaine ou une douzaine de candidatures logiquement admissibles, compte non tenu du droit inaliénable de chacun à se porter candidat. Dans la gamme de ces noms les plus admis auprès des citoyens, à des degrés divers et avec des perceptions différenciées, on peut d'abord relever deux grands ensembles : les candidats des partis et les candidats indépendants. A ce propos, deux analyses se font face ; La première opte pour un candidat de parti capable, soit d'appuyer le programme de son parti si celui-ci est majoritaire, soit d'appuyer l'opposition (positive ou autre) au gouvernement. Ce qui est craint, dans cette option, c'est soit une instabilité et des tiraillements politiques à ne pas en finir, soit un monolithisme de gestion de la gouvernance capable de glisser petit à petit vers la vision unique, voire vers l'autorité excessive des partisans de cette vision. La seconde analyse, au contraire, défend le principe de l'indépendance du président, au moins pour le prochain mandat, afin de redonner à la présidence, dans les limites que lui impose la constitution et dans le champ des possibilités qu'elle lui offre, l'image de marque et le prestige qui lui sont dus, mais aussi les compétences et l'intelligence requises pour conforter la paix et la justice sociales dans un climat de liberté politique et de développement économique. S'il faut reconnaître que dans le clan d'un président partisan, Béji Caïd Essebsi semble trôner sur les sondages, d'autres candidats ne sont pas à exclure de la course et l'on rencontre, en dents de scie, des noms comme M. Marzouki, M. Ben Jaafar, K. Morjane, N. Chebbi, H. Hamdi, S. Riahi, parfois relayés par H. Hammami, A. Zouari, M. Hamdi et même A. Ayadi. Il faut aussi voir, ici, si les Tunisiens vont se laisser convaincre de l'opportunité d'opter pour un président tiré du monde des affaires. Les uns disent pourquoi pas, sans trop de conviction et sans arguments logiques, car le plus souvent on entend parler des dérapages possibles, de l'entremêlement des registres, et pour un iota, on est déjà face au spectre de la corruption. De la conclusion de ce débat sera déterminé le destin de trois candidatures au moins, celles de Slim Riahi, de Mohamed Chouikha et à un degré moindre de Hechmi El Hamdi autour de qui on sent l'odeur de l'argent sur un fond de discours populiste approchant de la caricature, pour certains. Ces trois hommes d'affaires sont d'ailleurs franchement partisans, les deux premiers officiellement, le troisième est un faux indépendants et ses performances médiatiques le soulignent chaque jour davantage. Abderrazak Kilani aussi ne semble pas plus indépendant que M. Frikha. Ces candidats faussement indépendants (eux et d'autres de moindre visibilité politique) sont en fait des chevaux de proue d'Ennahdha qui, pour n'avoir aucun candidat officiel, s'est offert le luxe d'une pléiade de candidats par procuration, qui ne sont pas seulement ceux cités par S. Dilou (Marzouki, Ben Jaafar et Chebbi), mais plusieurs autres qui n'ont pas pour fonction de réussir, tout juste doivent-ils disperser les voix et réduire les chances de candidats précis. Maintenant, du côté des indépendants, si les Tunisiens sont majoritairement convaincus par cette option qui paraît logiquement solide et conjoncturellement opportune, ils auraient à choisir particulièrement entre quatre candidats : Kalthoum Kannou, Mondher Zénaïdi, Hamouda Ben Slama et Mustapha Kamel Nabli. Avec la première, on aura un vrai baromètre de la réceptivité par le Tunisien d'une femme à la tête de la magistrature suprême. Une vraie candidature symbolique et historique. Quel que soit le résultat, elle a déjà ouvert une nouvelle page de l'histoire politique de la Tunisie. Mondher Znaïdi est un candidat à tous points de vue problématique : à son passé proche, avant et après la révolution, on oppose son côté humain. On se pose des questions sur son indépendance et on spécule dessus. Les indicateurs ne sont pas très visibles à son propos, mais il ne passera pas inaperçu dans ces élections. Les deux derniers candidats paraissent les plus en vue et les plus rassurants du côté des indépendants. Leurs profils sont nettement différenciés et on aurait aimé voir l'un d'eux faire la synthèse des deux. H. Ben Slama est soupçonné par certains de faire le jeu d'Ennahdha, comme les autres ci-dessus cités, et on ne s'empêche pas alors d'admirer avec quelle intelligence, ce mouvement est en train de chercher à fédérer autour de lui des personnalités des droits politiques, d'autres du secteur des affaires et d'autres encore du secteur des médias. Tout ce qu'il faut pour asseoir un vrai système et une imposante machine de pouvoir. D'aucuns, à ce propos, n'hésitent pas à rappeler les premières années de Ben Ali, surtout que même les programmes politiques qu'on développe un peu partout, se ressemblent à ne pas les distinguer (sauf deux ou trois, sur des questions de peu d'importance), et, dirait-on, ressemblent tellement à ceux du passé qu'on se sent poussé à croire que « l'Histoire est un éternel recommencement ». Quant à Mustapha Kamel Nabli, on l'a longtemps considéré dans les réserves de Nidaa Tounès. Le déroulement des événements a souligné sa démarcation par rapport à tout le monde. Il a cultivé tout le temps l'image d'un indépendant capable d'être et de collaborer avec tous, sans jamais se laisser assujettir à la cause d'une partie contre celle d'une autre. Son profil par trop économiste est un grand acquis selon certains, un léger handicap selon certains autres. Quant à sa stature politique, même si on peut en deviner quelques traits, il faut attendre les prochaines semaines pour en juger plus substantiellement. Voilà donc un paysage politique tunisien qui, par l'élection présidentielle, initie une importante étape du processus démocratique. Osons espérer que les Tunisiens en feront une solide base de lancement vers des espaces épanouissants et un avenir radieux.